Choucroute, saucisson, cornichon, fromage, pain, yaourt, sauce de soja, chutney… Voici quelques exemples d’aliments fermentés, les humains ayant de tout temps « laissé faisander les produits de la chasse ou de la pêche », écrit Marie-Claire Frédéric, historienne de l’alimentation (1) « Ils ont découvert par hasard que des aliments placés dans une fosse à l’abri de l’air pouvaient se conserver très longtemps. » Mais l’arrivée de la stérilisation et de la congélation avait quasiment fait disparaître des cuisines ce procédé de conservation.
Or, voici qu’il revient en force, les aliments fermentés faisant partie des dix tendances alimentaires du moment selon une étude citant l’exemple du kéfir - un lait fermenté venu du Caucase - et du kombucha - une boisson acidulée mongole - dont les ventes s’envolent aux États-Unis (2). En France aussi, ils ont la cote. En témoignent ces publications récentes nous invitant à faire fermenter nous-mêmes nos légumes. « Il y a dix ans, personne n’en parlait. Aujourd’hui, les consommateurs commencent à se détourner de la nourriture transformée pour le “fait maison”. Ils ont envie de produits plus simples et plus sains », analyse l’agronome Claude Aubert, l’un des premiers à avoir vulgarisé les vertus nutritionnelles de ces produits fermentés riches en probiotiques naturels.
LEXIQUE.
Levure de bière : Appelé aussi levure de boulanger, ce champignon microscopique (Saccharomyses cerevisiae) entraîne une fermentation alcoolique utilisée pour faire de la bière, du vin, du pain à la levure…
Fermentation lactique : Sous l’effet des lactobacilles, les glucides des aliments sont transformés en acide lactique. C’est de loin le type de fermentation le plus utilisé en alimentation (légumes, produits laitiers, pain au levain…). Dans la fermentation alcoolique, les levures les transforment en alcool.
Acide phytique : Cette biomolécule présente dans les graines de céréales et de légumineuses diminue l’absorption de certains minéraux comme le fer, le magnésium et le zinc.
La fermentation élimine les mauvais germes
Laissé à l’air libre, un chou finira par se décomposer. Découpé et tassé dans un bocal ou une jarre avec de l’eau et du sel, il fermentera et deviendra choucroute. Le processus est identique avec le lait. Cru, il « tourne », au bout de quelques jours. Pasteurisé, il se garde un peu plus longtemps. Transformé en yaourt ou en fromage, il se conserve plusieurs semaines, voire des années pour le comté ou le parmesan. Cette modification est due à des microorganismes (bactéries, moisissures, levures) qui prolifèrent spontanément sur les aliments ou sont ajoutés sous forme de ferments. N’ayant pas besoin d’oxygène pour se multiplier, ils supplantent les bactéries pathogènes, prolongeant ainsi la limite de consommation des denrées alimentaires périssables.
Le procédé est sans danger
« Le risque de s’intoxiquer avec un bocal lacto-fermenté est nul », selon Marie-Claire Frédéric. Pas besoin de stérilisation comme pour les conserves. De l’eau, du sel et un récipient propre suffisent à préparer ses produits soi-même. Avant de se lancer, se laver les mains avec de l’eau et du savon en évitant les solutions antibactériennes qui pourraient empêcher la fermentation. Nettoyez les ustensiles avec de l’eau savonneuse. Pour les produits laitiers, utiliser du lait cru plutôt que stérilisé ou UHT.
Une source de probiotiques naturels…
L’intérêt de la fermentation est de maintenir en vie les bonnes bactéries. Elle apporte donc des probiotiques naturels connus pour leur action bénéfique sur le système immunitaire et le microbiote intestinal. Un yaourt en contient ainsi environ un milliard, tout comme les légumes fermentés crus et certains fromages.
Une revue de la littérature scientifique sur les aliments fermentés dans la cuisine vietnamienne avec notamment le nuoc-mâm, souligne le rôle de ces microorganismes dans de nombreux domaines : l’équilibre microbien du tube digestif, la lutte contre plusieurs germes dont la listériose et la salmonelle, leur activité antimycosique et même leur potentiel pour limiter la prolifération des cellules cancéreuses de la peau, du sein, de la prostate et du côlon (3).
… et de vitamines
Les aliments fermentés ont un bon profil nutritionnel : comparé au chou, la teneur en ascorbigène, un précurseur de la vitamine C, est augmentée dans la choucroute. Raison pour laquelle les marins en mangeaient pour se protéger du scorbut. Les yaourts, quant à eux, sont très riches en vitamines B. Les vitamines abondent aussi dans le tempeh, un produit à base de soja fermenté originaire d’Indonésie, qui contient aussi beaucoup de polyphénols, des micronutriments aux propriétés antioxydantes (4). Dans le pain au levain, la fermentation anéantit une partie de l’acide phytique, ce qui facilite l’assimilation du fer et du magnésium par l’organisme.
"En consommer un peu chaque jour"
« Les aliments fermentés sont très utiles à la santé à condition de ne pas manger que ça. Il faut en consommer une petite quantité chaque jour en complément d’une alimentation équilibrée. Il n’y a pas d’aliments miracles. Toutefois, les produits fermentés comme les légumes méritent d’être mieux connus et je m’étonne que l’industrie agroalimentaire soit si peu inventive dans ce domaine. En Allemagne, les jus de choucroute et de concombre fermentés sont utilisés dans le traitement des gastro-entérites. Le mieux est de les fabriquer soi-même mais cela nécessite d’avoir du temps. À défaut, il vaut mieux les choisir et les préférer bio, par exemple pour la sauce soja. » - Claude Aubert, agronome expert en nutrition :
Des produits laitiers plus digestes
Sous l’effet de la fermentation, la concentration en lactose des produits laitiers chute, voire disparaît totalement dans certains fromages comme l’emmental, le camembert, le parmesan, le roquefort… Des chercheurs thaïlandais ont montré que la consommation de kéfir pourrait réduire les symptômes d’intolérance au lactose (5). Par ailleurs, l’efficacité des aliments fermentés est évoquée dans la prévention des diarrhées et de la constipation.
Une aide contre les maladies cardio-vasculaires
C’est du moins ce qu’a révélé une étude sur la consommation régulière de lait fermenté chez 26 000 personnes âgées de 44 à 74 ans suivies pendant douze ans (6). Enfin, des travaux sur le kimchi (légumes fermentés coréens) chez des patients prédiabétiques indiquent qu’il accroît la tolérance au glucose et atténue la résistance à l’insuline. Sur des personnes en surpoids ou obèses, il pourrait abaisser le cholestérol et la glycémie (7).
Attention cependant à ne pas en abuser
En Chine, un excès de cancers de l’oesophage a toutefois été observé chez de gros consommateurs de sauce de poisson. En Égypte, un fort taux d’histamine, une molécule pouvant entraîner des réactions allergiques et inflammatoires, a été retrouvé dans du poisson fermenté. Attention aussi au sel en cas d’hypertension artérielle. L’Organisation mondiale de la santé préconise de ne pas dépasser 5 g par jour, 100 g de légumes fermentés « maison » en apportent 1 g.
Par Brigitte Bègue