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Le droit en débats

La contrainte pénale

Par Serge Portelli le 09 Septembre 2013

Problématiques de la contrainte pénale

Dans le cadre de la réforme pénale actuellement en cours de - vive - discussion en France, la création d’une peine de probation (devenue dans le cours des événements « contrainte pénale ») est une des innovations les plus débattues. Le projet de loi vient d’être adressé au Conseil d’État et devrait être soumis au conseil de ministres en octobre puis présenté au parlement dans les meilleurs délais.

La conférence de consensus réunie début 2013 s’était montrée favorable à une telle peine (recommandations 3 et 4 - V. également le rapport de la mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale - proposition 36) qui est déjà pratiquée parfois depuis fort longtemps dans de nombreux pays (not. en Grande-Bretagne, Suède, Danemark, Pays-Bas, Canada). Elle est d’ailleurs préconisée par de nombreuses instances internationales : plusieurs recommandations européennes concernent les peines dites en milieu ouvertes ou exécutées dans la communauté. La plus récente et la plus intéressante pour le débat actuel est la recommandation du 20 janvier 2010 sur la probation (Recommandation CM/Rec(2010)1 du comité des ministres aux États membres sur les règles du conseil de l’Europe relatives à la probation).

La situation particulière de la France rend le débat particulièrement urgent. La justice pénale connaît, une fois de plus, une crise grave. Elle se traduit, de façon spectaculaire, par une surpopulation pénitentiaire toujours plus importante. Mais elle n’est pas le seul problème. La peine d’emprisonnement a pris une place croissante dans l’ensemble du système pénal. Des lois toujours plus sévères ont été adoptées ces dernières années qui augmentent toujours davantage le recours à la prison même si le principe de la prison comme dernier recours était également inscrit dans la loi (loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 nov. 2009 ; C. pén., art. 132-24).  La question de le récidive a occupé presque toute la place. Il s’en est suivi un appauvrissement du débat, empêchant une analyse objective et interdisant toute changement en profondeur. La nécessité de nouvelles peines est pourtant criante quant on sait que plus de 60% des peines d’emprisonnement prononcées en France sont de moins de six mois et pourraient donc, sans que la sécurité de la nation en souffre, être remplacées par des peines plus intelligentes et plus efficaces. Le projet de contrainte pénale pourrait-il être cette innovation dont a besoin notre système pénal? 

L’état actuel du projet 

Dans « l’avant-projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation de la peine », tel qu’il a été diffusé dans sa version en date du 30 août 2013, un chapitre entier est consacré à la contrainte pénale. Il s’agit d’une nouvelle peine, au même titre que, par exemple, l’emprisonnement, l’amende ou le travail d’intérêt général.
Le champ d’application est limité : elle ne s’applique qu’à la petite et la moyenne délinquance et ne pourrait donc jamais être prononcée par une cour d’assises pour un crime. En effet la peine encourue ne doit pas excéder cinq ans. Ce qui, compte tenu de l’aggravation générale des peines des vingt dernières années et de la multiplication des circonstances aggravantes, exclut nombre de délits : le proxénétisme, les agressions sexuelles aggravées, la quasi-totalité des trafics de stupéfiants, le vol commis avec des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail… Le champ d’application est d’autant plus limité qu’il exclut de fait les récidivistes. Le doublement de la peine encourue en cas de récidive correctionnelle a pour conséquence que la contrainte pénale ne pourra pas d’appliquer à cette population, ce qui est non seulement regrettable mais contraire même à la philosophie du projet: la contrainte pénale devrait être considérée comme un outil de lutte contre la récidive.

Le projet exige en outre que « la personnalité de l’auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé ». L’interprétation de cette expression peut être lourde de conséquence. Elle peut être considérée comme une simple formule permettant d’expliquer qu’il faille recourir à des mesures d’aide et à un suivi : dans ce cas les juges la viseront sans s’expliquer davantage. Mais elle peut être aussi interprétée comme restreignant le champ de la contrainte pénale à une population délinquante particulière, nécessitant un traitement spécialisé, plus soutenu ou plus rigoureux, en par exemple d’une désocialisation accentuée, d’une addiction aux stupéfiants ou à l’alcool, d’une pathologie psychiatrique… Si tel était le cas, la contrainte pénale risquerait d’être rapidement un échec, car dans l’esprit des juges, elle ne serait pas considérée comme une sanction « généraliste » - à l’égal du sursis avec mise à l’épreuve - mais comme une peine particulière et subsidiaire.
Les termes employés - « accompagnement socio-éducatif » - sont en revanche intéressants dans la mesure où ils définissent l’esprit de la contrainte pénale (le terme est attaché ordinairement à certaines mesures de contrôle judiciaire, même si la loi n’utilise pas le terme à cette occasion) qui s’apparente au contrôle judiciaire socio-éducatif, mélange de contrainte, de suivi et l’aide avant jugement, confié le plus souvent à des associations spécialisées.

A la différence du sursis avec mise à l’épreuve, la contrainte pénale ne s’adosse pas à une peine d’emprisonnement. Elle existe par elle-même. L’emprisonnement ne lui est pas totalement étranger, mais il intervient au deuxième voire au troisième plan.

La contrainte pénale fait appel à trois institutions : le tribunal correctionnel (mais pas la cour d’assises, ni les juridictions pour mineurs), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et le juge de l’application des peines (JAP).
- première étape : le tribunal correctionnel. S’il prononce cette peine, il doit en fixer la durée : de 6 mois à 5 ans. Les modalités de la contrainte pénale vont être déterminées par le JAP après avis du SPIP. Mais le tribunal peut imposer immédiatement des obligations (par ex. l’indemnisation de la victime, une interdiction professionnelle, l’interdiction de rencontrer certaines personnes…). La contrainte pénale s’applique immédiatement (elle est « exécutoire par provision » prévoit le projet) même en cas d’appel ;
- seconde étape : le SPIP. Ce service est immédiatement saisi pour procéder à une « évaluation » permettant au juge de choisir les mesures appropriées et l’intensité du suivi. Le rapport est transmis au JAP ; 
- troisième étape : le JAP. Ce magistrat, à l’issue d’un entretien avec la personne condamnée décide par ordonnance des obligations et interdictions particulières. Un appel est possible devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel.

Les mesures de la contrainte pénale ressemblent à s’y méprendre à celles du sursis avec mise à l’épreuve. Au point que le projet de loi renvoie à l’article énumérant ses obligations et interdictions (C. pén., art. 132-45). La différence vient de deux innovations. Le JAP peut imposer un travail d’intérêt général, ce qui signifie, si l’on comprend bien, que le consentement du condamné ne serait plus exigé. Autre innovation, le JAP peut prononcer une injonction de soins si la personne a été condamnée à un délit passible d’un suivi socio-judiciaire (qui concerne principalement des infractions à caractère sexuel) et si une expertise médicale préalable figure au dossier. La question se pose de savoir si l’économie de cette peine de suivi socio-judiciaire va s’appliquer, avec notamment l’intervention du médecin coordonnateur faisant le lien entre le juge et la personne suivie.

Pendant le déroulement de la mesure le projet prévoit que la situation du condamné est réévaluée à intervalles réguliers par le SPIP et le JAP et ce, au moins une fois par an. La principale originalité de la contrainte pénale concerne les sanctions prévues en cas d’inexécution. Le projet attribue au JAP une compétence exclusive en cas de non respect des obligations pour renforcer le contenu des obligations, ou, si cela s’avère insuffisant, pour prononcer une peine d’emprisonnement. Le JAP peut en effet recourir à l’emprisonnement mais, précise le projet, « dans le seul cas » où le renforcement du suivi ou l’ajout de nouvelles mesures serait « insuffisant ».

Pour comprendre le mécanisme de la sanction d’emprisonnement, il est préférable d’utiliser un cas concret. Une personne est condamnée pour vol (peine encourue, 3 ans) à deux années de contrainte pénale. En cas d’inexécution des obligations, le JAP peut prononcer un emprisonnement-sanction qui ne peut excéder la moitié de la durée de la contrainte (1 an donc) ni le maximum de la peine encoure (3 ans). Il peut donc choisir entre 1 jour et 1 an. Le JAP peut, pendant toute la durée de la mesure, prononcer d’autres révocations-emprisonnements. Mais l’addition de ces différents emprisonnements ne peut excéder les limites précitées. Si celles-ci sont atteintes, la contrainte pénale prend fin. Le projet précise que le JAP peut, en cas de révocation, soit prononcer un emprisonnement classique, soit décider d’un régime particulier : bracelet électronique, semi-liberté, placement extérieur.

Les difficultés

Le projet a déjà essuyé de multiples critiques et rencontre un certain scepticisme notamment quant à sa faisabilité. Chaque innovation de ce type, chaque création d’une nouvelle peine connaît ce genre de difficultés. La contrainte pénale ne déroge pas à la règle. La principale en l’espèce est de l’ordre de la lisibilité.

Distinguer la contrainte pénale de la mise à l’épreuve

D’un point de vue juridique, la contrainte pénale se distingue nettement du sursis avec mise à l’épreuve. On peut en énumérer les différences, nombreuses à l’oeil du juriste.
- Le sursis avec mise à l’épreuve n’est pas considéré dans le code comme une peine à part entière mais comme une des modalités de l’emprisonnement, à l’égal du sursis simple. La pratique pourrait faire oublier ce qui n’est pas seulement une subtilité juridique : la mise à l’épreuve est définie en premier lieu comme un emprisonnement puis comme une possibilité donnée au condamné de l’éviter sous certaines conditions. Tant que le condamné accomplit les obligations imposées, l’emprisonnement n’est pas mis à exécution, mais en cas de violation de ces mesures ou de commission d’une nouvelle infraction, ce sursis peut prendre fin.
- Le domaine des deux sanctions est différent. Le sursis avec mise à l’épreuve est applicable quelle que soit l’infraction poursuivie (même un crime) : son champ d’application se définit par la peine prononcée et non par la peine encourue. Il peut être prononcé, par exemple, pour un crime dès lors que la cour d’assises descend dans l’échelle des peines jusqu’à 5 ans ou mois. La contrainte pénale, elle, ne pourra être prononcée pour un crime. De plus, la contrainte pénale, en l’état, semble réservée à une population nécessitant un suivi particulier alors que le sursis avec mise à l’épreuve est une peine généraliste.
- La durée de la mise à l’épreuve est de 1 à 3 ans (5 ans en cas récidive, 7 en cas de double récidive) et le juge de l’application peut prolonger le délai d’épreuve d’une durée de trois ans maximum. La durée de la contrainte pénale, elle, est de 6 mois à 5 ans et ne peut être prolongée.
- Le système de révocation du sursis avec mise à l’épreuve est très différent de celui de la contrainte pénale examiné précédemment. Il peut être révoqué aussi bien par le tribunal que par le JAP. Le tribunal est compétent, après avis du JAP si la personne est condamnée à une peine d’emprisonnement pendant la durée du temps d’épreuve. Le JAP, lui, peut prononcer une révocation si le condamné ne satisfait pas aux mesures imposées ou en cas de nouvelle condamnation. Il n’y a aucune automaticité dans ces décisions. La justice dispose à chaque fois d’une grande marge de manoeuvre. Ces révocations peuvent être totales ou partielles mais la révocation partielle ne peut être ordonnée qu’une fois.
On voit donc qu’à l’examen des principales caractéristiques de chacune de ces peines, sursis avec mise à l’épreuve et contrainte pénale, des différences substantielles apparaissent. Mais sont-elles suffisantes pour donner à chacune d’elles une lisibilité ? L’opinion publique risque d’être peu sensible à ces distinctions qu’un juriste a parfois du mal à comprendre. La fusion des deux peines à plus ou moins long terme n’est donc pas à exclure et apparaît même souhaitable.

Les mesures de milieu ouvert ne sont pas une garantie absolue contre la récidive

Dans les premières rafales de critiques, est apparue l’absence de fiabilité des mesures de milieu ouvert. Les opposants à la contrainte pénale disposent d’une longue liste d’affaires criminelles graves commises par des personnes en cours de contrôle judiciaire, de libération conditionnelle, sous bracelet électronique, sous mise à l’épreuve, en semi-liberté. « Une longue suite de scandale », titre-t-on (Le Figaro, 30 août 2013). Dans chacune de ces affaires, il est toujours possible de rechercher des fautes et des défaillances des services chargés de l’exécution de ces mesures. Des enquêtes sont d’ailleurs parfois confiées aux différents corps d’inspection compétents. Le manque de moyens est le plus souvent dénoncé. Mais il ne faut pas oublier que, pas plus que pour l’emprisonnement, la condamnation en milieu ouvert, quelle que soit sa forme, n’est une garantie absolue. Toute peine présente un risque. Aucune n’est une garantie absolue contre la récidive. Personne ne pourra jamais promettre qu’une personne sous contrainte pénale ne commettra plus jamais de crime ou de délit pendant la durée de la mesure. Il est en revanche certain que le risque de récidive est plus faible pour les personnes placées en libération conditionnelle ou en probation.

Un renforcement des moyens

Dans le projet de loi, les SPIP se voient confier une lourde charge de travail supplémentaire. Ils interviennent lors du prononcé de la mesure, mais aussi lors des réévaluations de situation et à l’occasion de toutes les modifications de la contrainte pénale décidées par le juge de l’application des peines. Les JAP vont voir leurs taches augmenter dans des proportions équivalentes.
Or, on compte, en 2011, 375 postes de JAP censés s’occuper de 250 000 dossiers de milieu ouvert et de 50 000 dossiers en milieu fermé. Cette charge de travail ne cesse de croître en raison de l’augmentation du nombre de peines, de l’accroissement des compétences de ce juge, de la création de nouvelles mesures de suivi et de l’allongement de leur durée. Les 4 250 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) regroupés au sein de 103 SPIP gèrent pour chacun d’eux en moyenne entre 80 et 130 dossiers (chiffres extraits du rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le suivi des auteurs d’infractions à caractère sexuel, présenté par Etienne Blanc, enregistrée le 29 février 2012), alors qu’il devrait en suivre au maximum une soixantaine selon les normes officielles. Le nombre de mesures de sursis avec mise à l’épreuve qui leur sont confiées ne cesse de croître : au 31 décembre 2006, 117 225 mesures étaient en cours ; au 31 décembre 2010, 143 670. Pour faire face à leurs nouvelles attributions, il est prévu la création de 300 postes de CPIP en 2014 et de 150 supplémentaires en 2015 (Interview du garde des Sceaux, Le Monde, 31 août 2013). L’effort budgétaire est considérable, d’autant qu’une augmentation du nombre de JAP est également prévue. S’il permettra à coup sûr de rétablir une situation aujourd’hui intenable, suffira-t-il à absorber le volume des nouvelles peines? Beaucoup dépendra de l’attitude des magistrats à l’égard de cette nouvelle peine. 

Faire changer les habitudes judiciaires

Créer une nouvelle peine suppose de convaincre une opinion publique, un parlement et des juges. La tâche la plus difficile n’est pas celle qu’on imagine. Dans le monde de la justice, les innovations mettent toujours beaucoup de temps à entrer en pratique, devant se frayer un chemin au milieu de longues habitudes et du conservatisme ambiant. La contrainte pénale n’est pas conçue comme une alternative à la prison mais elle devra faire sa place parmi toutes les autres peines. Et il ne serait pas mauvais que, sans être une alternative, elle empiète un peu sur la place exorbitante de la prison. Si les tribunaux ne « croient » pas en la contrainte pénale, ils ne la prononceront pas. Ou elle restera une peine marginale, comme le TIG, qui après trente années d’application, n’est pas prononcé plus de 25 000 fois chaque année (15 936 TIG en 2010 et 9 301 sursis TIG, source, annuaire statistique de la justice 2011-2012). La meilleure façon de convaincre les juges sera de les persuader du sérieux de la peine, avec un domaine précis, une claire distinction des autres peines et un personnel suffisamment nombreux pour mettre en oeuvre les mesures dès leur prononcé.

La peine de contrainte pénale, telle qu’elle est aujourd’hui présentée dans sa toute première mouture (avant les multiples discussions et modifications dont elle fera nécessairement l’objet, ne serait-ce que lors des travaux parlementaires), a l’immense mérite d’exister. La discussion publique portait essentiellement jusqu’à présent sur la prison. Même les mesures d’aménagement de peine étaient conçues, pensées et appliquées en fonction de la problématique des prisons, dans le souci de les désengorger. Le débat sur la contrainte pénale permet enfin de nous transporter ailleurs. Le projet actuel présente certes des imperfections. Il ne pouvait en être autrement puisqu’il a été le fruit de nombreux compromis et l’occasion de fortes tensions. Il reste donc, une fois posé le principe de cette nouvelle peine, à la faire évoluer vers les principes dégagés par le conseil de l’Europe pour faire de la probation une vraie sanction généraliste qui puisse être le levier d’une réforme bien plus ambitieuse. 
 

* Leur liste serait trop longue. Citons pour mémoire les lois suivantes :
- 2005, loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions
- 2007, loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
- 2008, loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
- 2010, loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale
- 2011, loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 dite Lopssi 2 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure même si le principe de la prison comme dernier recours était également inscrit dans la loi.