Trompettiste et compositeur réfractaire à l'idée de frontières en matière musicale, Ibrahim Maalouf, né à Beyrouth en 1980, a grandi en France où ses parents se sont réfugiés, peu après sa naissance, pour fuir la guerre. Il a trouvé son idéal et poursuit sa quête de musicien avec une trompette singulière à quatre pistons, inventée par son père dans les années 1960, permettant de jouer les quarts de ton propres aux modes orientaux.
Après une formation et un parcours de musicien classique, il a coloré des sonorités originales de sa trompette orientale les mondes de la chanson (Vincent Delerm, Lhasa de Sela, Amadou & Mariam, Thomas Fersen, Jeanne Cherhal...) et créé ses propres univers. Des propositions tissées d'éclectisme.
Son passionnant troisième album, Diagnostic, paru en septembre 2011, fait entendre le son des fanfares balkaniques et de la salsa, cite Michael Jackson et invite le rappeur Oxmo Puccino. Il est classé en tête des ventes de jazz, en France, au troisième trimestre 2011, devant Keith Jarrett et Youn Sun Nah, d'après les chiffres du Syndicat national de l'édition phonographique.
Le musicien franco-libanais, actuellement en tournée, se produit à La Cigale à guichets fermés et présentera le 5 juin 2012 au Festival de Saint-Denis, en banlieue parisienne, une création pour trompette à quarts de ton, orchestre et choeur d'enfants.
Peut-on vous reprocher de vous éparpiller ?
Je suis fait de cet éclectisme. J'aime la salsa, le hard rock, le hip-hop, Michael Jackson, les musiques des Balkans... Dans le premier album, Diasporas (2007), je reprenais un titre de Dizzy Gillespie, dans le deuxième, Diachronism (2000), un titre de Fairouz.
Qu'est-ce qui fait le lien entre ces différentes visions ?
L'instrument dont je joue, cette trompette fabriquée en prototype vers 1964-1965 pour la première fois, avec laquelle j'ai trouvé mon son. Un son que j'ai dû modifier au conservatoire de Paris. Quand mon prof me disait : "Ibrahim, tu as un son en carton", je m'adaptais à la demande. Je travestissais mon son le temps des concours. Une fois ceux-ci passés, je récupérais ma manière de jouer. Le conservatoire m'a apporté beaucoup de rigueur, apprise déjà par mon père, mais j'ai su garder mes distances. Il ne faut pas tomber dans le piège de la rigueur qui vous bride.
Est-ce l'invention de votre père qui vous a mis sur votre chemin ?
Sans aucun doute, mais il est vrai que j'étais aussi tenté par des études d'architecture et en fait... c'est grâce à Ben Laden si j'ai choisi la musique. (Rires.) En 2001, je me suis inscrit à un concours de trompette aux Etats-Unis (National Trumpet Competition) qui devait se passer en 2002, et j'avais décidé d'en profiter pour aller voir les Twin Towers dont j'étais fan depuis mon enfance. Je n'arrêtais pas de les dessiner et je collais ces reproductions sur le mur de ma chambre. Quand elles sont tombées, cela a eu un impact très fort au niveau symbolique pour moi qui avais vécu comme un traumatisme la destruction de Beyrouth et rêvais d'y construire des tours comme celles-ci. Je me suis rendu compte que mes tours risqueraient toujours d'être détruites par une guerre, alors que ma musique, elle, était à l'intérieur de moi. Personne ne pouvait me la prendre. Ma décision était prise.
Ibrahim Maalouf. En concert à Paris, le 20 janvier (La Cigale, complet ; concert supplémentaire le 20 octobre). Autres dates : Saint-Etienne (42), le 22 janvier ; Ramonville (31), le 26 ; Béziers (34), le 27 ; Perpignan (66), le 28 ; Evry (91), le 17 mars ; Puteaux (92), le 19 (Chorus des Hauts-de-Seine). Sur le Web : www.ibrahimmaalouf.com.
CD "Diagnostic"/Mi'ster Productions/Harmonia Mundi.
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