Antoine Dauvergne, serviteur oublié du baroque français

Au siècle des Lumières, Antoine Dauvergne eut un rôle pivot et une carrière féconde. Mais qui se souvient du compositeur ? L'Opéra royal de Versailles le remet à l'honneur ce samedi 19 novembre.

Par Gilles Macassar

Publié le 18 novembre 2011 à 00h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h47

Cette année encore, le Centre de musique baroque de Versailles ne faillit pas à sa vocation patrimoniale en ressuscitant le nom à peu près complètement oublié d'Antoine Dauvergne, et en exhumant des œuvres représentatives de son catalogue et de son style, jamais reprises depuis leur création. Avec un tel patronyme, on ne s'étonnera guère que ce compositeur soit né à Moulins, dans l'Allier, en 1713, trente ans après Jean-Philippe Rameau. D'une belle longévité, il s'éteint en 1797, dix ans après le chevalier Gluck. Entre ces deux figures tutélaires de l'histoire de l'opéra, Antoine Dauvergne remplit un rôle de passeur, secondaire mais non subalterne. Rôle intermédiaire des plus mal récompensés, aux oreilles de ses contemporains comme de la postérité !

Les tenants de la tragédie à l'ancienne, héritée de Lully et continuée par Rameau, lui reprochent ses concessions opportunistes aux nouvelles formules en vogue ; les partisans du drame lyrique réformé par Gluck se détournent d'un artisan trop timoré, prisonnier de l'ancien régime esthétique et de son étiquette surannée de spectacle de cour - un retardataire qui n'a pas su rallier la révolution en marche. Même le succès des Troqueurs, seul ouvrage à lui avoir survécu dans les milieux informés, repose sur un malentendu. Créé à l'Opéra-Comique en 1753, cet opéra-bouffe, avec ses récitatifs chantés dans la veine de La Servante maîtresse de Pergolèse, semble, en pleine querelle des Bouffons, prendre le parti de la musique italienne. Il s'agit en fait d'une exception dans le catalogue de Dauvergne, sans conséquence ni suite.

Rameau pour parrain
Le parrainage chaleureux reçu de Rameau par Dauvergne, dès ses premières compositions, lui prescrit une feuille de route impérative : maintenir la suprématie et la spécificité de la tragédie lyrique à la française, telle que le tandem Lully-Quinault en a profilé l'équilibre parfait, entre déclamation, divertissements dansés, intermèdes orchestraux. Dauvergne s'y emploie à un double titre : comme compositeur de tragédies sérieuses et comme directeur de l'Académie royale de musique. A ce deuxième poste, occupé de 1769 jusqu'aux premières heures de la Révolution, il maintient résolument un répertoire de titres anciens - ceux de Lully et de ses continuateurs immédiats, Marin Marais ou Campra, ceux de Destouches, et bien sûr ceux de Rameau. Quitte à les rafraîchir et à les toiletter, en les étêtant de leurs prologues devenus inactuels, en remplaçant les ouvertures par des musiques plus modernes, dont les auditions du Concert spirituel, que dirige aussi Dauvergne, donnent un avant-goût.

Excellent violoniste, dans la lignée d'un Locatelli ou d'un Leclair, Dauvergne s'efforce, comme compositeur, à maintenir la tradition lyrique héritée du grand siècle. Notamment par le choix de ses sujets, tirés de la mythologie grecque et romaine - d'Enée et Lavinie à Polyxène, de Canente, victime de la magicienne Circé, à Hercule mourant, recréé aujourd'hui pour la première fois. Signés Houdar de La Motte ou Marmontel, les livrets de Dauvergne laissent les dieux de l'Olympe en coulisse. C'est un progrès dramaturgique. Gluck sera encore plus radical : dans son Orphée et Eurydice, plus de Charon, de Proserpine ni de Pluton, comme dans l'Orfeo de Monteverdi, au siècle précédent. Cette avancée offre à la mythologie sa chance de survie sur la scène lyrique du XIXe siècle, des Troyens d'Hector Berlioz à la Déjanire de Camille Saint-Saëns, et même jusqu'à la Perséphone du tandem André Gide-Igor Stravinsky. A la différence des cratères de sa région natale, Antoine Dauvergne n'est sans doute pas un volcan éteint.

 A voir
Hercule mourant, dir. Christophe Rousset, samedi 19 novembre 2011à l'Opéra royal du château de Versailles.
Tél. : 01-30-83-78-89. Ce concert fera l'objet d'un enregistrement discographique et sera diffusé sur France Musique le 11 janvier 2012.

A lire
Antoine Dauvergne, une carrière mouvementée dans la France musicale des Lumières,
de Benoît Dratwicki, éd. Mardaga, 480 p., 39 €.

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