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La "Tétralogie" du Met s'achève dans la banalité

Distribution de rêve mais mise en scène décevante, "Le Crépuscule des dieux" sera diffusé au cinéma le 11 février.

Par Renaud Machart

Publié le 06 février 2012 à 13h29, modifié le 06 février 2012 à 17h59

Temps de Lecture 6 min.

En seize mois, le Metropolitan Opera de New York ("Met") aura bouclé le cycle complet de la Tétralogie (un "festival scénique", constitué d'un prologue, L'Or du Rhin, et de trois "journées", La Walkyrie, Siegfried, Le Crépuscule des Dieux), de Richard Wagner (1813-1883), dans la production très attendue et très commentée du metteur en scène canadien Robert Lepage.

Celle-ci, hautement technologique, a nécessité une armada informatique destinée à commander l'élément de décor unique - mais métamorphosable à l'infini - que les spectateurs ont vu sur la scène du Met depuis l'ouverture de la Saison 2010-2011 (Le Monde du 30 septembre 2010). Ce dispositif consiste en une sorte de clavier de 24 lattes articulées qui peut, comme certains personnages de la Tétralogie, prendre des allures diverses, du simple mur d'équerre au grand escalier suspendu dans les airs, sur lesquelles certains personnages, ou leurs doublures incarnées par des acrobates, évoluent.

Représentation du

Cette machinerie high-tech s'est révélée tellement lourde, aux sens propre et figuré, que le Met a dû renflouer le budget déjà colossal (estimé à 16 millions de dollars) de cette production et renforcer la scène pour supporter, sans crainte d'effondrement, les 45 tonnes de ce monstre énigmatique qui semble sorti de 2001 : l'Odyssée de l'espace (1968), de Stanley Kubrick.

Les répétitions, pendant l'été 2010, s'étaient tenues à huis clos et n'avaient ouvert leurs portes qu'à quelques journalistes, dont ceux du New York Times et du Monde. Robert Lepage avait alors déclaré : "La préparation et l'automation ont donné beaucoup de fil à retordre à mes collaborateurs, mais il n'est pas question d'en faire une affaire technologique mais poétique."

Cependant, la première de L'Or du Rhin, le 27 septembre 2010, avait été gâchée par un incident fâcheux et passablement comique, étant donné la haute technologie affichée de l'appareillage de quelque vingt stations informatiques : quelques minutes avant la fin, le système de sécurité s'était par erreur bloqué alors que les personnages devaient se hisser vers le Walhalla, la demeure des Dieux, en parcourant un arc-en-ciel figuré par des projections lumineuses électroniques sur les lattes. Au lieu de quoi on vit, sans d'abord vraiment comprendre ce qui se passait, les chanteurs quitter la scène dans la pénombre par la coulisse.

Représentation de

Triste accroc pour une technologie qui faisait les gorges chaudes de ses créateurs et des commentateurs mais avait eu raison de la poésie promise par le metteur en scène.

Depuis, les choses se sont arrangées. Mais quiconque verrait cette seule dernière "journée" du vaste cycle wagnérien (quelque quinze heures de musique en tout), à l'affiche du Met depuis le 27 janvier, serait très déçu par la proposition scénique de Robert Lepage. Apothéose, certes, du récit général, dont Wagner a lui-même rédigé le livret, Le Crépuscule des dieux est en fait une suite de longues scènes d'une relative intimité : duos, trios, ensembles, et quelques moments plus dramatiques avec choeur. De sorte que ce dispositif est en fait requis a minima et se contente de faire tapisserie en restant à la verticale derrière les chanteurs qui semblent, la plupart du temps, livrés à eux-mêmes à l'avant-scène.

Certes, les projections raffinées d'images électroniques (abstraites ou figurant des torrents, falaises et forêts) apportent de la variété, mais elles ne compensent pas l'aspect très traditionnel et réaliste des éléments de décor (mobilier, statues) et des costumes, très laids, qui, pour ce qui concerne les choristes, semblent sortis du magasin à accessoires d'une vieille dramatique télévisée de l'ORTF, dans le genre Jacquou le croquant...

Dans la scène où Brünnhilde et Siegfried sont assis au bord de l'une des touches de ce clavier articulé, on ne peut s'empêcher de craindre, tout en s'en amusant un peu, qu'une fausse manipulation de l'électronique déclenche la fonction "siège éjectable" et les envoie promener dans les cintres... Ce sentiment de danger est renforcé par les grincements inquiétants que produit parfois la machinerie.

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On attendait aussi autre chose, pour la conclusion du cycle, qu'une Brünnhilde enfourchant un cheval d'acier qui semble à peine mieux que la version articulée d'un animal de bois pour manège mécanique. A l'issue de L'Or du Rhin, on s'était demandé dans quelle mesure Lepage faisait se confronter la haute technologie et le vocabulaire des lieux communs de l'Opéra. S'il faut se réjouir que le Canadien n'ait pas détourné le sens de l'ouvrage, il faut tristement convenir qu'il n'a pu échapper aux conventions les plus plates du genre.

Représentation du

En revanche, il faut saluer une distribution exceptionnelle, parmi les meilleures qu'on puisse réunir aujourd'hui. Les deux rôles principaux sont distribués en alternance à Deborah Voigt ou Katarina Dalayman (Brünnhilde) et à Jay Hunter Morris ou Stephen Gould (Siegfried). Gould est certes un peu raide de voix et de style (on est loin de la subtilité de Torsten Kerl, à l'Opéra de Paris, en juin 2011), mais il campe un Siegfried solide. Dalayman, entendue également en ce rôle à Paris, dans la consternante production de Günter Krämer, est une Brünnhilde d'une puissance extraordinaire, cette fois sans presque aucune stridence. Elle incarne une très belle scène avec Waltraud Meier, wagnérienne de légende, dans la scène où Brünnhilde retrouve Waltraute, sa Walkyrie de soeur. Autre duo exceptionnel, celui des voix d'or d'Eric Owens (Alberich) et Hans Peter König (qui était aussi le Hagen de l'Opéra de Paris), d'une autorité vocale et scénique soufflante.

Le grand absent de ce Crépuscule, comme de la plus grande partie de cette Tétralogie, est le chef d'orchestre James Levine, directeur musical du Met depuis 1968. Ses problèmes de santé à répétition l'ont contraint à annuler non seulement ces représentations mais aussi tout le reste de la saison. (Il a dû aussi démissionner de son poste de directeur musical de l'Orchestre symphonique de Boston.) Son remplaçant, l'Italien Fabio Luisi, assure une parfaite conduite du drame et éclaire la partition par une lecture nette et sûre. Mais il n'a pas l'aura, le mystère, la force dramatique et poétique de son aîné. Pour tout dire, on s'est assez profondément ennuyé pendant les six heures de ce spectacle, en dépit d'un orchestre du Met d'une splendide richesse sonore.

Les spectateurs français verront ce Crépuscule des dieux le 11 février, diffusé en direct sur les écrans des cinémas Gaumont-Pathé, et les wagnériens patentés pourront, en avril et mai, faire le voyage outre-Atlantique afin d'assister au cycle entier de la Tétralogie. Ils pourront alors vraiment juger du travail de Lepage.

Mais, selon nous, il semble que cette production laissera un sentiment d'échec d'autant plus fort que les promesses – ou les attentes – étaient grandes. On est un peu triste de devoir formuler ce constat, car Lepage est l'auteur de mises en scène d'opéra parmi les plus poétiques qui soient, dont sa Damnation de Faust, de Berlioz, produite par l'Opéra de Paris en 2001, d'une beauté et d'une imagination scéniques souveraines, ou, plus récemment, Le Rossignol et autres fables, de Stravinsky, présenté à l'Opéra de Lyon et au Festival d'Aix-en-Provence en 2010.


Le Crépuscule des dieux (Götterdämmerung), de Richard Wagner. Maria Radner, Elizabeth Bishop, Heidi Melton (les trois Nornes), Katarina Dalayman (Brünnhilde), Stephen Gould (Siegfried), Ian Paterson (Gunther), Hans-Peter König (Hagen), Wendy Bryn Harmer (Gutrune), Waltraud Meier (Waltraute), Eric Owens (Alberich), Erin Morley (Woglinde), Jennifer Johnson Cano (Wellgunde), Tamara Mumford (Flosshilde), Choeur et Orchestre de Metropolitan Opera de New York, Fabio Luisi (direction), Robert Lepage (mise en scène), Metropolitan Opera, le 3 février.

Diffusion le 11 février à 18 heures, dans les cinémas Gaumont Pathé, avec Deborah Voigt (Brünnhilde) et Jay Hunter Morris (Siegfried). 27 €. Durée du spectacle : 5 heures 50.

Sur le Web : Cinemasgaumontpathe.com.

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