Dessalement, un nouvel Eldorado
À Oman, presque toute l’eau consommée a été dessalée… comme dans tous les pays du golfe Persique. Un marché promis a un très fort développement au cours des prochaines années.
Une zone industrielle en bord de mer, au nord-ouest de Mascate, la capitale du sultanat d’Oman. La centrale à cycle combiné gaz Barka 2 est dotée de l’une des six usines de dessalement de cette monarchie pétrolière. Elle produit 15 % de l’eau du pays, soit 120 000 m3 par jour, avec seulement sept personnes présentes en permanence sur le site. Conçue et construite par Degrémont, filiale de Suez Environnement, elle est exploitée par Stomo, une filiale de GDF-Suez. Le groupe français est très présent au Moyen-Orient dans l’exploitation des centrales électriques parfois couplées à des usines de dessalement.
Trois kilomètres de « pipes » amènent l’eau de la mer à l’usine. « Pour éviter les algues rouges, nous pompons l’eau sous la mer », explique Abdullah Al Rawahi, le directeur des opérations de Barlka 2. Des filtres éliminent poissons, coquillages… Des tableaux indiquent en temps réel le niveau de pureté de l’eau. Un autre prévient un éventuel dégazage d’un bateau. Dans ce cas, tout est arrêté. « Mais ce n’est encore jamais arrivé depuis la mise en service de l’usine, il y a quatre ans », précise notre guide.
Un compresseur envoie l’eau dans une cartouche à double filtration composée de plusieurs couches de sable, de carbone et de cailloux. Ce prétraitement comprend des filtres de pression horizontale. L’eau obtenue par cette filtration avec le procédé membranaire est très pure. Des pompes permettent de sortir l’eau salée, la saumure (57 litres sur 100) est recyclée dans le circuit de refroidissement de la centrale électrique avant d’être rejetée dans la mer. Après une seconde filtration, « cette eau est beaucoup trop pure pour être consommée ainsi, précise Abdullah Al Rawahi. On y ajoute du fluor, du calcium, du sodium, des antibactériens ». Le cycle complet dure environ une heure.
Des unités de grande capacité
Dans le sultanat, 90 % de l’eau consommée provient des usines qui transforment l’eau de mer en eau douce. « Le Moyen-Orient est le plus gros marché du monde, il est en croissance de 5 % par an », précise Johan Van Kerrebroeck, le vice-président de GDF-Suez pour Oman, le Qatar et l’Arabie saoudite. Un marché plein d’avenir ! « Le marché mondial atteindra 8 milliards de dollars cette année et 10 milliards en 2015. On envisage une croissance à deux chiffres jusqu’en 2025 », souligne Rémi Lantier, le directeur général de Degrémont.
Une croissance qui s’explique par la situation de stress hydrique dans le bassin méditerranéen, en Californie, dans les pays du Golfe, en Chine du Nord, en Inde du Sud, au Chili, en Australie et en Afrique du Sud. L’autre facteur renvoie au fort accroissement de la population urbaine, qui vit proche des mers. Près de 300 millions de personnes dans le monde sont déjà alimentées en eau par le dessalement. Quelque 17 000 usines sont en fonctionnement sur la planète. Un dixième du parc est constitué par des unités de grande capacité : il s’en construit 10 à 20 par an, la plupart dans les pays du golfe Persique.
Sur ce marché très prometteur, la France, peu concernée par le dessalement sur son territoire, est plutôt bien placée. Veolia et Suez Environnement ont signé ces derniers mois des contrats pour des prototypes d’usines de dessalement moins énergivores et utilisant les énergies renouvelables à Masdar, future ville nouvelle et écoville de l’émirat d’Abou Dhabi. Les deux « utilities » français font partie des leaders du marché mondial du dessalement au même titre que le coréen Doosan, l’américain General Electric et l’israélien IDE Technologies.
Veolia et Suez Environnement sont des intégrateurs. « Nous construisons des usines clés en main. Nous utilisons beaucoup d’équipements du monde entier et de France qui viennent d’entreprises de spécialité mais aussi de PME produisant des équipements industriels », précise-t-on chez Suez Environnement. Les deux groupes français détiennent 25 % du parc mondial. Veolia, Suez Environnement et Doosan disposeraient même de la moitié du parc des installations supérieures à 100 000 m3. Veolia réalise actuellement l’usine de dessalement du complexe pétrochimique Sadara de Jubail, en Arabie saoudite, qui sera opérationnelle en 2015. Récemment, il a signé des contrats pour un site pouvant traiter 500 000 m3 d’eau de mer au Koweit et un autre en Irak.
« Avec des technologies moins énergivores et plus propres, le marché pourra atteindre 100 milliards de dollars dans quinze ans », prédit Guillaume de Souza, le PDG d’Adionics qui est associée à Suez Environnement sur le contrat de Masdar. Adionics a développé une technologie appelée AquaOmnes. L’extraction du sel est assurée grâce à un procédé de déionisation liquide. Avec une telle technologie, l’usine sera plus compacte et, surtout, elle consommera trois fois moins d’énergie qu’une usine fonctionnant avec le procédé de l’osmose inverse [lire ci-dessus]. « C’est maintenant qu’il faut être bien placé, car il y aura une rupture technologique », prévient Guillaume de Souza.
Une eau à très haute température
D’autres technologies sont en cours de développement, comme l’osmose directe, la distillation membranaire… Le marché reste dominé par les deux technologies traditionnelles. L’osmose inverse, proposée entre autres par les deux utilities françaises, consomme tout de même 30 % d’énergie de moins par rapport à la distillation thermique.
Outre sa forte demande en énergie, le dessalement perturbe également les écosystèmes marins avec les rejets d’une eau très salée à une température élevée. « Notre industrie doit continuer à faire des progrès environnementaux, estime Jean-Michel Herrewyn, le directeur général adjoint de Veolia. On rejette l’eau à température trop élevée. Les systèmes de diffuseurs doivent être améliorés pour limiter l’impact en mer des rejets.»
Aujourd’hui, deux technologies…
L’osmose inverse, utilisée dans 75 % des capacités installées dans le monde, nécessite un traitement préalable de l’eau de mer pour la filtrer et la désinfecter. L’eau est envoyée sous pression à travers une membrane. Les molécules d’eau traversent la membrane, les sels en dilution sont retenus. Les usines utilisant cette technologie peuvent être couplées ou non à une centrale thermique.
La distillation thermique consiste à évaporer l’eau de mer. L’eau est chauffée. Seules les molécules d’eau s’évaporent, laissant en dépôt le sel et les autres substances contenues dans l’eau de mer. Il suffit de condenser la vapeur ainsi obtenue pour récupérer de l’eau douce. Les usines de dessalement utilisant cette technologie sont toujours couplées à des centrales thermiques, dont elles utilisent la chaleur résiduelle.
Les milliards de l’or bleu
- Usines de dessalement 17 000 dans le monde
- Marché mondial 8 milliards de dollars en 2014 (10 milliards de dollars en 2015 )
- Croissance +10% par an d’ici à 2025
- Consommateurs 300 millions de personnes