Pierre Dumayet, accordeur de silences

Le journaliste et écrivain Pierre Dumayet est mort aujourd'hui à Paris. Hommage.

Par Valérie Marin La Meslée

Pierre Dumayet en 1986 animait l'émission
Pierre Dumayet en 1986 animait l'émission "Le magasin littéraire" sur TF1. © TF1/Sipa

Temps de lecture : 4 min


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Pour certains, la pipe. Pour d'autres, le regard intensément bleu derrière les lunettes. Pour tous, la lecture. Si quelqu'un ne sait pas ce que lire veut dire, il n'a qu'à revoir l'une des émissions de Pierre Dumayet. Lequel, né à Houdan le 24 février 1923, a commencé très tôt ce qu'il nommait sa "seconde vie", "indépendante de notre vie quotidienne et de notre âge", où "tous les personnages sont égaux, parce que nous pouvons, également, faire appel à eux quand bon nous semble". Il dit cela dans son Autobiographie d'un lecteur avec ce ton amusé, ironique sur lui-même et la vie telle qu'elle va. Amusé, parce que mieux vaut la vivre ainsi, jusqu'à ce qu'on ne puisse plus. Et partir. Ce qui est arrivé dans la nuit du 16 au 17 novembre 2011, à Paris, rue de l'Université.

Un jour pas si lointain, il racontait qu'un jeune journaliste lui avait demandé ce qu'il regardait, lui, Pierre Dumayet, l'homme de Cinq colonnes à la une, lorsqu'il était enfant à la télévision. Le jeune journaliste avait oublié - ou jamais su - que Pierre Dumayet était déjà journaliste à la RTF (dès 1946), déjà avec Pierre Desgraupes, quand la télévision est née... Cette non-concordance des temps l'amusait. Dumayet n'était pas homme à geindre.

Lire, c'est vivre

Il a fait l'histoire de la télévision et, peu à peu, a dessiné un chemin singulier au service de la culture (qui d'autre pouvait réaliser une série intitulée "Pourquoi ça vous emmerde, la culture ?") Sur cette route, la littérature occupe une place de choix : Lectures pour tous, Lire, c'est vivre, Lire et écrire, etc. Un documentaire magnifique Relectures pour tous de son complice Robert Bober raconte les plus belles heures de ce compagnonnage audiovisuel avec les écrivains. Alors qu'il a été réalisé en 2007, aucune chaîne ne l'a diffusé. À titre posthume, laquelle d'entre elles se réveillera ?

Son amour immodéré de la lecture, de Proust, Flaubert, Balzac, mais aussi de Marguerite Duras, Peter Handke et tant d'autres, Dumayet a passé sa vie à le partager avec qui voulait bien, avançant d'une émission à l'autre au gré d'une seule maxime : "Je ne peux pas imaginer que ce qui m'intéresse vraiment n'intéresse personne d'autre que moi." Encore fallait-il avoir ce don du partage, il l'avait tant, mais sans déroger à ce qui constituait sa curiosité propre, infatigable, et tellement personnelle. Qu'il s'agisse des Joueurs de cartes de Cézanne ou Des goûts et des dégoûts, petit livre accompagné de dessins de son ami Pierre Alechinsky.

Silence

Le temps de la question, chez lui, était toujours accompagné de celui du silence. Qu'il ne redoutait pas, au contraire. Dans son dernier beau roman, le romancier Mia Couto nomme son jeune personnage "l'accordeur de silences", c'est le titre qu'il a donné à son livre (aux éditions Métailié). Il va si bien à Pierre Dumayet. Dans les silences de Madame Bovary qu'il disait pouvoir lire les yeux fermés, Dumayet a traqué tout ce que son si cher Flaubert avait laissé de mystère. Le chercheur impénitent avait quelque chose de l'enquêteur. Jusqu'à l'été dernier, l'étude de L'éducation sentimentale avait succédé à celle de Bovary. Chaque semaine, il travaillait avec son ami Pierre-Marc de Biasi sur le texte et les brouillons de Flaubert, le spécialiste (auteur de Gustave Flaubert. Une manière spéciale de vivre, prix de la biographie du Point) enregistrait leurs conversations. Ce qui donnera un livre à son image. Pas sage, insolite, d'une intelligence aux mille subtilités.

En toute chose, Dumayet savait trouver le cocasse. Il faut lire ses livres, à lui. Car il était aussi un écrivain. Il était heureux aux éditions Verdier qui ont publié la plupart de ses minces petits livres, tragi-comiques, comme la vie, que ce père de deux fils, Antoine, et le trop tôt disparu Nicolas, aimait. L'été, qui durait longtemps, se passait avec son épouse Françoise, peintre, lui lisant et écrivant, elle peignant perchée dans son atelier, au bord d'un étang. C'est là que Pierre Dumayet sera inhumé la semaine prochaine. La suivante, le Centre national des lettres lui rendra hommage. La maison n'est pas vide, elle est pleine d'amis et de livres, avec leurs personnages auxquels "nous pouvons, également, faire appel (...) quand bon nous semble".

Lire Pierre Dumayet :

La maison vide (Verdier). Extrait : "Les arbres sont des hêtres. La lumière est vive. L'allée est entretenue. Une jeune femme marche doucement, regarde ses pieds fouler les feuilles. C'est Nicole. Un pigeon s'envole. Elle ôte ses souliers, regarde en l'air du côté du pigeon. S'arrête : son pied droit lui fait mal. Elle l'aura posé sur un soldat de plomb. Non : c'est un capitaine, cassé, sans socle. Les épaulettes - ou les éperons - l'auront piquée. Nicole remet ses souliers, et demande s'il existe des sentiments en miniature."

La nonchalance (Verdier). Extrait : "C'est vrai qu'il nous faut tous les matins décider de sa vie, se dit Gustave. D'où sa lenteur."

Brossard et moi (Verdier). Extrait : "Ce qui me touche chez Brossard, c'est sa façon de se moucher. On dirait qu'il s'exorcise. Sa toux, au contraire, est fluette." "La plupart des gens, lorsqu'ils vous disent asseyez-vous se croient obligés de vous tenir compagnie. C'est transformer la courtoisie en politesse, et souvent, gâcher le plaisir de s'asseoir, qui est une action intime, assez secrète. La courtoisie consisterait à laisser l'invité s'asseoir tranquillement, à partir sur la pointe des pieds, quitte à revenir une ou deux minutes plus tard, pour prendre de ses nouvelles."

Commentaires (4)

  • Boulgakov

    Vous avez, évidemment, raison, mais il fallait comparer ces garçons remarquables à leurs homologues, à un Guillaume Durand, hélas, mais aussi à Taddéi, ce qui est un peu mieux.

  • lulu

    C'était une époque, nous avions de vrais journalistes, ils parlaient un français parfait, intelligents ils étaient imperméables au pouvoir en place, de vrais professionnels, ils se nommaient Georges de Caunes, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Claude Darget, de nos jours, il y a des "présentateurs", Pernault, Calvi, Ferrari, etc.

  • bgbret

    Loin des feux de la période télévisuelle actuelle ! Le goût du partage
    Le Dumayet nous a emmené près de la sensibilité de ses invités, un silence comme si nous devions réfléchir avant de parler. Loin du bruit actuel d'animateurs souvent incultes où ils apparaissent dans une mise en scène au détriment des invités.
    Question ? Pourquoi la télé aujourd'hui n'accouche pas de nouveaux talents ? Comme les politiques ils veulent durer.