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Grace Bumbry, la Vénus noire du Missouri

Grace Bumbry,qui fut la première chanteuse noire à Bayreuth en 1961, enseigne aujourd'hui son art à de jeunes chanteurs. Grace Bumbry (c) DR

La soprano entendue il y a deux ans dans Treemonisha de Scott Joplin fête ses 75 ans au Châtelet avec des chansons de Michel Legrand, Céline Dion et Charles Aznavour.

Dans son rire large fusent les harmoniques par milliers. À 75 ans, Grace Bumbry reste chanteuse jusqu'au bout des ongles. Lorsque sa voix parlée passe du grave profond aux aigus éthérés, on se souvient quelle soprano dramatique elle fut jusqu'à ses adieux à la scène. C'était à l'Opéra de Lyon, il y a déjà quinze ans de cela, dans Elektrade Strauss. «La France, explique-t-elle, a toujours été au centre de ma carrière. C'est là que j'ai fait mes débuts en 1960 à l'Opéra de Paris, dans Aïda. Là que je me suis retirée des scènes lyriques.» Quel meilleur endroit que le Châtelet pour célébrer ses 75 ans? Seule la salle parisienne avait réussi à la faire sortir de sa retraite pour endosser le rôle de la mère dans Treemonisha, l'opéra de Scott Joplin, en avril 2010. «J'ai été touchée par leur insistance. Et Treemonisha est le premier opéra noir écrit par un compositeur noir. Qui plus est, c'est une œuvre qui parle du bien-fondé de l'éducation.»

«Connais-toi toi-même»

L'éducation est au cœur de ses préoccupations depuis les années 1990. Celle qui reçut les conseils de Lotte Lehmann s'efforce aujourd'hui de transmettre son enseignement aux jeunes chanteurs. La première leçon qu'elle leur donne? «Connais-toi toi-même. Dans le chant, 90% de la voix repose sur l'aspect psychologique. Si l'on n'a pas confiance en soi, ou si l'on n'est pas tout de suite à même de reconnaître ses limites, on file droit dans le mur.»

Première chanteuse afro-américaine à se produire à l'Opéra de Paris en 1960, première à être admise dans le cercle - ô combien restreint - de Bayreuth en 1961 et par la même occasion première «Vénus noire» dans Tannhäuser de Richard Wagner, Grace reste femme de défis. «L'assistance était fébrile, se souvient-elle. J'étais une jeune soprano noire américaine de 24 ans, tout le monde m'attendait au tournant. Une part de moi préférait ne pas y songer. Pendant toute la représentation, je n'ai pensé qu'à une chose: Grace, si un metteur en scène aussi puissant que Wieland Wagner et un chef comme Wolfgang Sawallisch t'ont fait confiance, c'est que tu en es capable!»

Elle a été décorée par la Maison-Blanche pour l'ensemble de sa carrière un an tout juste après l'intronisation de Barack Obama. «Mais la question de la discrimination reste très présente à l'Opéra, considère-t-elle. Le problème s'est juste déplacé: combien de chanteurs asiatiques voyez-vous sur scène?» La faute, selon elle, au diktat des metteurs en scène. «La mise en scène est importante. Mais, au fond, l'opéra, c'est d'abord de la musique.»

Un don de Dieu

Elle se souvient de son enfance avec émotion. «J'ai grandi dans une petite ville du Missouri. Nous étions trois enfants d'une famille modeste mais heureuse. Nous n'avons jamais manqué de rien: j'ai appris très tôt à me réjouir de ce que nous avions. Ce fut une leçon pour toute ma carrière.» Comme pour ce jour où un phoniatre lui conseilla de se faire opérer pour un problème de nodule sur une corde vocale, pour pouvoir chanter Carmen six mois plus tard à Rome. «Je l'ai regardé et lui ai dit: mes cordes vocales sont un don de Dieu. Pas question d'y pratiquer la moindre incision.» Elle arrêta de chanter Carmen et ne reprit le rôle que quinze ans plus tard! «Aujourd'hui, les chanteurs se font opérer pour un oui ou pour un non. Cela résout rarement le problème. Si vous avez un problème sur une corde vocale, c'est que vous ne chantez pas correctement. Mieux vaut prendre un an ou plus et revoir toute la technique.»

À 75 ans, Grace Bumbry n'a plus la voix de ses grands rôles passés chez Strauss, Wagner et Verdi. Elle se lance toutefois un nouveau défi: reprendre à Paris deux artistes français qu'elle adore et dont elle respecte les qualités musicales: Michel Legrand et Charles Aznavour. «Comme tous les gens de l'opéra, j'ai longtemps été snob, regardant les autres répertoires de haut. Dieu merci, j'en suis revenue! Ne suis-je pas la mieux placée pour savoir ce que respect veut dire?»

Concert ce soir à 20 heures, au Châtelet, place du Châtelet, Paris I er. www.chatelet-theatre.com

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