Le sport européen à l'heure nazie

Le Mémorial de la Shoah revient sur les enjeux et les pratiques du sport en Europe entre 1936 et 1948.

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Athlète au disque, photographie de Liselotte Grschebina, 1937. Liselotte Grschebina, photographe juive allemande, quitte l'Allemagne nazie en 1934 pour s'installer à Tel-Aviv.
Athlète au disque, photographie de Liselotte Grschebina, 1937. Liselotte Grschebina, photographe juive allemande, quitte l'Allemagne nazie en 1934 pour s'installer à Tel-Aviv. © Musée d'Israël

Temps de lecture : 3 min

"Il faut les voir, ces athlètes squelettiques au visage terreux, à l'échine toujours courbée, ces crânes chauves et luisants, ces yeux pleins de panique, ces plaies purulentes, toutes ces marques indélébiles d'une humiliation sans fin, d'une terreur sans fond...". En 1975, Georges Perec imagine W : une île coupée du monde, entièrement dévouée à l'entreprise olympique ; une communauté dont la vie est rythmée par les compétitions, et où le sport est l'instrument privilégié de l'asservissement des corps et des esprits*.

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Cette utopie cauchemardesque s'incarne, terriblement réelle, dans la très belle exposition que le Mémorial de la Shoah consacre au "Sport européen à l'épreuve du nazisme". Des JO de Berlin en 1936 - maintenus par le Comité international olympique malgré les appels au boycott - à ceux de Londres en 1948, jeux de la liberté retrouvée et de l'austérité, elle parcourt les enjeux et les pratiques de ces années sombres. Et rend, ce faisant, au monde sportif une page d'histoire que, aujourd'hui encore, il tend à ignorer.

Symétries

On y découvre le raffinement du sport devenu torture : les simulacres de course imposés aux habitants du ghetto de Terezin, les séances de gymnastique jusqu'à l'épuisement à Varsovie ou le destin d'Alfred Nakache, champion du monde de natation déporté à Auschwitz, à qui l'on ordonne de nager au fond d'une citerne d'eau croupie et glacée. Mais aussi, dans les camps d'internement de Gurs ou de Ferramonti, la création par les prisonniers de "baraques sportives" - faites, elles, pour résister et continuer de vivre.

Symétriquement, l'exposition déconstruit l'embrigadement des corps par les régimes nazis et fascistes : le vaste programme sanitaire lancé par l'Italie de Mussolini, l'aryanisation du sport sous l'Allemagne nazie. "Le jeune Allemand, écrit Hitler dans Mein Kampf, doit être mince et élancé, agile comme un lévrier, résistant comme le cuir et dur comme l'acier de Krupp" -, dès 1933, un Reichssportführer est nommé qui fait du sport une obligation pour tout Allemand et épure les organisations sportives. Les athlètes juifs sont alors nombreux à se réfugier dans le Schild, club sportif de l'Association des vétérans juifs d'Allemagne, tandis que se développent les Maccabiades, jeux olympiques exclusivement juifs, d'inspiration sioniste.

Portraits

Pour faire droit à la complexité du sujet, les commissaires de l'exposition ont pris le parti de donner une large place aux parcours individuels des athlètes. Comme Helene Mayer, "mischlinge" (demi-juive) par son père, selon les lois de Nuremberg, radiée de son club sportif, expatriée en Californie, mais que Berlin rappelle pour les Jeux de 1936 et qui, sur la deuxième marche du podium, fait le salut nazi. Ou Luz Long, parfait aryen aux yeux bleus et cheveux blonds, battu par le Noir américain Jesse Owens à l'épreuve de saut en longueur : il le félicite publiquement, lui levant haut le bras devant la tribune officielle - le geste ne lui sera pas pardonné.

C'est encore Daniel Prenn et Gottfried von Cramm, deux champions de tennis dont la carrière est brisée net par le régime nazi : le premier est juif, le second aristocrate et homosexuel. Le boxeur Victor "Young" Perez, juif tunisien, lui aussi déporté à Auschwitz, contraint par les SS de lutter avec un poids lourd allemand - le match est interrompu pour éviter sa victoire, et finalement exécuté. "Il faut les voir, écrivait Georges Perec, ces athlètes qui, avec leurs tenues rayées, ressemblent à des caricatures de sportifs 1900, s'élancer coudes au corps, pour un sprint grotesque. Il faut voir ces lanceurs dont les poids sont des boulets, ces sauteurs aux chevilles entravées, ces sauteurs en longueur qui retombent lourdement dans une fosse emplie de purin." Le voyage terrifie, mais passionne.

*Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance, Gallimard.

Le sport européen à l'épreuve du nazisme, des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948), Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-l'Asnier, 75 004 Paris. Jusqu'au 18 mars 2012.

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Commentaires (19)

  • dolie

    Si l'on prend soin de ne pas perdre le devoir de mémoire sur la barbarie nazie en général et la Shoah en particulier, l'on relève en Allemagne nazie de grands sportifs, pour n'en citer qu'un dans le domaine de la boxe, il y avait le poids lourd Max Schmelling décédé à l'âge de 99 ans qui avait été champion du monde en battant Joë Louis, surnommé le bombardier noir, par KO à la 12émé reprise à New York en 1936, c'était la premiére défaite de Joë Louis, Max schmelling a créé après la guerre, une fondation pour soutenir des oeuvres caritatives en direction des enfants malades, des sans abris et pour aider d'anciens boxeurs professionnels, c'est ainsi qu'il a été amené personnellement à soutenir financièrement Joë Louis lorsque celui-ci s'est trouvé dans le besoin, bien sûr il y en avait beaucoup d'autres dans d'autres domaines du sport de très haut niveau, mais j'ai choisi Schmelling pour sa générosité !.

  • paul36

    Oui "à leur place, qu'aurions-nous fait ? "
    Voilà la question essentielle. Est-ce que quelqu'un parmi vous a tenté très fort de se mettre à la place de l'un ou l'autre des martyrs de cette époque ?
    Il faut regarder ces photos, et essayer de plonger littéralement dedans pour essayer de vivre ces jours d'horreur, un instant seulement. Avec la souffrance, la faim, la peur, la tristesse royale le désespoir complet d'un avenir seulement humain. Essayez et si vous ressentez un tout petit peu cela alors vous comprendrez ce que signifie l'effort de mémoire. Oui l'effort de mémoire ce n'est pas que des mots, c'est replonger dans ces souffrances indisciples.
    J'ai regardé récemment à la télé un film sur les tranchées en 14-18 et j'ai repensé à mon père qui a vécu ces horreurs ; c'était très douloureux et j'ai pleuré et aujourd'hui encore en y pensant.

  • marqus39

    Dans l'Europe au XXe, il y a les mêmes composants un peu partout : fin des royautés, crises, pour commencer celle de l'Allemagne et d'un traité stupide, puis crise générale et montée des nationalismes, et enfin, l'arrivée des dictateurs. Les sauveurs ! Si on les regarde un peu en psycho-sociologue (ce que je ne suis pas), on s'aperçoit que tous ces gens, aussi étrangers soient-ils, demandent la même chose : après les pères disparus, (l'empereur, le père de la nation, etc.) un père autoritaire qui saura ramener l'ordre. Le père est devenu Führer, Caudillo, Duce, le guide (tiens donc !), et même Staline deviendra le "petit père des peuples". En France, nous aurons le Maréchal, et son hideuse alliance avec Hitler. Rappelons qu'en France, dans les actualités, on employait ces titres (le Führer, le Caudillo, le Duce, au même titre que Le Maréchal...).
    Que le pays contribue à cette mémoire, qu'il lui ait fallu si longtemps pour la reconnaître, il a quelque chose à "racheter", le mot est faible ; entre autres une certaine journée de Juillet 1642...
    Il y eu d'autres génocides depuis : en Europe, en Asie, en Afrique...
    Tout cela met mal à l'aise, et pourtant, il faut assumer notre histoire, directe ou pas - et je répète, C'est à chacun de penser cette fichue question : qu'est-ce qu'on aurait fait à leur place ? Relire l'histoire, la nôtre et celle des autres, est un moyen de chercher, et peut-être de trouver, une réponse acceptable.
    Mais il ne faut pas se voiler la face : les démocraties ont soutenu et continuent plus ou moins à soutenir des dictateurs : cette histoire si horrible d'autrefois, aujourd'hui, nous y sommes mêlés. De près.