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En Europe, des murs s'élèvent face à la crise afghane

Plusieurs pays, dont la Turquie, la Grèce et la Pologne, ont annoncé un renforcement de leurs frontières pour prévenir les flux de migrants en provenance d'Afghanistan. Les Européens peinent à apporter une autre réponse que sécuritaire aux questions migratoires.

Pressée de venir en aide à une trentaine de migrants coincés à sa frontière avec la Biélorussie, la Pologne a refusé et annoncé l'installation d'une « solide clôture ».
Pressée de venir en aide à une trentaine de migrants coincés à sa frontière avec la Biélorussie, la Pologne a refusé et annoncé l'installation d'une « solide clôture ». (Jaap Arriens/AFP)

Par Sophie Amsili

Publié le 28 août 2021 à 09:00

Après plusieurs semaines de marche à travers l'Iran, les Afghans qui parviennent à la frontière turque se heurtent aujourd'hui à un mur haut de trois mètres et des fils barbelés, près desquels circulent des patrouilles. Alors que les talibans progressaient rapidement à travers l'Afghanistan, la Turquie s'est barricadée.

« Nous voulons montrer au monde entier que nos frontières sont infranchissables », a martelé le gouverneur de la province de Van, dans l'est du pays. La Turquie, qui a accueilli plus de quatre millions de réfugiés venus de Syrie, espère ne pas voir arriver davantage d'Afghans que les 182.000 aujourd'hui installés légalement dans le pays.

Même atmosphère près de 2.000 kilomètres plus à l'ouest : la Grèce a averti que ses forces étaient « en alerte aux frontières » et rappelé que la prolongation du mur qui la sépare de son voisin turc entrait dans sa phase finale . Jeudi, la Bulgarie dépêchait à son tour des centaines de militaires à ses frontières avec la Grèce et la Turquie.

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Bien plus au nord de l'Europe, c'est un bras de fer diplomatique qui se joue aux frontières de la Biélorussie. La Pologne, la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie reprochent au gouvernement d'Alexandre Loukachenko de laisser entrer des migrants dans l'Union européenne afin de protester contre les sanctions de Bruxelles qui pèsent sur le pays . La crise humanitaire s'aggrave : pressée par la Cour européenne des droits de l'homme de venir en aide à une trentaine de migrants, des Afghans et des Kurdes selon les ONG, coincés à la frontière depuis quinze jours, la Pologne a refusé et annoncé l'installation d'une « solide clôture ».

« Cinéma populiste »

Chercheur spécialiste des frontières à l'Institut Convergences Migrations au Collège de France, Damien Simonneau se dit « frappé par cette frénésie d'annonces ». Avec ces nouvelles clôtures, les dirigeants veulent montrer « de la manière la plus facile et la plus visible » qu'ils agissent face à la crise afghane, note-t-il.

« C'est du cinéma populiste », abonde François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste des migrations à l'université de Liège. « La fonction première d'un mur est d'être un symbole, de produire des images de télévision pour rassurer ceux qui sont à l'intérieur des frontières, et non pour décourager les autres. »

Les sciences sociales tendent en effet à montrer qu'un mur ne fait que détourner les routes des migrants, renforçant au passage l'emprise des passeurs qui trouvent de nouvelles voies d'accès. « Aucune frontière n'arrête des gens qui veulent la franchir », assure François Gemenne. La véritable fermeture des frontières se joue en fait bien loin de ces murs, ajoute-t-il, « dans les préfectures et les ambassades avec des procédures administratives mises en places pour rejeter ces personnes ».

Constat d'échec

Au-delà des images télévisées, ces nouveaux murs, comme ceux qui ont marqué l'Histoire à Berlin, à Belfast, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc, en Israël ou encore à la frontière américano-mexicaine, « signent le même constat d'échec de la politique au sens noble du terme : la gestion des problèmes de mobilité autrement que de manière sécuritaire et militaire », explique Damien Simonneau.

En Europe, les questions migratoires provoquent « une panique et un discours qui ne parvient pas à sortir du sécuritaire au détriment du droit d'asile et d'une véritable politique d'accueil et de répartition des réfugiés », regrette le chercheur.

Les Européens se sont enfermés dans un « cercle vicieux », abonde François Gemenne. « Chaque pays essaie de devenir une île, observe-t-il. La crise des réfugiés de 2015 avait alimenté le désir de fermer les frontières et le Brexit a, à son tour, renforcé l'idée illusoire qu'on pouvait s'extraire des flux migratoires. » Depuis la fin de la Guerre froide, « où on s'est juré de ne plus construire de mur, on en a construit de manière exponentielle dans le monde », remarque le chercheur. Il estime que dans le monde, un tiers des pays ont aujourd'hui clôturé ou muré au moins une de leurs frontières.

Sophie Amsili

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