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Sotchi : les Jeux de la répression des droits de l’homme

Les Jeux olympiques de Sotchi, en Russie, s’ouvrent aujourd’hui. Derrière les flonflons et les projecteurs de la « fête », la réalité est celle de la répression qui s’est abattue sur les écologistes russes qui ont documenté la destruction écologique causée par cette manifestation sportive.


Aujourd’hui, la flamme olympique sera allumée à Sotchi. En attendant de connaître les noms des vainqueurs des compétitions sportives, on sait qui a déjà perdu : ceux qui s’opposent aux manœuvres du président Vladimir Poutine (photo).

Reporterre a raconté les nombreux dégâts écologiques causés par l’organisation des Jeux olympiques et dénoncés par plusieurs organisations internationales. Mais les opposants au pouvoir, à Sotchi, sont plutôt rares. Car depuis longtemps, le Kremlin tâche de réduire au silence les voix critiques.

En octobre 2013, Yulia Genin, avocat spécialisée en droit de l’environnement, a publié un article dans lequel elle a dénoncé la guerre que les autorités russes ont mené contre la plus importante association environnementaliste locale, Environmental Watch on North Caucasus (EWNC).

« Il n’y a aucun doute que les autorités russes sont sur le point de fermer l’association à cause de notre activisme pour l’environnement, et pour le fait d’avoir révélé les violations liées à la préparation des Jeux olympiques de Sotchi », explique-t-elle. « Pendant l’un des inspections qu’on a subi, les fonctionnaires publiques ont été très clairs en nous ‘recommandant’ d’arrêter la publication d’un rapport qui révèle les dégradations écologiques provoquées par les JO ».

En documentant ce qu’elle considère comme des délits environnementaux - « La destruction de l’habitat des espèces rares et menacées, la pollution de la rivière Mzimta » -, Genin rappelle le manque d’études d’impact sur l’environnement : « Une bonne partie des infrastructures a été édifiée sans avoir d’abord attendu les études obligatoires. Ensuite, les documents ont été présentés antidatés, et sans aucune participation de la part des populations concernées ».

- La rivière Mzimta -

Ce comportement heurte contre les principes affichés par le Comité International Olympique (CIO). Dans sa Charte olympique, le CIO affirme que son rôle est de « promouvoir l’Olympisme à travers le monde » et « d’encourager et soutenir une approche responsable aux problèmes de l’environnement, de promouvoir le développement durable dans le sport et d’exiger que les Jeux Olympiques soient organisés en conséquence ».

Yulia Gorbunova, chercheuse de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, écrit que les environnementalistes sont harcelés : « Le 31 octobre, la police de Sotchi a arrêté le coordinateur de l’EWNC, Andrei Rudomahka, pour des faits qui remontent à un an : à l’époque, il avait pointé publiquement un juge local qui avait sanctionné de quinze jours de prison un avocat environnementaliste. Ses déclarations avaient été citées par la presse ».

Selon Gorbunova, il s’agissait d’un prétexte : « Ces dernières années, l’EWNC a été placé sous une pression de plus en plus forte de la part des autorités. En 2012 des activistes ont été incriminés pour des délits mineurs. En mars 2013, le groupe a été fouillé, comme plusieurs autres ONG en Russie, après l’entrée en vigueur de la loi sur les ‘ agents étrangers ’ ».

Promulguée par les autorités russes le 21 novembre 2012, la loi sur les « agents étrangers » dispose que toutes les ONG qui reçoivent de l’argent de l’étranger doivent s’enregistrer en tant qu’« organisations remplissant les fonctions d’agents étrangers », si elles prennent part à des « activités politiques ». Anna Kotova, directrice adjointe du département pour les ONG du ministère russe de la Justice, avait déclaré en juillet que « les contrôles imprévus d’ONG sont nécessaires, de nombreuses organisations de ce type servant à légaliser des activités illégales ». Selon Amnesty International, grâce à cette loi « plus d’un millier d’ONG ont été inspectées et des dizaines ont reçu des avertissements. Des organisations de défense des droits humains de premier plan ont été condamnées à verser des amendes et plusieurs ont dû fermer ».

- Des membres de l’association EWNC ont enquêté sur la destruction de la nature occasionnée par les Jeux de Sotchi - ici sur la route des pistes de ski de Krasnaya Polyana -

"Une véritable dictature"

Durant les Jeux, les contrôles des autorités s’annoncent encore plus rigoureux. La police et les services secrets seront omniprésents : le Washington Post parle de 26 agents pour chaque athlète. « Depuis la réélection de Vladimir Poutine, on peut observer comment un régime totalitaire – il tolère encore un petit niveau de liberté dans certaines niches de la société tant qu’elles ne remettent pas en cause le pouvoir de l’Etat – se transforme en une véritable dictature », a écrit le Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Le géologue et militant écologiste Evgueni Vitichko, responsable de l’association Ecovahta (Les Vigilants écologiques), fondée en 1995, a dénoncé ouvertement les dégâts causés à l’environnement : « J’espère que la prochaine fois, le CIO se posera sérieusement la question de savoir à qui il attribue les Jeux olympiques », a-t-il déclaré au Journal du Dimanche.

Il a été condamné en première instance le 20 décembre dernier à trois ans de prison pour « hooliganisme ». Son crime : en compagnie d’autres militants, il a accroché sur la barrière de la propriété de Alexander Tkachev, gouverneur du Kraï de Krasnodar (une subdivision régionale de la Russie), une banderole portant l’inscription « La forêt appartient à tous, c’est notre bien commun ».

Human Rights Watch et Reporters sans frontières ont aussi déploré le cas du journaliste Nikolaï Iarst, arrêté en mai 2013 pour possession de stupéfiants. Une affaire qui semble montée de toutes pièces afin de se débarrasser d’un reporter qui a décrit les pratiques de la justice et de la police locales.

Charles Digges, journaliste de la fondation Bellona (une ONG environnementaliste internationale, fondée en 1986 et basée à Oslo, en Norvège), a dénoncé le 25 janvier les pressions subies par les activistes de l’EWNC dans le Caucase du Nord. « L’impression, écrit-il, est que la police a deux objectifs : garantir la sécurité des athlètes et des 200.000 spectateurs attendus mais aussi éviter que les victimes des J.O. puissent parler trop clairement. Hier, la voiture de Dimitry Shevchenko, responsable des bureaux locaux de l’association, a été fouillée sans raison valable en présence d’un autre activiste, Viktor Surikov ».

- La voiture de Dimitry Shevchenko -

Selon Digges, les policiers ont expliqué que la voiture devait être contrôlée car ils suspectaient qu’elle avait été utilisée pour commettre un délit : « Les activistes m’ont dit que cela leurs arrive trois fois par semaine. Viktor rigolait : ‘Ça serait vraiment stupide de commettre des délits avec une voiture comme la nôtre’ ». Il s’agit d’une vieille Lada des années 80 ; mais sur la lunette arrière est écrit en gros caractères « Poutine, dégage ».

Le coordinateur du groupe, Andrei Rudomakha, ne peut pas quitter la ville : il attend un jugement, car il est accusé de diffamation. Son téléphone est sur écoute et il est surveillé constamment. Son adjoint, Suren Gazaryan, a été jugé coupable de destruction de propriété privé pour avoir écrit des phrases considérées comme outrageantes sur une barrière bornant le chantier de la maison de Tkachev.

« Une construction, explique Digges, édifiée dans une aire protégée. J’ai demandé à Shevchenko la raison d’une telle réaction pour une banale insulte. Il m’a répondu que Tkachev a un caractère particulièrement susceptible, qu’il contrôle les juges et qu’il a beaucoup d’argent investi dans les J.O. ».

Shevchenko est certain que l’EWNC ne survivra pas au 23 février, jour de clôture des Jeux de Sotchi. Les dégâts écologiques, par contre, ne vont pas disparaître. Et la liberté a encore été blessée.

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