Le quatrième et dernier opéra du Ring de Richard Wagner mis en scène par Robert Lepage, Le crépuscule des dieux (Götterdämmerung), sera créé vendredi au Metropolitan Opera de New York. Ce chapitre ultime, très complexe, a donné des maux de tête à plusieurs metteurs en scène, mais l'équipe de Lepage est fin prête, assure le directeur de production Bernard Gilbert.

Le fameux Ring de Wagner est la cinquième production d'opéra à laquelle s'attaque Bernard Gilbert pour Ex Machina depuis 2004. Une Tétralogie ambitieuse, casse-gueule même, pour laquelle l'équipe du metteur en scène Robert Lepage a joué d'audace en créant l'énorme machine scénique que l'on sait, formée de 24 pales et qui sert de décor aux quatre opéras.

Cette aventure hors norme se termine par son chapitre le plus complexe. Le chef Pierre Boulez qui dirigeait l'orchestre lors du Ring du centenaire, en 1976 à Bayreuth, a déjà qualifié la scène finale de Götterdämmerung d'«action visuelle difficilement réalisable».

«Pour le nombre de mouvements de décor (33), le synchronisme et la réalisation de la scène finale, oui, c'est le plus complexe, reconnaît Bernard Gilbert. Wagner n'a simplifié la vie de personne: le palais qui brûle, le Rhin qui déborde, le feu qui se répand chez les dieux dans le Walhalla, ce n'est pas simple à réaliser. Mais c'est beaucoup plus simple aujourd'hui de travailler avec le décor et les équipes d'Ex Machina et du Met sont tellement mieux intégrées. Le temps qu'on passait à dépatouiller un mouvement il y a un an a été considérablement réduit. La machine n'est pas plus simple mais on l'a apprivoisée. En plus, il n'y a pas de 3D et il y a beaucoup moins d'éléments interactifs dans la vidéo. C'est voulu. Comme le dit Robert, Le crépuscule des dieux est un opéra qui porte plus sur la société, les humains. À compter du deuxième acte, l'action se passe surtout au palais des Gibichung: pas de rivière qui coule, pas de dragon, c'est une architecture très design. On y verra plusieurs configurations que la machine n'a pas faites encore.»

Autre élément nouveau: le choeur qui n'intervenait pas dans les trois opéras précédents. «Quand le choeur arrive, ils sont 80 hommes. C'est une masse! La musique ne demande que 20 femmes, mais on en a ajouté pour créer un meilleur équilibre et on se retrouve avec près de 125 personnes sur scène. À partir du moment où le palais nous amène dans un monde plus architectural, la machine peut se transformer en murs, en toit et dégager de l'espace sur le plancher.»

Pas de raccourci

Robert Lepage a pris le parti de raconter l'histoire de façon assez littérale en restant proche des indications scéniques de Wagner plutôt que de prendre des raccourcis comme d'autres l'ont fait, rappelle Bernard Gilbert: «C'est difficile, sinon impossible, de tout faire ce qui apparaît dans le livret, mais on a Brünnhilde qui jette la torche, un cheval qui s'en va vers le bûcher, le palais qui prend feu, le Rhin qui déborde, les Filles du Rhin qui récupèrent la bague et Hagen qui se lance à l'eau, tout cela dans l'environnement assez abstrait de notre décor qui est en mouvement à peu près sans interruption pendant les cinq dernières minutes. Faudrait bien que quelqu'un fasse ça au cinéma un jour. Avec Peter Jackson et Spielberg, il y aurait probablement moyen de faire quelque chose, mais ça resterait quand même une scène à peu près impossible à réaliser.»

Le cycle complet du Ring sera présenté au Met à compter d'avril et il y sera repris à la fin de la saison 2013. Seuls Robert Lepage et son assistant Neilson Vignola y retourneront pour d'éventuelles retouches. L'aventure du Ring ne sera pas terminée pour autant pour Bernard Gilbert qui veut publier en 2013 un essai sur le processus de production de cette ambitieuse Tétralogie vu de l'intérieur.

«Depuis le début du Ring, je tiens un journal très détaillé de tout le développement, depuis les réunions à la Caserne, à Québec, jusqu'à l'intégration progressive du Metropolitan Opera dans le projet. J'ai beaucoup de matériel, dont des photos prises pendant les répétitions en prévision de cet ouvrage. Ça fait quand même six ans qu'on travaille là-dessus et tout le monde a le souffle un peu court, mais on finit le jour de mon anniversaire. C'est un petit clin d'oeil de la vie.»

Götterdämmerung sera diffusé en HD au cinéma, en direct du Metropolitan Opera, dans les salles Cinéplex le samedi 11 février à midi. Cet opéra dure environ six heures, entractes compris.