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Natalie Dessay, Philippe Cassard, et Debussy

Pour la première fois, la soprano enregistre un disque de mélodies, dont certaines sont inédites.

Par Renaud Machart

Publié le 25 février 2012 à 18h28, modifié le 25 février 2012 à 18h29

Temps de Lecture 5 min.

La parution d'un disque de mélodies de Claude Debussy par Natalie Dessay, accompagnée par le pianiste Philippe Cassard (dont deux volumes de musique de piano et de piano à quatre mains du compositeur français paraissent dans le même temps chez Decca), constitue une double aubaine : c'est la première fois que la soprano se lance, au disque et au concert (notamment à Paris, le 26 février, à la Salle Pleyel), dans ce répertoire ; cet enregistrement propose, en première gravure mondiale, quatre mélodies inédites de jeunesse.

Il serait exagéré de dire que ces pages sont des oeuvres essentielles dans le catalogue vocal de Debussy, mais elles offrent pourtant, au-delà de leur charme frais et capricant, de vraies qualités musicales et musicologiques : "La mélodie Les Elfes est une incroyable ballade fantastique (on sait Debussy amateur des Histoires extraordinaires d'Edgar Poe traduites par Baudelaire), avec longue introduction du piano, récit légendaire, chevauchée nocturne avec une citation quasi textuelle du leitmotiv des Walkyries", précise le pianiste, qui prépare pour Actes Sud un essai consacré à Debussy. "Ce qui atteste que le jeune compositeur avait pu entendre beaucoup plus tôt qu'on ne le pensait jusqu'à maintenant l'opéra de Wagner, peut-être joué par un de ses amis dans la réduction pour piano de Félix Mottl, le chef de chant attitré de Bayreuth."

Natalie Dessay est moins enthousiaste quant à cette mélodie de quelque sept minutes : " Les Elfes n'est pas celle que je préfère : elle est très longue, fatigante, avec des ruptures de ton, des bizarreries, ça sent parfois l'exercice de style", dit-elle, avec sa franchise coutumière, avant d'ajouter : "Et quelle difficulté !" Mais la soprano reconnaît les avoir aimées d'emblée : "Surtout Le Matelot qui tombe à l'eau et L'Archet. La première, c'est juste une vignette, le "plouf !" du marin, la lune, quelques notes de musique, et déjà des dissonances assez culottées."

Ces manuscrits inédits ont une histoire peu banale, que raconte avec délice Philippe Cassard : "Une spectatrice assidue des enregistrements publics de mes émissions à France Musique m'a un jour fait don d'une dizaine de manuscrits de mélodies de jeunesse de Debussy. Son aïeul, organiste, l'avait fréquenté à la classe de César Franck. Un ami commun, fortuné, compositeur amateur, Henri Kunkelman, retrouve Debussy à Bayreuth, il aide probablement ce jeune compositeur sans le sou, ce qui lui vaut d'être remercié par des manuscrits de mélodies. A la veille de sa mort, Kunkelman les lègue au grand-père de ma bienfaitrice."

Le musicologue Denis Herlin, qui dirige la monumentale édition Durand-Costallat de l'oeuvre intégrale de Debussy, a réalisé un travail considérable de mise au net de ces manuscrits. "Il a reconstitué l'itinéraire et l'histoire de ces pages inconnues en détective digne de Sherlock Holmes ", se souvient le pianiste. "Et accompli un travail de fourmi sur l'écriture en pattes de mouche de Debussy !"

Natalie Dessay n'a pas été facilement convaincue par la perspective d'enregistrer ces mélodies et de les donner en concert, un exercice dont elle est peu familière : "J'ai chanté Lieder et mélodies avec le pianiste Ruben Lifschitz jusqu'à la fin des années 1990, mais ce genre m'a toujours laissée insatisfaite par rapport au plaisir du jeu et du spectacle à l'opéra ", confie la soprano. "L'idée de me retrouver à nu, sans les décors, les costumes, les partenaires et les répliques, dont je suis si coutumière sur les scènes lyriques, ne m'enchantait guère..." Mais Natalie Dessay, qui n'aime plus guère les rôles de soprano colorature auxquels sa voix la prédestinait, avait décidé, en 2009, au Theater an der Wien, en Autriche, d'ajouter celui de Mélisande, de Pelléas et Mélisande, à son répertoire.

"J'ai ainsi pu entrer de plain-pied dans l'univers debussyste", explique-t-elle. "J'ai une vénération pour cet opéra." Dessay étant Dessay, une sorte d'anti- diva, ce n'est évidemment pas pour la seule beauté énigmatique du rôle qu'elle l'apprend : "Je ne crois pas qu'un seul autre compositeur ait écrit une partition d'orchestre aussi sublime, à chaque note, chaque seconde. Peut-être n'ai-je appris ce rôle que pour entendre cet orchestre près de moi."

Cassard, avec son enthousiasme communicatif, résume sa collaboration avec la soprano : "Travailler ce répertoire aux côtés de Natalie a été un vrai régal pour moi. J'entends enfin un Debussy juvénile, gracieux mais simple et franc, empli de douceur et de flamme amoureuse. J'ai essayé d'adapter mon jeu à cette voix claire et intense, aux pianissimi frémissants. Il ne faut pas forcer, mais être souple dans la sonorité, avec des basses douces mais présentes."

Selon lui, Dessay ne joue pas à la cantatrice mais "rapproche son style d'interprétation de la meilleure chanson française, à l'opposé du caractère guindé, bourgeois, artificiel dont cette musique a été affublée pendant des générations. La classe, l'élégance ne sont pas pour elle une posture à rechercher, mais un état d'esprit parfaitement naturel."

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Même son de cloche du côté de la chanteuse : "Le travail avec Philippe s'est réparti sur un an, entre les productions d'opéra auxquelles je participais. Chez l'un, chez l'autre. On s'est tout de suite bien entendu, on partage des goûts communs, la bonne cuisine, la politique, la série "Columbo", le thé vert, la chanson française, et l'amour du cirque (mais lui ne pratique pas !). Il y a eu un échange constant, des idées partagées sans jamais la moindre anicroche, et je crois que cette complicité s'entend dans le disque et se vérifie encore plus au concert."

Dessay, prudente, toujours pétrie de doutes, ce qui est partie importante de son charme inquiet, confie de surcroît, à propos du concert qu'ils viennent de donner ensemble à Montpellier : "Philippe et moi y faisions nos débuts, je crois que j'ai trouvé cette confiance que je cherchais, j'ai eu du plaisir à chanter, à incarner les textes de ces mélodies et à les offrir au public." Et d'ajouter, presque étonnée de sa propre audace : "Philippe et moi parlons même d'élargir notre répertoire à des Lieder allemands, c'est dire !"


Mélodies de Debussy, Chausson, Chabrier, Duparc, pièces pour piano de Debussy ("Clair de lune") et Fauré ("4e Nocturne"). Par Natalie Dessay (soprano), Philippe Cassard (piano), Salle Pleyel, 252, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris 8e, M° Ternes, le 26 février à 16 heures. Tél. : 01-42-56-13-13. De 10 € à 110 €.

"Clair de lune : mélodies de Claude Debussy". Par Natalie Dessay (soprano), Philippe Cassard (piano). 1 CD Virgin Classics.

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