Du futurisme au primitivisme (Joseph Billiet, 1909)

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En guise d’hommage aux travaux de Michel Décaudin (1919-2004), reprise d’une chroniquette du directeur de la revue lyonnaise L’Art libre, Joseph Billiet, lassé des gesticulations groupusculaires, qui avait imaginé La Crise des valeurs symbolistes (1960), thèse roborative et cardinale de Décaudin… sans prévoir qu’elle paraîtrait si tôt.
Billiet s’impatiente d’un manifeste offert par la revue Poésie en réponse à la création du “Futurisme” dans la revue italienne Poesia.




Du futurisme au primitivisme



J’augure que dans un siècle ou deux un rat de bibliothèque, race qui s’avère prolifique à merveille dans le bouillon de culture d’un public à curiosité minuscule, connaîtra quelque gloire et sans doute le couronnement d’une Académie de reporters, de cuistres et de cabotins, par la publication lucrative d’une substantielle et, si possible, scandaleuse étude sur “les Ecoles littéraires au début du XXe siècle, avec de nombreux documents inédits”. Vers ce réalisateur futur doivent s’élever les espoirs reconnaissants des apôtres successifs et divers du Symbolisme, de l’Humanisme, de l’Intégralisme, du Futurisme, du Privitivisme, et d’ismes autres fort nombreux dont je n’ai souvenance.
Un exégète métaphysicien pourrait voir dans l’éruption de manifestes et de prospectus qui extériorisèrent le besoin de conquête de certains poètes un symptôme de la générale folie d’enrôlement et de réclame dont sont d’autres témoins : les projets de langue universelle rêvés pour la vulgarisation de la banalité, les systèmes de retour à la nature, les brochures de propagation pour ceintures électriques, pilules merveilleuses et tisanes salvatrices.
Voici qu’une querelle surgit, méridionale, et dont le bruit nous parvient lointain comme d’un fifre de tambourinaire. Pour éteindre les incendies d’artificier qu’attise après les avoir allumés des amadous de la vieille Europe pédagogique Erostrate Marinetti, voici que de Toulouse, la cité des jeux floraux, Touny-Lérys, avec une minuscule pomme d’arrosoir, répand l’essence de violette du Primitivisme. Je n’insiste pas sur le manifeste (1), encore moins sur les opinions émises à son propos par diverses personnalités peu hostiles à une réclame déguisée, opinions dont, suivant la mode, Poésie emplit environ quarante de ses pages (2).
En fin de compte, MM. Touny-Lérys, Gaudion et Dhano, sans doute effrayés du succès de la prédication, nient avoir jamais eu l’intention de fonder une école… Alors ? Le Futurisme, lui, ne se renie pas. De détonants et lyriques cris de guerre remplissent un nouveau tract de propagande lancé pour l’inauguration du Rail futuriste. L’école y est proclamée obligatoire, laïque… et gratuite ?
Avec le catalogue, béni des libraires à venir, du Doumic attendu, il restera de tout cela deux vocables en isme bien malsonnants. Les agents de publicité par qui triomphent les marques de conserves alimentaires savent trouver mieux.
Il me répugne de voir des poètes, dans un souci de réclame, placarder leur foi dans les lieux publics. Laissons ces mœurs aux camelots du Roy. Les Ecoles sont pernicieuses à la libre floraison des personnalités. Les génies sont solitaires et fièrement individuels. Assez de théories, des œuvres. Et post silentium.


Joseph Billiet


L’Art libre. Littérature, art, philosophie (Lyon, 1909-1911), n° 2, novembre 1909, pp. 62-63.



Notes

(1) Touny-Lérys (Marcel Marchandeau), Marc Dhano, George Gaudion, Le Privitivisme. - Toulouse, 19, rue du Taur, (1909). In-4° (28 cm), (4) p.
(2) Poésie, n° 28 (1909)

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