Un rassemblement de migrants mineurs à la rue devant la mairie de Marseille, le 2 mars 2021. Crédit : Facebook / Mineur En Danger
Un rassemblement de migrants mineurs à la rue devant la mairie de Marseille, le 2 mars 2021. Crédit : Facebook / Mineur En Danger

Un rapport de la Défenseure des droits rendu la semaine dernière pointe de nombreux manquements du département des Bouches-du-Rhône dans la prise en charge des migrants mineurs isolés. Les associations d'aide aux exilés, qui dénombrent actuellement au moins 100 à 150 mineurs à la rue à Marseille, ont l'espoir que les 17 recommandations formulées entraîneront des changements attendus depuis des années.

Le département des Bouches-du-Rhône est de nouveau pointé du doigt pour sa mauvaise gestion des migrants mineurs non-accompagnés. Après avoir reçu l'ordre, le 9 mars dernier, du tribunal administratif de Marseille de prendre en charge des dizaines de jeunes livrés à eux-mêmes, le département fait cette fois-ci l'objet de vives remontrances de la part de la Défenseure des Droits, Claire Hédon.

Saisie par plusieurs associations, celle-ci a conclu le 17 mars que "le département des Bouches-du-Rhône ne respecte pas ses obligations légales de recueil provisoire d’urgence et porte ainsi atteinte aux droits fondamentaux des mineurs non accompagnés (MNA) et à leur intérêt supérieur”. En France, la prise en charge des migrants mineurs non accompagnés incombe pourtant aux départements. 

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La situation des MNA à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône est de plus en plus critique au regard du contexte d'urgence sanitaire actuel. Faute de moyens et d'infrastructures suffisantes, ils sont des dizaines à vivre dehors, en proie à divers réseaux d'exploitation. Bien qu'une vaste manifestation devant la mairie de Marseille le 2 mars ait abouti à la mise à l'abri - par la municipalité - de 38 jeunes dans un gymnase, le département n'a, quant à lui, pas réagi. 

Sous la pression, il a toutefois rapidement consenti à prendre en charge 7 des 38 jeunes faisant l'objet d'une ordonnance de placement provisoire, les autres devant attendre un "retour d'évaluation de leur minorité".

Des recommandations "pour qu'aucun mineur ne soit laissé à la rue"

Ce genre de bras de fer est monnaie courante dans les Bouches-du-Rhône. À plusieurs reprises l'année dernière, le département a été condamné par le tribunal administratif de Marseille, lui ordonnant de mettre à l’abri plusieurs mineurs isolés étrangers.

Malgré ces multiples rappels à la loi, de nombreux jeunes sans solution continuent d'être hébergés au compte-goutte par des associations, parfois dans des squats plus ou moins encadrés. Certains dorment à la rue, souvent dans le quartier de la gare Saint-Charles, ou acceptent de se prostituer ou de vendre de la drogue contre un toit.

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Pour lutter contre ce fléau, qui n'est d'ailleurs pas propre qu'à Marseille, la Défenseure des droits publie 17 recommandations pour améliorer l’accueil des MNA dans les Bouches-du-Rhône. Elle incite notamment le département à "augmenter de façon significative ses capacités de recueil provisoire d’urgence afin d’une part, et en urgence, de prendre en charge l’ensemble des jeunes de la liste d’attente".

Elle s'attend, d'autre part, à ce "qu'à l'avenir, aucun mineur ne soit laissé à la rue à la suite de sa première présentation devant les services de premier accueil de l’ADDAP 13", l'association mandatée par les autorités locales pour la coordination de la prise en charge de ces MNA.

Consciente de l'envergure du défi pour les services départementaux, Claire Hédon sollicite aussi la préfecture pour "apporter son concours au département dans la recherche de locaux ou bâtiments disponibles, sur l’ensemble du territoire des Bouches-du-Rhône, qui seraient susceptibles d’accueillir les mineurs dans des conditions de sécurité et de salubrité que nécessite tout établissement de protection de l’enfance".

Parmi les autres recommandations formulées : proscrire tout hébergement de mineur à l'hôtel, y compris dans le cadre d'un accueil d'urgence, "cette forme d’hébergement ne répondant pas aux besoins et à l’intérêt supérieur des enfants". Est également recommandé au département et à l’ADDAP 13 "de veiller à l’accompagnement des mineurs en préfecture, postérieurement au recueil provisoire d’urgence, par des travailleurs sociaux".

Contacté par InfoMigrants, le département n'a pas encore donné suite à nos sollicitations.

Au moins 100 à 150 mineurs à la rue, selon les associations

Pour Armand, membre de l'association de soutien au 59 St-Just, joint par InfoMigrants, cet état des lieux "accablant" dressé par Claire Hédon suscite de l'espoir parmi les bénévoles locaux qui se battent depuis des années pour faire reconnaître les défaillances du système actuel. "Contrairement aux différentes décisions restées vaines du tribunal administratif, on espère que les conclusions de la Défenseure des droits vont faire bouger les choses, car elle a plus de poids".

Les associations locales estiment le nombre de mineurs à la rue entre 100 et 150 à Marseille et ses environs. "Et encore, il s'agit de ceux que l'on connaît. Il y en a beaucoup qui passent sous les radars et tombent dans des réseaux", regrette Armand qui plaide pour une refonte du système, à commencer par un changement de l'association mandatée pour la prise en charge des mineurs, l'ADDAP 13. "Actuellement, l'évaluation éducative et sociale est faite par des gens chargés de mettre à l'abri, mais le but évident est de reconnaître la minorité du moins de jeunes possible", affirme-t-il, nombreux récits "à vomir" à l'appui : "Un jeune a récemment été débouté de sa minorité car les travailleurs sociaux avaient estimé qu'il avait un comportement trop mature et protecteur envers les plus jeunes de son foyer et qu'il était donc forcément majeur".

L'idéal, poursuit Armand, serait de nommer "une association bienveillante qui applique vraiment la circulaire Taubira qui dit qu'en cas de doute sur la minorité, ce doute doit profiter au jeune et non l'inverse." Il faudrait, selon lui, que les travailleurs de cette nouvelle association soient des salariés de la fonction publique "protégés par des syndicats" afin qu'ils n'aient "pas à obéir à des ordres imbéciles ou crapuleux de leur direction comme c'est le cas actuellement."

En attendant de tels changements et l'application des recommandations de la Défenseure des droits, les membres associatifs demandent à minima plus de transparence et notamment un accès à la liste de tous les MNA enregistrés dans le département. "Il faut que cette liste soit rendue publique pour que l'on puisse soutenir les jeunes et surtout contrôler que l'ADDAP 13 ne laisse pas de mineurs à la rue. Car là, on ne fait que travailler à l'aveugle et dans l'urgence, ce n'est plus tenable", conclut Armand.

L'association de soutien au 59 St-Just a été créée après l'évacuation du squat du même nom à Marseille qui a hébergé pendant un an et demi des centaines de migrants sans-abri dont de très nombreux mineurs. Des permanences sont aujourd'hui organisées trois fois par semaine pour venir en aide aux jeunes qui ne savent plus où aller : 

  • les mardis et mercredis de 13h à 18h à l'hôtel Ryad (16 Rue Sénac de Meilhan dans le 1er arrondissement) ;
  • et les jeudis de 13h à 18h au local syndical Solidaires (29 boulevard Longchamp dans le 1er arrondissement).
 

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