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Industrie du disque, la quadrature du pas net

Mme Aurélie Filippetti, votre approche de la diversité musicale est populiste.

Publié le 11 juin 2012 à 09h05, modifié le 11 juin 2012 à 09h05 Temps de Lecture 4 min.

Le landerneau de la filière musicale a récemment été secoué par les déclarations de notre nouvelle ministre de la culture sur le Centre national de la musique, qui mettaient en cause son financement et laissaient entendre que cet organisme ne devait pas être au service des majors du disque, mais plutôt promouvoir les labels indépendants.

S'en est suivie une énième polémique sur le rôle respectif de chacun qui au mieux apparaîtra stérile et au pire risque de diviser les acteurs de la production musicale à une période charnière pour notre industrie.

Afin de dépasser certains poncifs, il me semble important de rappeler quelques éléments objectifs qui permettront de constater que la réalité de la production de musiques enregistrées ne peut pas se résumer à un combat de lutte de classes entre producteurs indépendants et majors.

D'après le contrat d'étude prospective réalisé par le ministère du travail publié en 2010, il existe en France un millier d'entreprises dont l'activité principale consiste dans la production, l'édition et/ou la distribution de phonogrammes.

Il n'est donc pas étonnant que ce millier de producteurs produit chaque année une plus grande quantité de phonogrammes que les 4 majors réunies.

Cependant, derrière cette réalité arithmétique, qui a pour principal inconvénient de réduire les projets artistiques à un nombre de références, se cache une réalité toute autre lorsqu'on s'intéresse aux investissements qui soutiennent ces projets.

Un chiffre éloquent illustre mon propos : d'après les données collectées l'AFDAS au titre de l'année 2011, la contribution des 4 majors dépasse 64% des sommes globales dépensées pour les intermittents (c'est-à-dire les salaires versés aux musiciens et techniciens qui participent à la production, hors royalties versées aux artistes). Cette quote-part "majors" atteint 76% pour les salariés permanents des maisons de disques dont les effectifs ont été réduits de plus de moitié en moins de 10 ans.

Quant aux investissements marketing pluri-médias (presse, radios, télévision), les études de la société Yacast montrent que les sommes investies par les majors en 2011, uniquement au titre de la promotion d'artistes locaux, représentent 90 % des sommes investies par l'ensemble des producteurs.

Arrêtons-là cette démonstration car je vois déjà les partisans d'une certaine conception de l'exception culturelle pousser des cris d'orfraies en dénonçant le tout-marketing des majors qu'il conviendrait de combattre en mettant ces dernières à l'amende.

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Personne ne conteste, certainement pas le SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique) et encore moins les quarante TPE qui ont choisi d'adhérer à ce syndicat, le rôle des producteurs indépendants en matière de diversité musicale. Toutefois, réduire cette diversité musicale aux seuls indépendants est inexact, comme le démontrent les chiffres précités, mais surtout témoigne d'une méconnaissance des relations tissées entre les majors et les labels "indés". Outre le fait que les majors produisent des artistes locaux, celles-ci permettent à un grand nombre de producteurs indépendants de développer leurs projets par le biais d'accords de licence ou de distribution. Bien plus qu'une mise à disposition d'une logistique de distribution, les accords de licence sont de véritables partenariats donnant aux producteurs indépendants les moyens de financer leurs projets mais aussi d'en assurer la promotion et donc la viabilité.

En 2011, les majors ont ainsi versé plus de 60 millions d'euros à leurs partenaires producteurs indépendants par le biais de ces accords. La société GFK a calculé que la part de marché des producteurs indépendants, distribués par les majors, était de 15 % pour cette même période, chiffre inédit dans son ampleur à ce jour. Cette même société relève que la part de marché des producteurs indépendants, hors contrat de licence, est de 40 %. En intégrant les contrats de licence, les indépendants font donc quasiment jeux égal avec les majors.

En outre, le flou conceptuel véhiculé par l'expression "diversité musicale" est un élément important dans la rhétorique des pourfendeurs des majors. Cette formule agit émotionnellement sur le public - et sur les politiques - en faisant écran à tout questionnement sur les difficultés concrètes liées au développement du secteur de la musique enregistrée à l'heure de sa mutation vers le numérique.

Il est évident que ce slogan, puisque cette expression a toutes les caractéristiques du slogan, tant par son efficacité émotionnelle que par sa vocation à agir par la répétition, vise à neutraliser d'avance toute possibilité de reconnaître le rôle des majors, puisqu'elle fait de leurs partisans des ennemis de la diversité.

Ce discours a donc pour avantage d'élever la cause défendue à la hauteur du noble engagement de ceux qui la défendent, lesquels ne se donneraient pas tant de mal pour un motif, par exemple, purement financier … Par ailleurs, une telle analyse procède d'une confusion majeure entre les structures qui produisent et les productions réalisées.

Voir dans les relations majors/indépendants un rapport par nature antagoniste relève d'une approche populiste car cela revient à poser diagnostic manichéen sur une réalité infiniment plus complexe que les pétitions de principes dont certains nous abreuvent.

Espérons que la mise en œuvre du Centre National de le Musique soit également un moyen de sortir de cette ornière.

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