Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Un phénomène nommé David Marton

Le Hongrois, Berlinois d'adoption, met en scène la musique de Bach dans "Le Clavier bien tempéré".

Par Marie-Aude Roux

Publié le 11 février 2012 à 14h19, modifié le 11 février 2012 à 21h04

Temps de Lecture 4 min.

Ce 19 janvier, au sortir d'une répétition du Clavier bien tempéré, rien n'allait plus pour David Marton. Il restait à peine plus d'une semaine avant la première du 27 janvier, et le metteur en scène était fort déprimé. Yeux tristes, silhouette défaite, il promenait dans le hall d'entrée de la MC93 Bobigny un spleen des grands jours : "Je suis désespéré", avait-il laissé tomber à la fin d'un court entretien malaisé, entre interrogatoire et monologue.

La nouvelle création du metteur en scène hongrois a pourtant ouvert et conclu en beauté la 9e édition du festival Le Standard idéal à la MC93 de Bobigny. Depuis la saison dernière et son arrivée avec trois spectacles - Don Giovanni. Keine Pause, Wozzeck et Harmonia Caelestis -, David Marton, 36 ans, installé en terre berlinoise depuis 1996, fait partie des talents découverts par l'infatigable veille de Patrick Sommier, patron de la MC93.

Bien qu'il porte les cheveux longs, l'artiste est né coiffé, le 27 novembre 1975, à Budapest, dans un milieu artistique et intellectuel - père peintre, mère traductrice. Mais c'est par la grâce du socialisme, qui oblige "tous les enfants à pratiquer un instrument à l'école", qu'il se projette pianiste professionnel, étudie à la prestigieuse Académie Franz-Liszt de Budapest avant de se faire enlever par le pianiste allemand Klaus Hellwig, "ancien élève de Wilhelm Kempff, rencontré lors d'un stage d'été et professeur à l'université des arts de Berlin".

Exit Budapest. Guten Tag Berlin ! Marton trouve le piano "trop solitaire" et commence à former une bande : il apprend la direction d'orchestre et la mise en scène de théâtre musical à l'école supérieure de musique Hanns Eisler de Berlin (de 1999 à 2004), rencontre les maîtres de la Schaubühne am Lehniner Platz - le Suisse Christoph Marthaler (avec lequel il collabore comme pianiste et comédien), Frank Castorf et Arpad Schilling (pour lesquels il est arrangeur musical). Lui-même a désormais autour de lui un noyau dur, le pianiste Jan Czajkowski, qui joue et réalise ses arrangements musicaux, la scénographe Alissa Kolbusch, qui dessine ses univers géométriques d'intérieurs cloisonnés et fourre-tout.

Tous seraient à citer un par un tant leur travail hors norme tient de la performance. Marton enchaîne les succès, désigné qu'il fut dès 2009-2010, comme metteur en scène d'opéra de l'année par la revue Die Deutsche Bühne pour Don Giovanni. Keine Pause et Lulu.

C'est que, depuis son premier spectacle, David Marton se défend de raconter une histoire. Explorer les fonctions de la musique à l'intérieur du théâtre est son credo. Rien à voir avec l'opéra, qui, depuis toujours, fourbit ses guerres fratricides, donnant tantôt la victoire au fameux "prima la musica", tantôt l'inverse. Lui veut que les deux soient obsédés l'un par l'autre. Que ce soit dans Fairy Queen oder hätte ich Glenn Gould nicht kennen gelernt, d'après Henry Purcell et Thomas Bernhard (2005), ou dans Wozzeck, d'après Alban Berg et Georg Büchner (2007), Marton procède par une approche sensuelle et intuitive.

Ce n'est pas un hasard si, pour le Clavier bien tempéré, ce Berlinois d'adoption étonnamment peu disert sur la politique de son pays, a choisi la trame narrative de La Mélancolie de la résistance, chef-d'oeuvre de l'écrivain hongrois Laszlo Krasznahorkai (paru en 1989, traduit en 2006 aux éditions Gallimard), qui relate la montée insidieuse du chaos et du fascisme dans une petite ville du sud-est de la Hongrie.

Encore moins une coïncidence, si la déconstruction progressive de cette société est mise en contrepoint avec l'oeuvre de Bach, l'un des monuments de "la construction de la culture musicale européenne" (qui instruisit à l'aide de 48 préludes et fugues la suprématie du "tempérament", système qui divise artificiellement la gamme en douze demi-tons et sert de fondement au système dit tonal).

David Marton semble avoir parfois achoppé sur la fusion du matériau romanesque et de la musique, qu'il avait pourtant réussi de manière magistrale dans Harmonia Caelestis, d'après le roman du Hongrois Peter Esterhazy (2010). Mais ce travail laborant (osons le pléonasme), parfois aride, tient nos sens en éveil, nos neurones en alerte. Comme en cet instant fou où Madame Eszter, la passionaria idéologique du mouvement "Cour balayée-Maison rangée", déclenche la révolution par la seule magie d'un rythme obstiné. D'abord sourdement scandé par le souffle des dormeurs dans la nuit, soudain réveillé d'un index levé de tambour, c'est lui qui mettra le premier jour d'un nouveau monde en marche.


Le Clavier bien tempéré,

de David Marton. Avec Thorbjörn Björnsson, Jule Böwe, Niels Bormann, Paul Brody, Jan Czajkowski, Marie Goyette, Franz Hartwig, Yelena Kuljic, Nurit Stark, Ernst Stötzner, Bettina Stucky, David Marton (mise en scène), Alissa Kolbusch (scénographie), Jan Czajkowski (direction musicale), Sarah Schitteck (costumes), Forian Borchmeyer (dramaturgie), Erich Schneider (lumière), Etienne Dusard (son). Théâtre MC93, 9, boulevard Lénine, 93 Bobigny (Seine-Saint-Denis). De 9 € à 25 €. Les 11 et 13 février. Tél. : 01-41-60-72-72. mc93.com

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.