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La difficile équation d'"Einstein on the Beach"

Trop cher, trop lourd... et trop rare. Trois jours pour voir – une dernière fois ? – l'opéra de Bob Wilson et Philip Glass.

Par Marie-Aude Roux

Publié le 15 mars 2012 à 14h08, modifié le 15 novembre 2013 à 18h14

Temps de Lecture 4 min.

"Shush ! Please, don't talk !" La voix de Bob Wilson ne s'arrête jamais, qui psalmodie : "Everyone ready ? Music ready ?" Elle est un fil tendu entre le plateau et la salle obscure du Corum de Montpellier, où le metteur en scène américain répète la scène du procès d'Einstein on the Beach. Il reste à peine une semaine avant la première mondiale de ce qui est annoncé comme l'ultime reprise de l'opéra culte de Robert Wilson et Philip Glass. "Bench People Stay/And Bench People Go !" Le choeur des jurés s'est assis sur les bancs du prétoire. Chaque découpe de lumière - le lit, la chaise, le bureau du juge - est passée au tamis des variateurs d'intensité, chaque pas des acteurs réglé au millimètre comme au bord d'un précipice.

Dehors, c'est un dimanche de printemps. Au "centre de la terre", quelque 150 personnes (dont 65 Américains), artistes, producteurs, techniciens, sont au travail pour que renaisse l'un des événements restés jusque dans la mémoire de ceux qui ne l'ont jamais vu - la musique répétitive de Glass, l'ordre visuel abstrait de Wilson, la danse minimaliste de Lucinda Childs, les textes poétiques de Christopher Knowles, le fils adoptif de Bob Wilson.

Les protagonistes de 1976 sont tous septuagénaires : 75 ans pour Philip Glass, 72 pour la chorégraphe Lucinda Childs, qui ne sera plus sur le plateau. Seul Robert Wilson affiche la verdeur enfantine de soixante-dix printemps, excité à l'idée qu'Einstein soit découvert par une troisième génération invitée à sortir et à entrer à sa guise de la salle. "Le public du XXIe siècle sera plus familier avec la technologie, dit-il, mais résistera-t-il aux cinq heures du spectacle ?"

En France, la question a failli ne pas se poser. La tournée, gérée par les producteurs américains de Pomegranate Arts, partenaires historiques d'Einstein on the Beach, réclame en effet d'importants moyens financiers et logistiques. Un défi que le directeur de l'Opéra de Montpellier, Jean-Paul Scarpitta, n'est pas peu fier d'avoir relevé alors que tous avaient déclaré forfait. "J'ai rencontré Bob Wilson en juin 2010 à Prague, où il mettait en scène Katia Kabanova, de Janacek. Il m'a parlé de ses difficultés à remonter Einstein, dépité que la tournée ne passe pas par la France, qui avait été le pays de la création, et mortifié par la défection des structures parisiennes."

De fait, des quatre partenaires initialement prévus en Europe - le Théâtre du Châtelet à Paris, l'Opéra d'Amsterdam, la Scala de Milan et le Teatro Real à Madrid -, seul Amsterdam a tenu bon. C'est en effet dans le théâtre lyrique de Pierre Audi que s'achèvera la tournée en janvier 2013. Lui-même tempère : " C'est un projet que j'ai pu programmer grâce à la synergie de coproduction qui existe entre l'Opéra et le Théâtre musical d'Amsterdam, du moins jusqu'en 2013, précise-t-il. Ce sera notre dernier baroud d'honneur avant les coupes budgétaires annoncées. "

Mais il s'étonne en apprenant que Paris n'est plus dans la course. " Je ne le savais pas. C'est vraiment dommage que cette tournée ne passe pas par un théâtre parisien ! " Même réaction de la part de Gerard Mortier, l'actuel patron du Teatro Real de Madrid, initiateur du projet en 2008 pour le New York City Opera, dont il démissionnera avant même de prendre ses fonctions pour des raisons de coupe budgétaire. "A Madrid, je ne l'ai jamais vraiment annoncé. Entre-temps j'avais conçu un autre projet avec Bob : The Life & Death of Marina Abramovic, qui sera donné du 11 au 22 avril. Mais la reprise d'Einstein est extrêmement importante. Le Châtelet aime à dépenser son argent à d'autres choses. Chacun ses goûts ", conclut-il sans aménité.

Directement concerné, le directeur du Théâtre du Châtelet, Jean-Luc Choplin, reconnaît lui-même sa propre déception. " Je me sens bien sûr un peu coupable, mais j'aurais préféré monter une vraie nouvelle production afin que l'oeuvre entre, comme on dit, au répertoire, explique-t-il. Le côté clés en main me gênait : les Américains débarquaient et nous devenions de simples hébergeurs. Et puis il y avait le coût exhorbitant de l'opération. J'avais calculé à l'époque que nous aurions eu à éponger un million d'euros de déficit..."

Un avis partagé en partie par Stéphane Lissner à la Scala de Milan. " L'aspect reconstitution historique me plaisait, déclare ce fondu d'Einstein on the Beach dès sa création. En revanche, les discussions avec Pomegranate Arts, essentiellement liées à l'aspect marketing et commercial, m'ont rapidement convaincu que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Sans parler du coût prohibitif."

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Face à ces réactions, Jean-Paul Scarpitta à Montpellier peut sembler téméraire. Courage ? Insolence ? Inconscience ? Il ne fait pas mystère du coût des trois représentations des 16, 17 et 18 mars : 750 000 euros. La recette de billetterie ne pouvant excéder, vu la jauge, les 150 000 euros, il a trouvé 250 000 euros grâce au mécénat. La dépense restante devrait sans doute être compensée par l'énorme impact médiatique qui va faire pour quelques jours de Montpellier la capitale française du monde artistique.


"Einstein on the Beach", Opéra Berlioz/Corum de Montpellier (34). Les 16 et 17 mars à 18 heures, le 18 mars à 15 heures. Tél. : 04-67-60-19-99. De 15 € à 45 €.

En tournée en Europe : au Barbican Theatre (Londres). Les 4, 9, 10 et 11 mai à 18 heures, les 5 et 12 mai à 17 h 30, les 6 et 13 mai à 16 heures. Tél. : 0044 20 7638 8891. De 35 à 125 £.

A écouter : "Einstein on the Beach" (Nonesuch Record), "The Essential Philip Glass" (Sony) et "Songs from Trilogy" (CBS Records).

A voir en DVD : "Einstein on the Beach : the Changing Image of Opera" (1985).

Sur le Web : www.opera-montpellier.com et www.nonesuch.com.

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