Marché du carbone : les prix du gaz et de l’essence pourraient grimper en flèche à partir de 2027, selon des experts

Peter Liese (à gauche), négociateur en chef pour la réforme du marché du carbone de l’UE, et Pascal Canfin (à droite), membre de la commission de l’Environnement (ENVI) du Parlement européen. [Parlement européen/Eric VIDAL]

La surtaxe sur les combustibles fossiles tels que le gaz de chauffage, l’essence et le diesel dans le cadre du nouveau marché du carbone de l’UE à partir de 2027 pourrait être bien supérieure à la limite de 45 euros visée par les institutions européennes, estiment certains experts, qui accusent les législateurs d’avoir créé de fausses attentes.

Mardi prochain (18 avril), le Parlement européen devrait voter sur la réforme du marché du carbone de l’UE, qui a fait l’objet d’un accord entre les institutions européennes en décembre 2022.

Selon le projet de loi, un deuxième système d’échange de quotas d’émission pour les bâtiments et le transport routier devrait être mis en place dans l’ensemble de l’Union à partir de 2027, ce qui entraînera une augmentation des prix des combustibles fossiles utilisés pour le chauffage et la conduite.

Cette mesure s’accompagne d’un nouveau « Fonds social pour le climat » doté de 87 milliards d’euros, qui vise à atténuer l’impact sur les ménages les plus pauvres.

Comme toujours dans un système de marché, le prix est déterminé par l’offre et la demande.

Les institutions européennes visent à limiter le nouveau prix du carbone à un maximum de 45 euros par tonne d’émissions de CO2, ce qui équivaut à un supplément de 10 centimes par litre d’essence et de 12 centimes par litre de diesel.

Toutefois, selon les experts, ce prix pourrait bien être dépassé, car le mécanisme d’amortissement prévu par la loi ne peut garantir que le prix n’augmentera pas.

« En réalité, tout est possible en termes de prix », a déclaré Michael Pahle, expert des marchés du carbone à l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat (PIK).

« On ne peut pas dire que le mécanisme supplémentaire de stabilité des prix puisse réellement garantir que le prix ne dépassera pas ce niveau », a-t-il expliqué à EURACTIV, faisant référence au maximum de 45 euros cité par les décideurs politiques.

« Cela ne signifie pas non plus que le prix atteindra certainement des sommets », a ajouté M. Pahle. « Mais précisément parce que nous en savons si peu sur la formation des prix dans le nouveau système d’échange de quotas d’émission, il est tout aussi possible que nous ayons des prix très bas que des prix très élevés. »

Contacté par EURACTIV, Peter Liese (PPE), négociateur en chef pour la réforme du marché du carbone de l’UE, a admis que la limite de 45 euros n’était pas un plafond de prix absolu.

« Bien sûr, l’accord du trilogue ne peut pas garantir de manière absolue que les prix ne seront pas supérieurs à 45 euros la tonne, mais la probabilité est relativement élevée, en particulier dans les premières années, y compris 2029 », a déclaré M. Liese.

« Les calculs de la Commission européenne prévoient des prix de 45 euros », a ajouté le législateur allemand.

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Un plafond fixe ?

Lorsque l’accord a été conclu en décembre, les législateurs se sont montrés plus confiants, donnant l’impression d’un plafond de prix strict.

« Sur la base d’un mécanisme de marché, il est garanti que le prix ne sera pas supérieur à 45 euros », affirmait M. Liese dans une déclaration le 18 décembre.

Le législateur européen français Pascal Canfin, du groupe politique libéral du Parlement européen Renew Europe, initialement un fervent critique de la réforme, avait alors déclaré que, selon lui, « les conditions strictes que nous avons fixées […] et en particulier l’introduction d’un prix plafond de 45 euros jusqu’à au moins 2030 rendent la mesure acceptable sur le plan politique ».

Dans la partie non contraignante de la législation, les « considérants », l’objectif de ne pas dépasser 45 euros par tonne de CO2 est également mis par écrit, note M. Pahle, mais le mécanisme correspondant ne pourrait pas le garantir.

« Ce paragraphe est révélateur, car, d’une part, il énonce une aspiration de prix qui peut réconforter les parties prenantes concernées et les parties impliquées », explique M. Pahle. « D’autre part, si l’on examine les détails du mécanisme de mise en œuvre, on constate un écart important entre l’aspiration et la mise en œuvre ».

Ce point de vue est partagé par Christian Flachsland, directeur du Centre pour le développement durable de l’école Hertie de Berlin.

En pratique, un prix de marché supérieur à 45 euros par tonne de CO2 déclencherait la libération de quotas supplémentaires sur le marché du carbone à partir de la réserve dite de stabilité du marché, afin de mieux aligner l’offre (quantité de quotas) sur la demande (émissions).

Toutefois, étant donné que seuls 20 millions de certificats supplémentaires seraient délivrés, alors que la quantité totale d’émissions par an couverte par le système est d’environ 1 000 millions de tonnes de CO2, « cela n’atténuera pas le prix de manière décisive s’il y a une pression à la hausse », avait confié M. Flachsland à EURACTIV le mois dernier.

Ainsi, un prix maximum de 45 euros n’est en aucun cas garanti, avait-il souligné.

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Jusqu’où iront les prix ?

Interrogés sur les prix auxquels il faut s’attendre, les deux chercheurs ont souligné qu’il était difficile de les prédire, mais ils ont cité des prix bien supérieurs à 100 euros, ce qui représenterait plus du double du prix initialement mentionné par les législateurs.

« Aucune modélisation ne prévoit des prix de 45 euros — il est plus probable que nous ayons des prix de 100 à 300 euros », a indiqué M. Flachsland.

Un prix du carbone de 200 euros équivaut à un supplément de prix de 53 centimes par litre de diesel et de 47 centimes par litre d’essence.

Dans les cas extrêmes, si les pays de l’UE ne prennent aucune mesure supplémentaire en matière de politique climatique et s’appuient entièrement sur la tarification du carbone pour réduire les émissions, « nous avons une fourchette de 175 à 350 euros par tonne [de CO2] selon les différentes approches de modélisation », a expliqué M. Pahle.

« Il ne s’agit pas d’un résultat probable, mais au moins d’une première estimation de la limite supérieure, pour ainsi dire », a-t-il ajouté.

Pour M. Liese, ce scénario est toutefois peu probable. « Les déclarations selon lesquelles les prix pourraient atteindre 300 euros par tonne sont incompréhensibles au vu des calculs [de la Commission européenne] », a-t-il commenté.

« À mon avis, elles reposent sur l’hypothèse erronée qu’aucun changement ne résulterait d’autres législations, de mesures nationales et d’innovations », a-t-il ajouté.

Si la demande de quotas d’émission est plus faible, le prix du carbone sera réduit en conséquence. Et les prix pourraient encore baisser au cours des prochaines années grâce à de nouvelles mesures de politique climatique, selon la théorie.

Néanmoins, les États membres devraient préparer leurs citoyens à un monde dans lequel « les combustibles fossiles seront rares et chers », a averti M. Liese.

Le législateur allemand a également défendu la décision de ne pas inclure un plafond de prix strict.

« Il n’était ni raisonnable ni possible de décider d’un plafond de prix absolu parce qu’un prix fixe […] aurait nécessité une unanimité, qui n’aurait pas pu être atteinte au Conseil », a déclaré M. Liese, ajoutant que cela aurait mis en péril la réalisation des objectifs climatiques de 2030.

La Commission européenne et le Pascal Canfin ont été invités à fournir un commentaire, mais n’ont pas encore répondu au moment de la publication de cet article.

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[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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