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Billet de blog 18 octobre 2016

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AMBROISE CROIZAT

Qui fut le fondateur de la Sécu, ouvrier métallurgiste et Ministre du Travail communiste sous de Gaule ? Par Michel Etiévent, Historien, propos recueillis par la Ligue de l'Enseignement

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain ». Telle fut la devise d’Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947, bâtisseur de la sécurité sociale et originaire de Notre Dame de Briançon en Savoie où il naît le 28 janvier 1901. Son père, Antoine, manœuvre à l’entreprise naissante des « Carbures Métalliques » vit alors comme un fils d’usine. 12 heures par jour pour 8 sous de l’heure. À peine le prix du pain. L’enfant grandit entre les fours et ceux qui rêvent d’espoir et de solidarité.

C’est ainsi qu’Ambroise prendra le relais du père. Installé à Lyon dès 1914, il s’engage dans l’action syndicale. Animateur des grèves de la métallurgie alpine, il adhère au Parti Communiste Français en 1920 et devient en 1927 secrétaire général de la Confédération Générale du Travail. Elu député de Paris sous le Front Populaire en 1936, il forge les grands acquis de mai, entre autres les congés payés, la semaine de 40 heures et la loi sur les conventions collectives dont il est l’auteur.

En 1939, l’orage de la seconde guerre mondiale approche. Arrêté le 7 octobre pour ses opinions communistes, il est incarcéré à la prison de la Santé. Fers aux pieds, il traverse quatorze prisons françaises avant de connaître l’incarcération au bagne de Maison Carrée à Alger. Libéré en février 1943, il est nommé par la Confédération Générale du Travail clandestine à la commission consultative du Comité Français de Libération Nationale dirigé par le Général de Gaulle. Il y exerce la présidence de la Commission du Travail. Là, entre résistants, mûrissent les rêves du Conseil National de la Résistance et les inventions sociales de la Libération. La sécurité sociale, bien sûr, dont le postulat colore le programme du CNR du 15 mars 1944 : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion par les intéressés et l’État ». Les mots reprennent point par point l’article 21 de la déclaration des droits de l’homme de 1793 qui, pour la première fois au monde, ouvrait le droit au travail et à la santé pour tous.

À la tête d’une commission de parlementaires, de médecins, Ambroise dessine dès l’été 1943 les premières moutures de ce qui allait devenir la Sécurité sociale. C’est ce travail collectif, mûri par deux années de réflexion, avec l’aide des services de François Billoux, ministre de la santé et de Pierre Laroque, haut fonctionnaire spécialiste des questions sociales, qui va aboutir à l’ordonnance d’octobre 1945, instituant la Sécurité sociale.

Un immense chantier commence le 13 novembre 1945 quand Ambroise Croizat est nommé au Ministère du Travail. 138 caisses de Sécurité sociale sont édifiées en six mois sous sa maîtrise d’œuvre et gérées par un peuple anonyme après le travail ou sur le temps des congés, « pour en terminer, selon les mots du ministre, avec l’indignité des vies et les souffrances de l’enfance ».

Quatre grands principes, fondements même de l’identité sociale française, feront la charpente de l’institution.

- L’Unicité : tous « les risques sociaux » (maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail...) sont regroupés dans une seule caisse.

- La solidarité : un système de répartition entre actifs et non actifs, financé par les richesses créées dans l’entreprise, est la pierre angulaire de l’édifice.

- L’Universalité, sous tendue par l’idée de soigner toute la population et de suivre « dans sa santé, l’individu de sa naissance à son décès ».

- La Démocratie, c’est-à-dire la volonté de confier la gestion de l’institution aux bénéficiaires eux-mêmes.

Deux années à bâtir ce qui fera l’exception française. Pierre Laroque déclarait en 1947 : « En quelques mois et malgré les oppositions, a été bâtie cette énorme structure [...] Il faut dire l’appui irremplaçable d’Ambroise Croizat. C’est son entière confiance manifestée aux hommes de terrain qui est à l’origine d’un succès aussi rapide. » Rappelons aussi combien le rapport de force de la Libération permit la naissance de celle que l’on va désormais appeler « la sécu » : un parti communiste à 26 % des voix, 5 millions d’adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par sa lutte dans la résistance, un patronat déconsidéré par sa collaboration avec l’ennemi nazi.

Mais là ne s’arrête pas l’héritage de celui que l’on appelle déjà le « Ministre des travailleurs ». Il laisse à l’agenda du siècle ses plus belles conquêtes : la généralisation des retraites, un système de prestations familiales unique au monde, les comités d’entreprise, la formation professionnelle, la médecine du travail, le statut des mineurs, des électriciens et gaziers, la prévention dans l’entreprise et la reconnaissance des maladies professionnelles, de multiples ajouts de dignité au Code du Travail, la caisse d’intempérie du bâtiment, la loi sur les heures supplémentaires ...etc.

En 1950, alors que la maladie le ronge, ses derniers mots à l’Assemblée nationale sont encore pour la Sécurité sociale : « Jamais nous ne tolérerons que soit mis en péril un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès ». Un cri pour que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé, mais reste ce qu’il a toujours voulu qu’elle soit : un lieu de solidarité, un rempart contre le rejet, la souffrance et l’exclusion.

Ambroise Croizat meurt à Paris le 10 février 1951. Ils étaient un million pour l’accompagner au Père Lachaise : le peuple de France, « celui qu’il avait aimé et à qui il avait donné le goût de la dignité » écrivait Jean-Pierre Chabrol.

Michel ETIEVENT, Historien
Biographe d’AMBROISE CROIZAT
Auteur de « Ambroise Croizat ou l’invention sociale » Ed. Gap 

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