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Emmanuelle Haï m : la musique baroque doit se renouveler

Emmanuelle Haïm : « Joindre Théâtre et musique, c'est le summum de l'art ».

La claveciniste et chef d'orchestre fête ce soir les dix ans de sa formation, Le Concert d'Astrée, au Théâtre des Champs-Élysées, la salle de ses débuts.

Natalie Dessay, Rolando Villazon, Philippe Jaroussky, Patricia Petibon, Sandrine Piau… C'est une affiche de rêve que celle des dix ans du Concert d'Astrée. «Lorsqu'ils ont appris qu'on fêtait notre anniversaire, ils ont tous voulu venir», confie Emmanuelle Haïm avec une émotion sincère. Cette mère de famille qui vit à cent à l'heure a toujours placé l'humain aussi haut que l'artistique. Retransmis sur Arte le 24 décembre, le concert de ce soir est d'ailleurs donné au profit du programme Révolution Cancer et fera l'objet d'un enregistrement dont les bénéfices serviront la cause. Rencontre avec une chef d'entreprise responsable, aussi soucieuse de l'avenir de ses musiciens que de sa musique.

LE FIGARO. - Dix ans: cela semble peu au regard du chemin parcouru…

Emmanuelle HAÏM. - Tout est allé très vite. Premier concert sur une scène parisienne prestigieuse, signature immédiate chez Virgin, enregistrements avec les plus grandes voix, résidence à l'Opéra de Lille… Mais ce dont je reste la plus fière est la construction de l'ensemble: son esprit, son enthousiasme, son ouverture et, bien sûr, sa sonorité.

Saviez-vous dès le départ quelle identité sonore serait celle d'Astrée?

Je n'avais aucune idée de l'effectif ni si nous ferions plus d'opéra ou de musique instrumentale. Mais je voulais un ensemble avec du corps, de la vie. Des cordes charnues, des vents très présents. L'exigence de la pratique des instruments anciens sans décharnement.

Par amour du théâtre?

Sans doute. J'ai toujours considéré que joindre théâtre et musique était le summum de l'art. Dès mes premiers opéras, j'ai voulu abolir la frontière fosse-plateau, et j'aime dans le travail instrumental pur l'idée de texte sous-jacent.

Avez-vous des regrets?

Que l'orchestre n'ait pas encore trouvé une vraie stabilité financière.

À cause du trop grand nombre d'ensembles baroques?

Appartenant à la troisième génération du baroque, nous sommes arrivés un peu tard pour les institutions, c'est vrai. «Circulez, on a déjà donné.» Mais je ne dirais pas qu'il y a trop d'ensembles spécialisés. Dans le baroque, il est vital qu'il y ait un renouvellement. La recherche sur le répertoire, le style et l'interprétation continue d'évoluer et rien ne nous dit que les premiers ensembles survivront à leurs fondateurs.

Craignez-vous une sclérose du public amateur de musique ancienne?

Non. Quand je suis en tournée à l'étranger, j'ai toujours quatre places à disposition pour des amis. Souvent, je prends des personnes au hasard dans la rue et les persuade de venir. Je suis frappée par leur enthousiasme, même lorsqu'elles arrivent avec des a priori. Et le succès de nos actions pédagogiques dans le Nord-Pas-de-Calais prouve que nous faisons un métier bien vivant.

Et pour vous-même?

Si je risque de me lasser du répertoire? Je n'ai même pas encore abordé les cantates de Bach ni l'opéra napolitain! Ne comptez pas sur moi pour passer à Brahms ou Bruckner: il me reste trop à faire et pas assez à vivre.

Vous êtes régulièrement invitée à diriger le Berliner Philharmoniker pour du baroque. Qu'en retirez-vous?

Une leçon: on peut être membre d'un orchestre moderne permanent et faire preuve d'exigence et d'ouverture en même temps. Pour ma première avec les Berliner, je n'avais que trois heures de répétition. Eux voulaient tout savoir: vitesse du vibrato, types d'ornement.

Quid de la discrimination positive?

Au début, être une femme à la tête d'un ensemble ne me gênait absolument pas. J'étais plus étonnée d'être invitée à Glyndebourne alors que je n'avais jamais dirigé d'opéra! Avec le recul, je constate que cela interpelle toujours. Je dois avouer que, s'il n'y avait eu le baroque, je n'aurais sans doute jamais dirigé: pour les filles de ma génération être chef était exclu. Aujourd'hui les choses changent. Mais une femme ne fera jamais la même carrière qu'un homme.

De tous les ensembles, vous êtes certainement celui qui a le plus joué avec les stars du lyrique: Piau, Dessay, Villazon… Quel est votre secret?

L'amour des voix. Et l'amitié. J'ai connu la plupart en étant leur chef de chant et le suis parfois restée. Et beaucoup ont accompagné les débuts de l'ensemble parfois presque bénévolement, et dans des conditions pour le moins folkloriques. Comme cette tournée en Angleterre, où je conduisais moi-même - tant bien que mal, à gauche - le camion, rendu à l'agence de location sans rayures… et sans rétroviseur.

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1 commentaire
  • gerard cotton

    le

    C'était merveilleux ! Un instant de grâce providentielle . Vu sur Arte ! Ne lâchez rien , chères toutes , chers tous ! Emmanuelle Haïm , on vous adore .

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