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Grace Bumbry : la grâce et l'airain

La grande cantatrice américaine donnait, à 75 ans, un récital au Théâtre du Châtelet à Paris.

Par Renaud Machart

Publié le 07 mars 2012 à 13h49, modifié le 07 mars 2012 à 14h44

Temps de Lecture 3 min.

La cantatrice américaine Grace Bumbry à Washington en décembre 2009.

En 1960, une jeune chanteuse afro-américaine faisait ses débuts sur une scène lyrique, à l'Opéra de Paris, en Amnéris, dans Aïda,de Giuseppe Verdi. Cinquante-deux ans plus tard, Grace Bumbry chante toujours et se produisait, mardi 6 mars, au Théâtre du Châtelet dans un répertoire de chansons, de spirituals et d'airs de comédie musicale.

Certes, la chanteuse qu'aimait tant la grande Lotte Lehmann, créatrice de l'Ariane à Naxos de Richard Strauss, qui fut son professeur, a fêté ses 75 ans le 4 janvier. La voix, somptueuse et longue (Bumbry a chanté en mezzo-soprano puis en soprano), n'est plus ce qu'elle était. Mais ceux qui l'ont entendue du temps de sa splendeur reconnaissent, inimitable, ce timbre fauve, ces couleurs sombres.

Ils se souviennent aussi du scandale que causa sa prise de rôle, en Vénus, du Tannhäuser de Richard Wagner, au Festival de Bayreuth, en 1961. Cette Vénus noire allait devenir "La Vénus noire". Episode résumé ainsi par la diva, dans le mensuel français Opéra international en 1989 : "Wieland Wagner (le directeur du Festival) m'engagea sur-le-champ et resta sourd aux réactions racistes suscitées par ma future apparition sur la Colline sacrée. Aucun chanteur de couleur n'avait été jamais admis dans le temple !"

Il faut rappeler que, six ans plus tôt seulement, en 1955, une autre grande chanteuse américaine, la contralto Marian Anderson, avait été la première artiste de couleur à se produire au Metropolitan Opera de New York. Cette grande conscience antiraciste des Etats-Unis, qui avait aidé la jeune Noire de 17 ans qu'était Bumbry à être acceptée au Conservatoire de Boston, dont on lui refusait l'accès, s'était elle-même, en 1939, vu refuser la location d'une salle de concert à Washington, dont les propriétaires étaient les Daughters of the American Revolution (Association des Filles de la Révolution américaine).

Mais Paris s'est toujours fichu de la couleur de peau des artistes et a toujours révéré ses vénus noires, en fourreau, en fourrure ou non. Ce soir, au Châtelet, devant un millier de personnes (public très mêlé avec pas mal de jeunes gens, soit dit en passant), Grace Bumbry entre d'un pas un peu lourd et lent, en une large robe d'un fuchsia éclatant (en seconde partie, elle arborera un fourreau à paillettes). Un pianiste hagard, qui a l'air sorti d'un spectacle de Christoph Marthaler, la suit dans l'ombre.

La chanteuse est accueillie d'emblée par une très longue ovation. Les "We Love You !" vont d'ailleurs fuser au cours du programme, que la chanteuse installe d'emblée dans un rapport de proximité avec son public. Elle dit quelques mots, se perd dans Hier encore, la belle chanson d'Aznavour, s'arrête et dit : "Je peux faire mieux que ça !" Et fait mieux, en effet.

Le programme parle du temps qui passe, des amours d'hier et de demain (Send In the Clowns, de Stephen Sondheim, Will You Love Me Tomorrow, de Carole King), de la vie devant soi (What Are You Doing the Rest of Your Life, de Michel Legrand), des certitudes sans regrets (My Way, dans la version de Paul Anka). Un peu de variété internationale (Natalie, d'Umberto Balsamo, l'inusable Caruso, de Lucio Dalla), quelques spirituals et un très exotique Aranjuez mon amour, que Bumbry chante avec guitare et piano, dans un espagnol très approximatif. Dommage, car cet arrangement du mouvement lent du célèbre Concerto d'Aranjuez, écrit à Paris par Joaquin Rodrigo, est à l'origine sur un poème en français...

On reste fasciné de bout en bout par la technique d'airain de la chanteuse. A 75 ans, elle domine toujours le mélange et la liaison des registres, émet sur la même tessiture des sons de voix de poitrine ou de tête, selon le répertoire. Dans Caruso,on jurerait même parfois entendre les sonorités d'un ténor léger ! Chapeau bas.

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On ne tirera en revanche pas son chapeau au pianiste Kevin McCutcheon, qui plante des clous, semble déchiffrer et se trompe même dans son accompagnement bébête et rudimentaire. On imagine quelle soirée vraiment forte et riche aurait été ce récital par une Bumbry soutenue par un partenaire digne de ce nom.

Mais il en va du mystère des relations entre divas et pianistes comme de celui des voix bulgares, toujours irrésolu : depuis Bianca Castafiore, on ne sait toujours pas pourquoi elles s'entourent d'ectoplasmes qui leur portent leurs valises, mais finissent toujours par leur faire un mauvais coup.


Récital d'airs et chansons par Grace Bumbry (soprano), Kevin McCutcheon (piano), Wim Hoogewerf (guitare), Théâtre du Châtelet, Paris, le 6 mars.

Sur le Web : www.chatelet-theatre.com.

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