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Viktoria Mullova, belle comme un violon en eaux libres

Elle a tour à tour faussé compagnie au KGB, déserté l'orthodoxie pour le baroque, visité le jazz et les Bee Gees. Le Louvre lui donne carte blanche.

Par Marie-Aude Roux

Publié le 11 janvier 2012 à 14h51, modifié le 11 janvier 2012 à 14h51

Temps de Lecture 5 min.

Boire un thé vert dans une pâtisserie française à Londres, au 37 Brushfield Street par un matin pluvieux, n'a rien d'exceptionnel. Sauf si la personne qui vous a donné rendez-vous n'est autre que la violoniste russe Viktoria Mullova. Cinquante-deux ans juvéniles (sans maquillage ni "retouche"), longue silhouette de danseuse à la Pina Bausch, ciré rouge, jean, bottes texanes cloutées : impossible de croire que Vika, comme l'appellent ses amis, a eu trois enfants (avec le chef d'orchestre Claudio Abbado, le violoniste Alan Brind et son actuel mari, le violoncelliste Matthew Barley), et autant de carrières.

"On a d'abord été amies avant de devenir partenaires, souligne la pianiste française Katia Labèque, qui a enregistré avec elle en 2005 un disque intitulé Récital. On a tout de suite aimé rire, faire les boutiques et trouver les meilleurs endroits où manger." Cet épicurisme joyeux tranche avec l'austérité acétique que dégage sur scène celle que les Anglo-Saxons ont surnommée "Ice Queen". Et Katia Labèque de sourire : "Vika est la violoniste la plus sûre que je connaisse. C'est aussi celle qui répète le moins."

Mullova, grande prêtresse de la prestigieuse école de violon soviétique, a fait ses classes d'enfant prodige dès l'âge de 4 ans. "C'était un apprentissage très dur, confie-t-elle. Nous habitions à Zhukovsky, dans la banlieue de Moscou. Il fallait se lever très tôt, faire deux heures de violon puis deux heures de trajet pour aller à l'école. Même chose au retour le soir. Pas de vacances, pas de jeux. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à faire la grasse matinée et quand je me réveille, ma première préoccupation, c'est dresser la liste de ce que je dois faire."

A 23 ans, lauréate des concours Wieniawski (1976), Sibelius ( 1980), et surtout du prestigieux Tchaïkovski de Moscou en 1982, Viktoria Mullova est armée pour la carrière royale de ses professeurs Volodar Bronin (lui-même élève de David Oïstrakh) et Leonid Kogan.

Mais Mullova est une rétive qui écoute les Bee Gees dans le dortoir du Conservatoire de Moscou. Son succès la propulse à l'étranger dès 1983 ? Elle en profite illico pour fausser compagnie au KGB et passe à l'Ouest lors d'une tournée en Finlande. "Avec mon petit ami, le chef d'orchestre Vakhtang Jordania, nous préparions notre fuite depuis un an. C'est un journaliste finlandais qui a organisé le voyage en voiture pour nous emmener de l'autre côté de la frontière, en Suède." Après un week-end dans une chambre d'hôtel sous un faux nom, les amoureux se présentent à l'ambassade américaine de Stockholm dès l'ouverture, le 4 juillet 1983. Deux jours plus tard, ils sont à Washington, visas en poche. En Union soviétique, Mullova est rayée des listes. Plus tard, elle prendra la nationalité autrichienne. "C'est d'ailleurs comme violoniste autrichienne qu'elle sera annoncée lorsqu'elle reviendra jouer pour la première fois à Moscou trente ans plus tard, raconte Katia Labèque, mais tout le monde pleurait."

Ce retour obligé par la maladie de son père, Viktoria Mullova l'a fait en renouant avec ce qu'elle appelle aujourd'hui la "vraie Russie", sa famille paternelle de Sibérie qu'elle ne connaissait pas. Elle est allée à Irkoutsk, a découvert le lac Baïkal, la taïga. "Pendant vingt ans, je n'ai pas eu la moindre nostalgie de mon pays. J'étais même embarrassée par mes origines, par ces nouveaux riches vulgaires, purs produits de l'Union soviétique. Aujourd'hui, mes enfants parlent un peu le russe."

Son second passage à l'Ouest - musical cette fois -,Viktoria Mullova le fera en découvrant la musique baroque et les "baroqueux". "Je ne comprenais pas pourquoi cela ne marchait pas bien avec Bach, que je joue depuis toujours. Et puis j'ai rencontré le bassoniste Marco Postinghel, à qui j'ai fait écouter mon premier enregistrement de trois des Sonates et Partitas. Il a paru horrifié. J'ai plus appris en quelques heures avec lui qu'au cours de toutes mes années d'études."

Depuis, Viktoria Mullova a retiré cet enregistrement de sa discographie et poursuivi son initiation avec d'autres musiciens italiens : le claveciniste Ottavio Dantone, puis le chef d'orchestre Giovanni Antonini et son ensemble Il Giardino Armonico : c'est avec eux qu'elle a enregistré les concertos pour violon de Vivaldi. En 2009, elle créé l'événement et met tout le monde d'accord en osant enfin les fameuses Sonates et Partitas sur violon baroque, qu'elle auto- produit pour le petit label Onyx Classics. "On sait qu'on est dans le vrai parce que soudain tout coule de source. On peut alors aller dans la musique avec liberté."

Avec ses trois archets, ses deux violons - le Stradivarius "Julius Falk" de 1723, acheté chez Sotheby's, et le Guadagnini de 1750 , Mullova l'intrépide, capable de remises en cause fulgurantes, a prouvé qu'on peut sortir du dressage à la russe. "Je n'ai pas de plan de carrière mais fonctionne au coup de coeur et à l'instinct ", dit-elle.

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C'est ainsi qu'elle a inclus dans sa Carte blanche à l'Auditorium du Louvre ("Viktoria Mullova et ses amis"), son premier concert avec le claveciniste Nicolau de Figueiredo, rencontré il y a quelques mois à la Royal Academy of Music de Londres. "On jouait ce qui nous tombait sous la main, du Bach, du Vivaldi. Avec le sentiment partagé d'une évidence, s'enthousiasme le Brésilien. Soudain, au milieu de la répétition, elle a appelé son agent pour dire qu'elle changeait de programme et qu'il y aurait quelqu'un de plus !"

Pour autant, Viktoria Mullova n'a pas renié ses fondamentaux. C'est dans le Concerto pour violon de Brahms, qui scella au disque (Philips) son amour de jeunesse avec le sexagénaire Claudio Abbado, alors patron de la Philharmonie de Berlin, qu'on l'entendra Salle Pleyel - cette fois avec l'Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi. Le chef estonien, qui l'a accompagnée pour la première fois dans le Concerto de Beethoven à New York, en 2004, n'a pas assez de superlatifs pour louer l'une des musiciennes les plus absolues qu'il ait jamais rencontrées. "Elle a gardé de l'école russe une exigence stylistique et une excellence technique qui transforment en or toutes les musiques qu'elle touche."

Viktoria Mullova n'a pas assez de superlatifs, elle, pour rendre grâce à son violoncelliste de mari, Matthew Barley, qui lui a donné la clé des champs d'une libertémusicale dont témoigne l'album Through the Looking Glass. S'y mêlent les musiques d'Alanis Morissette, Youssou N'Dour, Miles Davis, les Beatles, les Bee Gees... Elle espère même s'affranchir un jour de l'interdit qui pèse encore pour elle, élevée dans le respect de la partition, sur l'improvisation. "Depuis quelque temps, j'essaye d'apprendre à prendre des risques." En attendant, elle pose en jupe bleue de Gipsy sur la pochette de son nouveau double CD, The Peasant Girl (Onyx Classics), qui rapproche la musique hongroise de Bartok et Kodaly avec celle des Gitans.


Viktoria Mullova, du 9 au 20 janvier à l'Auditorium du Louvre, Pyramide du Louvre, Paris 1er. Tél. : 01-40-20-55-55. De 5 € à 30 €. Les 25 et 26 janvier à la Salle Pleyel, Paris 8e. A 20 heures. Tél. : 01-42-56-13-13. De 10 € à 85 €. Le 27 janvier au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). A 20 h 30. Tél. : 08-20-13-20-13. De 10 € à 50 €.

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