Offenbourg Archie Shepp & Joachim Kühn au festival Jazzdor Paroles de ténors

Quand le grand saxophoniste américain croise le grand pianiste allemand, l’entente est suffisamment évidente pour vivre un grand moment de musique. Ils étaient à la fête, samedi soir, et le public de la Reithalle d’Offenbourg (Bade) avec eux.
Joël Isselé - 14 nov. 2011 à 05:00 | mis à jour le 14 nov. 2011 à 08:37 - Temps de lecture :
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Archie Shepp à Offenbourg dans un concert débordant d’énergie Kühn Photo DNA - Jean-françois badias
Archie Shepp à Offenbourg dans un concert débordant d’énergie Kühn Photo DNA - Jean-françois badias

Les héros ne sont pas (encore) fatigués. Ce serait même plutôt le contraire, assez étonnamment pour des musiciens dont on voudrait nous faire croire à coups de flonflons critiques, rétrospectives festivalières et autres « doctorats honoris causa » complaisamment décernés, qu’ils ont leur œuvre derrière eux. Le passé, l’un et l’autre le choie sans s’y calfeutrer.

C’est l’évidence avec ce concert débordant (d’énergie, d’idées, de joie de jouer, de… jazz tout court) où tout est conté dans un présent de narration qui rend contemporaines des aventures stylistiques dont Shepp et Kühn nous convainquent une fois de plus qu’ils n’ont pas épuisé les potentialités.

S’il fallait résumer l’exubérante personnalité de Joachim Kühn en une formule, de préférence non académique, on en ferait le prototype des pianistes qui n’ont pas peur de leur concierge. Entre ce multirécidiviste du tapage, nocturne ou diurne mais toujours hyperlucide, et du légendaire saxophoniste ténor, créateur de, entre autres, Mama Rose l’entente allait presque de soi.

Et leur duo, créé au festival Jazz à Porquerolles, en 2009, est l’un des plus étonnants « larguez les amarres » que deux musiciens de jazz nous aient offerts depuis longtemps.

Et ils en sont bien conscients, au point de se placer sur le terrain de l’autre et l’engager à s’épancher sans retenue. Le dialogue est permanent, chacun se chargeant de la part mélodique et rythmique à tour de rôle, voire en totale fusion. Ils portent à son comble cet art de la conversation stimulée par l’improvisation, où le souffleur ténor retrouve toute sa générosité et le clavier son lyrisme échevelé. Tout le climat du concert est dans ce double mouvement d’abandon et de qui-vive.

Le bouillonnement est là

C’est ce pas à pas précautionneux qui préside à la longue introduction de Segue. Façon de dire que les duettistes ne sont pas là pour rouler les mécaniques, et de rappeler que les vraies confrontations ont beaucoup à voir avec l’art de l’embuscade, plus ludique que guerrière. Sur des fondations sans faille, au ténor et soprano, Archie coulera uen chape de sons tous plus black music les uns que les autres, viscéraux, écorchés à fleur de bec, essentiels.

Une véritable Bible des accents de la musique afro-américaine, du bop au blues en passant par le gospel; ou par Nina Simone à laquelle Shepp rend ici hommage.

Les riches structures d’antan sont effacées par un saxophone mélodique et exquis. La rage et la révolution sonore du free jazz laissent place à une philosophie sage et tranquille.

Kühn, souvent vu comme un pianiste de la logorrhée tendance romantico-tourmentée, s’efface le temps de l’intro de Lonely woman pour n’intervenir au compte-gouttes qu’après quelques minutes de silence buté. Et Shepp, sous son chapeau de détective, ne lâche rien. Pas plus la musique que ses convictions.

Alors oui, le bouillonnement est là, mais il est non seulement purement musical, jamais complaisamment sentimental, et surtout il prend la forme peu pathétique de la décantation.

Voyant extralucide

Ainsi de cette version de Sophisticated lady, œuvre de déconstructeurs vertigineux, et qui plus sont en pleine possession de leurs fantasmes.

Comme si l’âge avait décuplé les dons de voyant extralucide, de ces deux musiciens de légende, capable, contre toutes les lois de la décrépitude et du grand plongeon supposé de la libido, de déshabiller instantanément un standard.

Archie Shepp et Joachim Kühn livrent ici, dans une Reithalle pleine à craquer, la quintessence d’une expression savante et touchante.

Aujourd’hui à Jazzdor : trio Joseph Bowie/Jamaaladen Tacuma/Jean-Paul Bourelly, à 20h30, au Cheval blanc à Schiltigheim. 03 88 36 30 48 et www.jazzdor.com

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