Riccardo Chailly dirige depuis six ans le plus ancien orchestre du monde, le Gewandhaus de Leipzig.

Riccardo Chailly dirige depuis six ans le plus ancien orchestre du monde, le Gewandhaus de Leipzig.

L'Express

Depuis ses débuts, parrainés par Karajan et Pavarotti, Riccardo Chailly mène une carrière au sommet de son art. Au temps des chefs voyageurs qui enchaînent les concerts aux quatre coins de la planète, lui se consacre à un seul orchestre, celui du Gewandhaus de Leipzig, qu'il dirige depuis six ans déjà avec un panache exceptionnel. Il vient d'enregistrer une remarquable intégrale des symphonies de Beethoven, qu'il dirigera à la Salle Pleyel, à Paris, à la fin d'octobre. L'occasion idéale pour rencontrer cet homme affable mais volontiers secret.

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Que peut-on apporter aujourd'hui en s'attaquant à une nouvelle intégrale des symphonies de Beethoven?

Beaucoup. Je plaide pour une approche totalement rénovée afin de retrouver l'essentiel: la prise de risque. La musique de Beethoven est tout sauf confortable. Chaque page de ses symphonies réclame d'énormes efforts de la part des musiciens. Le niveau de jeu, en termes de virtuosité, et l'implication qu'elles demandent sont très élevés. Si l'on suit les indications de tempo du compositeur, ce qui n'est jamais vraiment fait, cette musique est effectivement très risquée à jouer.

Pourquoi tenter ce genre d'expérience avec un orchestre de grande tradition comme celui de Leipzig?

Il ne faut pas oublier que le Gewandhaus, le plus ancien orchestre du monde, a joué la musique de Beethoven du temps du compositeur lui-même. Son troisième directeur, le maestro Schulz, a mené la première intégrale de ses symphonies. Lorsque Felix Mendelssohn est devenu, en 1835, directeur musical de l'institution, il a décidé de monter, lui aussi, un cycle Beethoven. En huit saisons, il a fait deux intégrales. Je suis le 19e chef et cette tradition historique me donne une responsabilité particulière.

Pouvez-vous nous donner un exemple de votre façon de faire?

Prenons, par exemple, le premier mouvement de la 5e, écrit sans aucun rallentando. Aucun. Généralement, on entend: "Ta ta taaa taaaaaa". Or il faut faire: "Ta ta ta ta", tout simplement, si l'on veut être fidèle au compositeur. Cela peut sembler facile à obtenir, mais ne l'est pas du tout, puisqu'il n'existe pas un seul orchestre au monde qui la joue ainsi. A qui la faute? A deux siècles de mauvaises habitudes. Cela n'a rien de rationnel, mais les orchestres ralentissent tous, systématiquement, aux mêmes endroits. En dirigeant cette symphonie, j'avais l'impression de déplacer une montagne à bout de bras.

C'est-à-dire?

Il faut jouer une musique où l'on perçoit le danger à l'état brut. En l'interprétant comme nous le faisons, Beethoven redevient choquant, intense, original. Tout découle d'un travail approfondi sur les partitions, afin de laisser de côté les mauvaises routines.

Vous vous approchez donc des interprètes baroques qui ont fait de la recherche d'authenticité leur credo...

Oui. Mais cela ne s'est pas fait sans difficulté. Nous avons accouché de cette intégrale dans la douleur, en trois ans et demi. Quand je dirigeais la 1re symphonie, les musiciens m'ont demandé: "Etes-vous sûr qu'il faille jouer ainsi? Est-ce vraiment le jeu originel?" J'ai dû expliquer mes raisons. Qui viennent toutes d'une lecture attentive des partitions d'origine, et de rien d'autre.

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