Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Snowden, Deltour, Manning… Que deviennent les lanceurs d’alerte ?

La condamnation d’Antoine Deltour, à l’origine des LuxLeaks, a été annulée jeudi, mais son ex-collègue Raphaël Halet a été débouté. L’occasion de rappeler à quoi se sont exposés les citoyens qui ont révélé des documents confidentiels.

Par 

Publié le 08 avril 2016 à 21h55, modifié le 12 janvier 2018 à 07h08

Temps de Lecture 9 min.

Antoine Deltour, à l’origine des Luxleaks, en avril 2016.

Antoine Deltour, à l’origine du scandale LuxLeaks a vu sa condamnation annulée jeudi 11 janvier par la Cour de cassation du Luxembourg. Ancien auditeur au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), le Français avait été condamné en première instance et en appel par la justice du pays pour avoir partagé en 2011 avec un journaliste de l’émission « Cash Investigation » le contenu de centaines d’accords fiscaux secrets entre l’administration luxembourgeoise et PwC, pour le compte de grandes multinationales.

Le second mis en cause, Raphaël Halet, ancien responsable de l’équipe qui scannait les documents chez PwC Luxembourg, a en revanche été débouté. La Cour de cassation a refusé de lui accorder le statut de lanceur d’alerte.

  • Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?

Le terme de « lanceur d’alerte » apparaît pour la première fois dans Les Sombres Précurseurs de Francis Chateauraynaud et Didier Torny. Dans cet ouvrage paru en 1999, les deux sociologues décrivent le lanceur d’alerte comme un citoyen agissant pour le bien commun. Dans un entretien au quotidien La Croix, les chercheurs expliquaient en 2012 que « le lanceur d’alerte remplit une fonction universelle qui consiste à éviter que le pire ne se produise ».

Dans Les Sombres Précurseurs, ils citent parmi les lanceurs d’alerte français la journaliste Anne-Marie Casteret, à l’origine du scandale du sang contaminé en 1991, ou bien Henri Pézerat, le chercheur qui a alerté sur la toxicité de l’amiante dans les années 1970.

En anglais, on préfère utiliser le terme whistleblower (littéralement « celui qui souffle dans un sifflet ») que l’Office québécois de la langue française traduit par « dénonciateur ».

La loi Sapin II de lutte contre la corruption a créé un statut de lanceur d’alerte, protégé par une agence de prévention et de détection de la corruption. Placée sous l’autorité conjointe des ministères de la justice et des finances, elle pourra recueillir leurs renseignements de façon anonyme et prendra en charge leur protection ainsi que d’éventuels frais de justice.

De WikiLeaks à LuxLeaks, que sont devenus aujourd’hui certains lanceurs d’alerte qui se sont mis à dos les administrations ou entreprises qu’ils dénonçaient ?

  1. Daniel Ellsberg, la face cachée du Vietnam
  2. Chelsea Manning, les secrets de la guerre d’Afghanistan
  3. Edward Snowden, la surveillance de masse
  4. Stéphanie Gibaud, le démarchage illégal d’UBS
  5. Hervé Falciani, les données d’évadés de la HSBC
  6. Antoine Deltour, les accords fiscaux du Luxembourg
  • Daniel Ellsberg, la face cachée du Vietnam

En juin 1971, cet ancien fonctionnaire américain a fourni 7 000 pages de documents ultra-secrets au « New York Times ».

Qu’a-t-il révélé ?

En juin 1971, cet ancien fonctionnaire américain a fourni 7 000 pages de documents ultrasecrets au New York Times. Il avait tenté, plus tôt, d’alerter plusieurs sénateurs sur les documents en sa possession. En exposant la face noire de l’intervention américaine au Vietnam, les « Pentagon Papers » ont nourri le débat sur ce conflit et contribué au retrait des troupes, deux ans plus tard.

Et ensuite ?

Après la publication des « Pentagon Papers », l’Etat américain a poursuivi Daniel Ellsberg pour vol, divulgation de secret d’Etat, conspiration et espionnage. Mais on apprend, au cours du procès, que les dossiers médicaux d’Ellsberg, utilisés à charge contre lui, ont été volés dans le cabinet de son psychiatre par les mêmes « plombiers » qui ont installé des caméras au siège du Parti démocrate en 1972 et déclenché le scandale du Watergate. Lorsque l’origine des preuves devient connue, les charges sont abandonnées.

Daniel Ellsberg est aujourd’hui considéré comme le précurseur des lanceurs d’alerte et a reçu différents prix : le Gandhi Peace Award en 1978, le Ridenhour Courage Prize en 2004 et le Right Livelihood Award, un prix Nobel alternatif, en 2006. En 2012, il a créé la Freedom of Press Foundation. Steven Spielberg s’est inspiré de son histoire dans le film Pentagon Papers (The Post, en version originale)sorti le 22 décembre 2017 aux Etats-Unis et prévu en salles le 24 janvier en France.

  • Chelsea Manning, les secrets de la guerre d’Afghanistan

Chelsea Manning, née Bradley Manning, était analyste militaire dans l’armée américaine.

Qu’a-t-elle révélé ?

Chelsea Manning, née Bradley Manning, était analyste militaire dans l’armée américaine. Elle est à l’origine en 2010 de la fuite de centaine de milliers de documents confidentiels auprès de WikiLeaks – câbles diplomatiques, câbles du département d’Etat, documents militaires, dossiers de détenus à Guantanamo… Elle a transmis, par exemple, la vidéo d’une bavure militaire en Irak, où l’on voit un hélicoptère de combat américain abattre des civils en juillet 2007.

Et ensuite ?

Le 21 août 2013, l’ancienne analyste a été condamnée à trente-cinq ans de prison sur 20 des 22 chefs d’accusation qui pesaient contre elle. Elle est incarcérée à la prison militaire de Fort Leavenworth, où ses conditions de détention en isolement sont décriées.

Le lendemain du verdict, elle demande publiquement à être appelée Chelsea Manning et entreprend de changer d’identité. En février 2015, l’armée américaine l’autorise à suivre un traitement hormonal.

En prison, elle tente de se suicider à deux reprises, et une enquête des Nations unies dénonce le « traitement cruel, inhumain et dégradant » qu’elle subit. Peu avant de quitter la Maison Blanche, le président Obama commue sa peine, et Chelsea Manning est libérée le 17 mai 2017.

  • Edward Snowden, la surveillance de masse

Edward Snowden, ici en février 2015, a révélé le scandale de la surveillance de masse par la NSA.

Qu’a-t-il révélé ?

Consultant à la NSA en tant qu’administrateur système, Edward Snowden a eu accès aux activités de l’agence de renseignement américaine et les a copiées sur une clé USB.

A partir de décembre 2012, il contacte le journaliste Glenn Greenwald et la documentariste Laura Poitras, membres fondateurs de la Freedom of Press Foundation. Tous les trois se rencontrent à Hongkong en mai 2013 et les premiers articles de Glenn Greenwald paraissent à partir du 5 juin.

Ses révélations ont déclenché une prise de conscience mondiale en dévoilant les techniques employées par la NSA pour espionner les appels téléphoniques ou pour intercepter la majorité des communications mondiale. Le programme Prism, par exemple, permet à la NSA d’accéder aux données collectées par Google, Apple, Facebook ou Microsoft sur des utilisateurs spécifiques. Selon le gouvernement américain, ce transfert de données est indirect et nécessite l’autorisation de la Foreign Intelligence Surveillance Court.

Et ensuite ?

Edward Snowden est aujourd’hui recherché par les Etats-Unis et risque trente ans de prison. La justice américaine l’a inculpé pour espionnage en se fondant sur l’Espionage Act of 1917, une loi fédérale votée lors de la première guerre mondiale. L’utilisation de ce texte à l’encontre des lanceurs d’alerte (Daniel Ellsberg a également été poursuivi à ce titre en 1971) est vivement contestée par une partie de la gauche américaine.

Un mois après avoir trouvé refuge à l’aéroport de Moscou, l’Américain s’est vu octroyer un droit d’asile d’un an. Ce droit a été renouvelé le 1er août 2014 pour trois ans, puis en janvier 2017 pour deux ans de plus. Edward Snowden n’a pas bénéficié de la même grâce présidentielle que Chelsea Manning. L’ancien consultant reste bloqué en Russie, où il poursuit sa recherche d’un asile.

  • Stéphanie Gibaud, le démarchage illégal d’UBS

Stéphanie Gibaud a refusé de supprimer une liste compromettante de HSBC.

Qu’a-t-elle révélé ?

Stéphanie Gibaud a été responsable du marketing dans la banque UBS France de 1999 à 2008. En juin 2008, alors que la filiale française de la banque suisse est mise en examen pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage illicite de clients français, le bureau du directeur général d’UBS est perquisitionné.

Stéphanie Gibaud reçoit alors de sa supérieure hiérarchique l’ordre d’effacer de son disque dur les fichiers contenant le nom des clients et des chargés d’affaire liés aux soirées qu’elle organise. Cette liste, qui prouvait que des chargés d’affaire suisses démarchaient illégalement des clients en France, a été utilisée dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte en mars 2011 contre UBS.

Et ensuite ?

A la suite de son refus de supprimer la liste, l’employée d’UBS affirme avoir subi un harcèlement constant de la part de ses employeurs. UBS tente de la licencier en 2009, sans succès, puis porte plainte pour diffamation mais perd le procès. Elle est finalement licenciée en 2012, mais réussit à obtenir une condamnation de la banque UBS pour harcèlement en 2015. La banque suisse lui verse 30 000 euros d’amende.

Le 5 avril 2016, dans l’émission Cash Investigation sur les « Panama Papers », le ministre des finances Michel Sapin remercie l’ancienne directrice marketing, qui « a bien permis au gouvernement de récupérer beaucoup d’argent ». Mais l’émission présente Stéphanie Gibaud comme une femme qui ne trouve plus d’emploi, vit des minima sociaux et risque à tout moment d’être expulsée de son logement. En octobre 2017, elle publie La Traque des lanceurs d’alerte (Max Milo), recueil de témoignages en France et à l’étranger.

  • Hervé Falciani, les données d’évadés de la HSBC

Qu’a-t-il révélé ?

Hervé Falciani a été condamné pour espionnage économique, vol de données et violation du secret bancaire pour avoir fait fuiter des documents de HSBC.

De 2001 à 2008, Hervé Falciani a travaillé dans la filiale suisse de HSBC en tant qu’ingénieur. C’est en 2006, alors qu’il est chargé de réorganiser la base de données de la banque, qu’il découvre que le système informatique tel qu’il est conçu favorise l’évasion fiscale.

Après avoir alerté ses supérieurs et proposé un autre système, en vain, Hervé Falciani rassemble des données pendant deux ans. En 2008, il fournit à la police judiciaire française une liste de 9 000 résidents fiscaux français évadés en Suisse, déclenchant l’affaire SwissLeaks.

Et ensuite ?

Les motivations d’Hervé Falciani restent floues et le terme de lanceur d’alerte fait débat. Le 28 novembre 2015, il est condamné par contumace à cinq ans de prison par la justice suisse, pour espionnage économique, vol de données et violation du secret bancaire. Hervé Falciani étant un ressortissant français domicilié en France, il ne peut être extradé vers la Suisse.

  • Antoine Deltour, les accords fiscaux du Luxembourg

Qu’a-t-il révélé ?

En 2010, Antoine Deltour travaillait comme auditeur dans la filiale luxembourgeoise du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) lorsqu’il a découvert des documents liés aux tax rulings, des accords fiscaux passés entre le Grand-Duché et des multinationales pour leur permettre de réduire leurs impôts par le biais de filiales. Il quitte le cabinet en emportant des documents, qu’il confie au journaliste français Edouard Perrin pour la réalisation d’un reportage de l’émission Cash Investigation, diffusé en mai 2012. Les documents ont par la suite été transmis, par une source inconnue, à l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), sis à Washington.

Une quarantaine de journaux, dont Le Monde, ont travaillé sur ces documents, constituant au total 28 000 pages d’accords fiscaux. L’enquête, parue le 5 novembre 2014, a été baptisée LuxLeaks.

Et ensuite ?

Antoine Deltour a été placé en garde à vue et inculpé le 12 décembre 2014 par la justice luxembourgeoise pour vol et blanchiment d’argent. A l’issue de son procès, il a été condamné en juin 2016 à douze mois de prison et 1 500 euros d’amende. Raphaël Halet, ancien responsable de l’équipe qui scannait les documents chez PwC Luxembourg, a aussi été condamné. Leur peine a été légèrement allégée en appel en mars 2017, et la condamnation du consultant français a été cassée en janvier 2018. Il doit toutefois être jugé en appel pour s’être approprié les documents de formation interne de PwC. Le journaliste Edouard Perrin, également inculpé pour vol domestique et blanchiment, a été relaxé.

L’affaire LuxLeaks a fragilisé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, qui était premier ministre luxembourgeois à l’époque des faits. Elle a aussi permis d’adopter une directive européenne imposant aux pays européens de s’échanger ces accords secrets à l’automne 2015, et Antoine Deltour a obtenu le prix du citoyen européen en 2015, décerné par le Parlement européen.

Quant au lanceur d’alerte à l’origine de la fuite des Panama Papers, seul le quotidien allemand Suddeütsche Zeitung connaît son identité.

Que sait-on de la source des « Panama papers » ?

Le « leak » qui a mis au jour le scandale des « Panama papers » a permis la fuite de millions de documents et données de la firme panaméenne Mossack Fonseca. Elle provient d’une source qui a remis gracieusement au Süddeutsche Zeitung les fichiers de la firme spécialisée dans le montage de sociétés offshore. Pour le protéger, l’identité du lanceur d’alerte n’a pas été divulguée aux médias partenaires du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) qui ont travaillé sur l’enquête.

L’authenticité des fichiers a toutefois pu être vérifiée à deux reprises, par la Süddeutsche Zeitung et par Le Monde. Plusieurs fractions de ce « leak », parcellaires et plus anciennes, avaient été vendues aux autorités fiscales allemandes, américaines et britanniques au cours des dernières années, une procédure qui est devenue relativement habituelle, notamment en Allemagne. La France fait ainsi partie des pays qui se sont vus proposer l’achat d’une partie des « Panama papers ». Outre-Rhin, les investigations sur la base de ces documents ont donné lieu à une série de perquisitions en février 2015 contre des banques allemandes soupçonnées de complicités de blanchiment et de fraude fiscale. La Commerzbank, deuxième établissement bancaire d’Allemagne, a accepté en octobre 2015 de payer 17 millions d’euros d’amende pour avoir aidé certains de ses clients à frauder le fisc avec l’aide de sociétés enregistrées par Mossack Fonseca.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.