Amadis de Gaulede Jean-Chrétien Bach

Opéra-comique, à Paris

La surprise est d’autant plus délicieuse que l’on ne l’attendait pas. Qui a entendu Amadis de Gaule, de Jean-Chrétien Bach ? Qui connaît son héros, chevalier errant et amoureux transi, surgi tout droit d’un cycle arthurien conçu dans l’Espagne du XIVe siècle ? De quoi laisser perplexe à la nouvelle de son exhumation !

D’autant que cet ultime opéra d’un des fils de Jean-Sébastien Bach, commande du directeur de l’Académie royale de musique de Paris, se solda par un échec cuisant. Créé le 15 décembre 1779, il ne connut que sept représentations avant d’être remisé dans un tiroir. Il arrivait mal. La « querelle des Bouffons » qui avait vu s’écharper les « gluckistes », partisans de la tradition française, et les « piccinistes », défenseurs des réformateurs italiens, n’était pas éteinte. Les uns reprochèrent au compositeur de n’avoir pas pris leur parti, les autres de n’avoir pas réussi à réconcilier les deux camps !

Ce paradoxe fait tout le charme de la partition. Elle évoque aussi bien Haendel que Grétry ou Mozart. Les arias alternent avec les grandes envolées, les chœurs avec la danse. Vive, tour à tour légère ou puissante, précieuse par à-coups, grave aussi, sinon tragique, elle est riche d’une palette dont rend compte avec délices Jérémie Rhorer.

Sous sa direction alerte, tous les registres vibrent, du clair au sombre, de la nuit noire aux matins radieux. Les musiciens, ce sont ceux du vaillant et pétillant Cercle de l’harmonie ; les chanteurs, ce sont, d’abord, Philippe Do et Hélène Guilmette. Le premier, ténor, interprète le rôle titre tout en nuances ; la seconde, voix cristalline, l’objet de son désir.

Un étourdissant charivari

Sont à célébrer aussi Allyson McHardy, double de la méchante fée Morgane, d’une force impressionnante dans la plainte comme dans la colère ; Franco Pomponi, « méchant » enchanteur de bande dessinée aux accents puissants… Et puis encore Alix Le Saux, Julie Fuchs, les solistes du chœur de l’Opéra de Ljubljana Ana Dezman, Peter Martincic, Martin Susnik… Tous s’ébrouant en accords parfaits avec la mise en scène magique de Marcel Bozonnet.

Faisant fi des invraisemblances du livret adapté un peu vite d’un poème tragique de Quinault (écrit pour Lully !), ou plutôt les retournant à leur avantage, il joue résolument du merveilleux des artifices du théâtre. Dans un décor changeant de carton-pâte et de toiles peintes d’Antoine Fontaine, subtilement éclairé par Dominique Bruguière, les passions se donnent libre cours sur le plateau transformé en un écrin pour contes et légendes. À moins qu’il ne se métamorphose en cadre pour images d’Épinal ou pour tableaux de maître lorsqu’une prison se peuple de créatures rappelant Les Pestiférés de Jaffa.

Amour, haine, jalousie, héroïsme, pardon… tout y est, décliné franc jeu ou agrémenté de références et de clins d’œil qui ne sont jamais moqueries ni dérision. L’atmosphère est celle d’un étourdissant charivari, aux couleurs magnifiques des costumes imaginés par Renato Bianchi. Empruntant savamment à toutes les époques, ils traversent l’histoire, des diablotins ailés échappés de quelques gargouilles aux Érinyes vêtues à la façon des « pleureuses » des monuments aux morts des années 1920. Aux tuniques de la Grèce antique répondent les robes du Consulat, aux habits de cour XVIIIe les costumes civils du XXIe . Tous les sens sont à la fête. Sous un unique charme : l’enchantement.