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Peter Gelb :« L'opéra doit se protéger du conservatisme »

Peter Gelb. B. Lacombe/Metropolitan Opera

INTERVIEW - Pionnier de la retransmission des spectacles dans les cinémas, le patron du Metropolitan Opera estime que l'art lyrique doit innover pour durer.

Il a débuté au Metropolitan Opera comme ouvreur. À 58 ans, il en est aujourd'hui le directeur. Une belle réussite marquée par un souci constant: élargir le public. Depuis sa nomination en 2005, il multiplie les initiatives: soirées de lancement de la saison diffusées sur écrans géants à Times Square, nouveaux metteurs en scène, ouverture des générales au public, radio en continu sur Internet… En 2006, le premier, il s'est lancé dans l'aven­ture de la retransmission d'opéras dans les salles de cinéma: le HD Live couvre 54 pays.

Le mois dernier, les HD Live du Met ont connu un record de fréquentation. Comment analysez-vous ce succès?

Comme un signal plutôt qu'un aboutissement. Le fait que ce record ait été atteint avec Le Crépuscule des dieux de Wagner montre bien que ces retransmissions d'opéra au cinéma ouvrent un champ de possibilités plus large qu'on ne l'avait imaginé.

En quel sens?

Dès le début du Ring, mis en scène par Robert Lepage, il y a deux ans, je voulais que chaque volet soit retransmis en direct. Mais l'accueil du public était incertain. Pouvait-on le captiver à distance pendant plus de cinq heures? Et la mise en scène de Lepage était une gageure technique. Les caméras parviendraient-elles à en rendre la subtilité? La réponse des spectateurs montre qu'on a bien fait d'y croire.

Ne craignez-vous pas que votre public déserte le Met pour aller au cinéma?

Quand j'en ai pris la direction, le Met était l'institution conservatrice par excellence. Au lancement de HD Live, beaucoup ont prédit un échec immédiat. Aujourd'hui, ces mêmes personnes prétendent que nous allons vampiriser le public des salles d'opéra avec ces retransmissions. Les retransmissions sportives à la télévision ne vident pas les stades. Abolir la forme traditionnelle de l'opéra est la dernière chose que je souhaite: je suis pour l'expérimentation. Pas pour mettre en péril la profession.

Comment avez-vous convaincu les syndicats de vous suivre?

J'ai rassemblé un lobby de grands ar­tistes favorables à ces retransmissions: Renée Fleming, Placido Domingo, Anna Netrebko. Avec eux à mes côtés, je savais que ce serait facile. Puis j'ai regardé les syndicats dans les yeux et leur ai dit que leur avenir en dépendait. Le seul danger, à l'opéra, c'est le manque de créativité. L'embourgeoisement, c'est la mort. Les maisons proches de l'abîme sont celles qui ne cherchent plus à stimuler le public.

Que cherchent les amateurs d'opéra dans les salles de cinéma?

Une alternative. Il ne s'agit pas de remplacer le fait d'être dans la salle, de respirer le même air que les chanteurs ou de les entendre dans une acoustique naturelle. Il s'agit juste de les voir autrement. Le HD Live offre des gros plans que vous n'aurez jamais avec vos jumelles et une intimité avec les artistes, tant sur scène qu'en coulisse, pendant l'entracte. À la marge, cela permet de toucher un autre public, notamment des jeunes qui n'ont pas les moyens de s'offrir une place d'opéra ou qui trouvent l'ambiance guindée. Il y a aussi les personnes âgées qui n'ont plus la force de traverser les États-Unis pour venir au Met… Enfin, et surtout, le HD Live attire le public à l'étranger.

Les artistes sont-ils unanimes sur ces retransmissions? Angela Gheorghiu parle d'une pression supplémentaire…

C'est une pression. Mais les grands artistes cherchent le défi. Ce n'est pas un hasard si les meilleures représentations sont toujours celles qui sont retrans­mises. Pourtant, elles ont lieu en matinée, à l'heure où les chanteurs sont théoriquement le moins en voix.

Ces retransmissions influent-elles sur votre travail de programmation?

Je m'efforce juste de faire en sorte que HD Live reflète la vitalité du Met: ses grands classiques comme Ernani, mais aussi ses nouvelles productions. Quand je suis arrivé au Met, l'une des pre­mières mesures que j'ai prises a été d'en doubler le nombre. Et aussi les entrées au répertoire comme La Tempête d'Adès la saison prochaine, et bientôt The Death of Klinghoffer de John Adams.

Le contemporain a donc droit de cité dans une maison de répertoire?

Élargir le répertoire doit rester une priorité. Adams est peut-être le plus grand compositeur vivant. Avant 2005, il n'avait jamais été joué au Met! Nous avons deux projets: l'un, très excitant, avec Osvaldo Golijov sur un livret du cinéaste Guillermo del Toro ; l'autre, sur le champion de F1 Ayrton Senna.

La réussite de HD Live, c'est aussi un peu la vôtre…

Quand j'ai été nommé en 2004, on m'a décrit comme outsider. Je n'avais jamais dirigé d'opéra avant. J'ai pourtant un rapport intime à cette maison. À 17 ans, j'y ai été ouvreur. À 20, j'ai réalisé des publicités pour elle. Avant de diriger Sony Classical, j'ai produit pendant six ans la série télé The Met presents. J'ai d'ailleurs fait installer un bureau mobile à l'intérieur de la salle pour être présent à chaque répétition.

Vous voyez-vous comme un pionnier ou un héritier?

Comme l'avocat du diable, ou plus exactement celui du Met, que je m'efforce de protéger du conservatisme ambiant, tout en m'assurant que la musique restera notre priorité. Je défends aussi les metteurs en scène, que je protège du Met lui-même, et des réalisateurs de cinéma lorsqu'il y a retransmission.

Le Met a donc de l'avenir?

Plus qu'au début des années 2000, à condition de refuser tout statu quo. C'est d'ailleurs valable pour toutes les institutions, pas seulement culturelles. Cela concerne aussi le New York Times ou Le Figaro!


Record pour «le crépuscule des dieux»

Le 11 février, avec Le Crépuscule des dieux, la série HD Live du Met a pulvérisé tous les records. En Amérique du Nord, le spectacle - de cinq heures et demie ! - aura rapporté 1,8 million de dollars en une soirée. Soit 700.000 de plus que The Descendants avec George Clooney le week-end de sa sortie !

«En France, c'est Don Giovanni, en octobre, qui a réuni 23.000 spectateurs. Nous en espérons 25.000 avec La Traviata de Dessay en avril , dit Thierry Fontaine, directeur de Pathé Live, diffuseur du Met en France, en Suisse et au Maroc. En avril 2008, Ciel Écran a diffusé la première retransmission française en direct du Met. Nous avons racheté la société, conscients du phénomène à un moment où les salles françaises s'équipaient en numérique.» Commencée en France en 2008 avec 17 salles, la saison HD Live du Met en touche aujourd'hui 100 (Gaumont Pathé, Kinépolis, Cinéville, Cap-Cinémas et une quarantaine d'indépendants).

Six satellites

Les spectateurs sont avant tout des fans d'opéra. «60% allaient déjà à l'opéra et y vont toujours. Les autres sont des néophytes, dont des jeunes qui fréquentent les salles de cinéma.» Ils recherchent en priorité la marque du Met, gage de stars et de qualité. Viennent ensuite le direct et le prix (22 euros en moyenne).

Le Met s'est équipé de dix caméras pour filmer lui-même les spectacles retransmis ensuite par six satellites. Mais les cinémas ne sont pas à l'abri d'une perte de signal. «C'est arrivé récemment au Gaumont Convention, nous avons dû rembourser les 250 spectateurs», confie Thierry Fontaine. Pathé Live a un quasi-monopole en France sur le direct (UGC a une série intitulée Viva l'Opéra, mais fait surtout du différé) et, depuis 2009, retransmet aussi les spectacles du Bolchoï. Il pourrait bientôt retransmettre une partie de la saison de l'Opéra de Paris. «Nous sommes en discussion », révèle Pathé Live.

Dimanche, à 16 heures, Le Corsaire
en direct du Bolchoï. Programme et liste
des salles www.pathelive.com

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