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Le boom de l’énergie menace les ressources en eau

Un rapport des Nations unies s’inquiète des pressions sur la ressource hydrique provoquées par la croissance économique mondiale.

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Publié le 21 mars 2014 à 11h42, modifié le 21 mars 2014 à 12h34

Temps de Lecture 5 min.

Manifestation d'opposants à la technique de la fracturation hydraulique, utilisée pour l'extraction du gaz de schiste, le 20 mars à New York.

Pour rendre l'eau accessible – c'est-à-dire la pomper, la traiter, la transporter, la distribuer – il faut de l'énergie. Et, pour fournir de l'énergie, il faut de l'eau, beaucoup d'eau même : 600 milliards de mètres cubes par an. Ces deux ressources sont intrinsèquement liées « pour le meilleur et pour le pire », prévient l'ONU dans son cinquième rapport mondial sur « La mise en valeur des ressources en eau », rendu public le 21 mars, à Tokyo.

A la veille de la Journée mondiale de l'eau, plutôt que de dresser le tableau traditionnel des régions pauvres de la planète où les populations n'ont pas accès à l'eau, les Nations unies ont décidé, cette fois-ci, de se concentrer sur l'interdépendance eau-énergie, annonçant des « défis majeurs ». Le « bien-être humain » en dépend tout comme le développement (durable ou pas), expliquent les experts des 31 entités de l'ONU-Eau qui ont travaillé sur le rapport.

Certes, l'agriculture reste de loin l'activité la plus consommatrice d'eau puisqu'elle capte 70 % de la ressource, à comparer aux 10 % destinés aux usages domestiques. Mais cette proportion pourrait diminuer à condition, insistent les spécialistes, de réaliser des progrès dans l'irrigation notamment, pour limiter les gaspillages. En revanche, croissance mondiale oblige – démographique et économique –, l'industrie est appelée à peser de plus en plus lourd sur les prélèvements hydriques. Or les trois quarts des 20 % d'eau qui lui reviennent servent à produire de l'énergie.

FERMIERS CONTRE INDUSTRIELS DU GAZ DE SCHISTE

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Déjà, aux Etats-Unis et dans certains pays d'Europe du Nord, l'eau utilisée pour faire fonctionner les centrales thermiques pèse autant, voire plus (50 %) que celle captée par l'agriculture. Ce pourcentage tombe à 10 %, environ, en Chine. Mais qu'en sera-t-il dans quelques années ? On s'attend en effet à voir grimper la demande en électricité de 70 % d'ici à 2035 pour combler majoritairement les besoins des deux géants d'Asie, la Chine et l'Inde.

Qu'il s'agisse d'extraire charbon, gaz, pétrole ou d'irriguer maïs et colza destinés à être transformés en agrocarburants, ou encore de refroidir des centrales thermiques et nucléaires qui fournissent 80 % de l'électricité mondiale, l'industrie va devoir composer avec une ressource qui se raréfie. Dans plusieurs régions du globe, des nappes phréatiques ont vu leur niveau baisser ou leurs eaux devenir saumâtres.

Déjà, un aquifère sur cinq est surexploité aujourd'hui et ne renouvelle plus ses réserves. D'ici à 2050, alerte l'ONU, 2,3 milliards de personnes vivront dans des zones soumises à un stress hydrique sévère, surtout en Afrique du Nord et en Asie.

Le secteur de l'énergie ne sera pas épargné. En août 2012, la sécheresse qui a sévi dans plus de la moitié des Etats-Unis a opposé fermiers qui essayaient de préserver leurs ressources hydrauliques et industriels du gaz de schiste empêchés de réaliser des fracturations hydrauliques pour aller chercher le pétrole. Une pénurie que subissent déjà de nombreux grands barrages dans le monde.

PÉNURIE D'EAU POTABLE EN CALIFORNIE

En France, des centrales nucléaires installées le long du Rhône ont dû freiner leur activité au cours d'épisodes caniculaires : la chaleur des eaux du fleuve rendait plus complexe le refroidissement des réacteurs.

Le changement climatique, qui provoque aussi une surexploitation des aquifères, va accentuer les menaces et les coûts financiers. La Californie s'inquiète du montant de la facture énergétique nécessaire au fonctionnement des dix-sept usines de dessalement qu'elle a prévu de construire, afin de remédier à la pénurie en eau potable.

Et ce cercle infernal n'est pas prêt de s'arrêter. La consommation énergétique mondiale a crû de 186 % en quarante ans. Depuis les années 1980, l'homme prélève 1 % de ressource hydrique supplémentaire chaque année. Au rythme qui se dessine actuellement, il faudrait trouver 55 % d'eau en plus d'ici à 2050 pour répondre à l'ensemble des besoins.

Si les modes de production d'énergie, de chauffage, de carburant ne sont pas tous aussi gourmands en eau, ce sont les plus « hydro-intenses » qui devraient continuer à dominer, selon l'Agence internationale de l'énergie. « Nous allons vers davantage de gaz de schiste et de sables bitumineux, résume Richard Connor, principal auteur du rapport. Plus d'agrocarburants également. On en fait partout, y compris dans les régions où il est nécessaire d'irriguer ! »

En dépit des ses grands besoins en eau et de sa capacité à la polluer, le charbon devrait conserver sa première place dans la région Asie-Pacifique. Les experts notent que 15 à 18 milliards de m3 d'eau douce sont contaminés chaque année par la production de combustibles fossiles. « Le risque de conflit entre les centrales énergétiques, les autres utilisateurs de ressources en eau et les défenseurs de l'environnement est croissant », estiment-ils.

LA PART MODESTE DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Les regards des experts se tournent alors vers les énergies renouvelables. Hormis les 16 % apportés par l'hydroélectricité, leur part reste des plus modestes. Certes, le solaire, l'éolien et la géothermie ont beau être « sans conteste » les plus économes en eau et « les plus durables », leur production intermittente d'électricité reste un obstacle à leur développement.

Si ces technologies progressent – le secteur photovoltaïque a augmenté de 42 % depuis 2000, le solaire de 27 % –, la tendance n'est pas prête de s'inverser, tant que la question du stockage de l'électricité n'est pas réglée. Et que les combustibles fossibles restent fortement subventionnés au niveau mondial (380 milliards d'euros en 2012).

In fine, l'ONU souligne à quel point l'eau, considérée comme un don de la nature, est gaspillée. Son prix, d'abord, ne reflète pas sa valeur. Quant à sa gestion, deux logiques s'opposent : celle des gouvernements qui l'abordent essentiellement en termes de santé publique et de bien-être. Et celle des industriels de l'énergie, pressés de répondre à la demande mondiale d'électricité.

« L'interdépendance des ressources en eau et en énergie appelle de la part de tous les acteurs une coopération beaucoup plus étroite, car il est clair qu'il n'y aura pas de développement durable tant qu'il n'y aura pas de meilleur accès à l'eau et à l'énergie pour tous », affirme la directrice générale de l'Unesco, Irina Bokova.

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