« Chez Massenet, les courtisanes ont un parcours de rédemption et les saintes un sentiment religieux très incarné. Cette dimension à la fois mystique et sensuelle me touche, en tant qu’artiste, femme et croyante ! Pour moi, chanter sa musique est comme une prière… »

Attablée devant un copieux « goûter », très terrestre, la soprano Nathalie Manfrino se lance avec passion dans la défense d’un compositeur qu’elle juge mal-aimé ou plutôt « paresseusement apprécié. On donne toujours les mêmes ouvrages, Manon et Werther, certes magnifiques, sans chercher plus loin ; alors qu’il a écrit des opéras et des oratorios merveilleux qui méritent d’être redécouverts. Pour moi, son inspiration n’a rien de désuet même si elle est très marquée XIXe siècle. »

Dans Méditations, le CD (chez Decca) qu’elle vient de publier et dont elle interprète samedi le programme au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, Nathalie Manfrino égrène des airs rares du compositeur français dont on célèbre le centenaire de la mort (1).

Ce qu’elle nomme modestement « les hasards et bifurcations de la carrière » l’ont conduite jusqu’ici à se consacrer essentiellement à l’opéra français, où sa diction élégante, son timbre ultra-féminin et la tendre intensité de sa présence scénique font merveille, ainsi qu’au répertoire italien.

Et si sa blondeur et l’azur de son regard limpide et malicieux évoquent plutôt les brumes du Nord, Nathalie Manfrino revendique son origine « à demi italienne » qui en fait une compatriote de Traviata ou Desdémone. « Je les adore toutes les deux et si je chante déjà la première, je rêve d’incarner un jour la seconde. Otello de Verdi est peut-être mon opéra préféré, sublime et terrible ! »

On l’a compris, la tiédeur n’est guère du goût de la musicienne… « Je fais un métier magique mais aussi très dur. Quand il faut chanter au Théâtre antique d’Orange devant des milliers d’aficionados de l’art lyrique, la pression est immense. Il est essentiel d’être entourée de personnes lucides et bienveillantes qui vous aident et vous conseillent. »

Au premier rang desquelles son mari, le musicien et metteur en scène David Alagna – frère du célèbre ténor – dont elle partage la vie depuis treize ans. « Sans lui, je ne serais pas à ce niveau », confie-t-elle sobrement.

Nathalie Manfrino conçoit l’opéra comme le lieu de fusion entre l’excellence musicale et la flamme dramatique. « À l’avenir, j’espère travailler avec des metteurs en scène qui développent mon approche de comédienne. C’est essentiel pour communiquer avec le public d’aujourd’hui et faire comprendre que l’opéra est dans la vie et non en marge », affirme cette amatrice de cinéma qui vibre devant Jean Gabin, Gérard Philipe ou Marilyn Monroe dont « le charme absolu » la subjugue.

Pour guider sa traversée de l’œuvre de Massenet, la chanteuse a été « dorlotée » par le chef d’orchestre Michel Plasson. « Nous avions parlé de ce projet à Palerme où j’ai chanté Manon sous sa direction. Écoutez combien il obtient des sonorités soyeuses, des cordes flottantes, des harpes célestes ! Durant l’enregistrement, j’étais enveloppée par les instruments du Philharmonique de Monte-Carlo, comme une barque en pleine mer », se souvient Nathalie Manfrino.

Samedi, un autre musicien mythique l’accompagnera : le chef australien Richard Bonynge (né en 1930) qui fut l’époux et le mentor de la grande Joan Sutherland, prima donna éblouissante. « Quel privilège de pouvoir ainsi se nourrir de l’art et de l’expérience de ses aînés. J’ai une chance folle ! »