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Pourquoi Gerard Mortier réussit tout depuis qu'il a quitté Paris

Gerard Mortier réussit à Madrid ce à quoi il n'était pas toujours parvenu à l'Opéra de Paris : un spectacle où tous les éléments accomplissent une manière de perfection, accessible à tous tout en conservant une part de mystère.

Par Renaud Machart

Publié le 21 janvier 2012 à 14h45, modifié le 23 janvier 2012 à 14h20

Temps de Lecture 3 min.

Gerard Mortier, 66 ans, ancien directeur de l'Opéra de Paris, dirige désormais le Teatro Real de Madrid.

On l'avoue, comme beaucoup, on ne connaissait guère Iolanta (1892), le dernier des opéras de Tchaïkovski, presque jamais à l'affiche et dont l'insuccès précipita un peu plus encore le compositeur, à la fin de sa vie, dans une grave dépression. Cet ouvrage court (1 h 30 environ) avait scandalisé les conservateurs par son mépris des usages, son récit direct et rêveur pour lequel l'auteur de Casse-Noisette (ballet qu'il écrivit pendant la même période et qui fut créé le même soir que Iolanta) fournit l'une de ses plus belles musiques, orchestrée d'une manière inhabituelle et subtile, avec une prédominance des vents (auxquels le prélude est exclusivement confié d'ailleurs).

On moque parfois son livret car l'histoire est simple : Iolanta (Yolande), la fille du roi René, est aveugle sans savoir que son handicap n'est pas partagé par tous. Jusqu'à ce qu'un prince charmant lui révèle qu'elle pourrait recevoir cette faculté inconnue par une simple déclaration d'amour. Par l'entremise d'un médecin arabe, Iolanta découvre la vue, et l'amour.

De cela, Peter Sellars fait ce qu'il sait faire le mieux : un théâtre du jeu à nu, d'expressions réduites à leur plus essentielle incarnation, qui ne devraient pas échapper aux spectateurs de Mezzo, lors de la diffusion en direct du spectacle, conjointement avec France Musique, le 24 janvier : de ces rapports entre les personnages (tous merveilleusement chantés), habillés de manière neutre, Sellars fait un entrelacs fascinant, un contrepoint visuel d'une grande finesse qui semble parcourir une énigmatique carte du tendre. Le tout sis dans un décor constitué de quelques portiques surmontés de sculptures abstraites avec de larges toiles peintes qui descendent des cintres, en fond de plateau.

Dans Perséphone, sans brouiller le message, Sellars incarne, par une juste profusion visuelle, le langage scénique particulier de cette collaboration entre Igor Stravinsky et André Gide, en 1933, qui est à la fois un ballet, une pantomime, une cantate et un mélodrame (pièce pour récitant avec musique). Sur scène, dans le même décor, Dominique Blanc (hélas trop amplifiée) se mêle à des danseurs cambodgiens, qui exécutent des figures stylisées allant parfaitement avec la musique ultrasophistiquée de Stravinsky, à Paul Groves (voix et diction française peu séduisantes) et aux jeunes chanteurs de l'excellent choeur du Teatro Real, d'une fraîcheur, d'une précision musicale rares sur les scènes lyriques.

UNE MANIÈRE DE PERFECTION

Cette réussite doit aussi beaucoup à Teodor Currentzis, jeune chef grec, passablement "gothique", dont Gerard Mortier avait révélé l'éclatant talent à l'Opéra de Paris. A l'aise aussi bien dans le grand répertoire que dans la musique ancienne (il a gravé pour Alpha la plus singulière et passionnante version de Didon et Enée, de Purcell), le chef, formé en Russie (où il dirige l'Opéra de Perm après avoir longtemps été à Novosibirsk) est d'une formidable précision alliée à un lyrisme - celui d'un chagrin sec - qui va droit au coeur.

Cette nouvelle production marque d'une nouvelle pierre blanche le mandat de Gerard Mortier à Madrid, qui réussit décidément ce à quoi il n'était pas toujours parvenu à l'Opéra de Paris : un spectacle où tous les éléments, avec des moyens et des buts concordants, accomplissent une manière de perfection, accessible à tous tout en conservant une part de mystère. Il a réformé profondément le choeur, remplacé les chanteurs âgés par un effectif de jeunes, contraint l'orchestre à se hisser à un niveau meilleur (les cordes manquent encore d'un son "nourri", mais les vents sont pour la plupart excellents). Gerard Mortier sait toujours organiser autour de lui un climat d'excitation, de nouveauté et de défi. Cela ne marche pas à tous les coups, mais quel spectacle rafraîchissant, fort, audacieux et poétique que ce doublé Iolanta/Perséphone !


IolantaPerséphone

, de Piotr Illiytch Tchaïkovski et

, d'Igor Stravinsky.

Par Ekaterina Scherbachenko (Iolanta), Alexej Markov (Robert), Pavel Cernoch (Vaudémont), Dmitry Ulianov (Roi René), Willard White (Ibn-Hakia), Vasily Efimov (Alméric), Dominique Blanc (Perséphone), Paul Groves (Eumolpe), Pequeños Cantores (Children chorus), Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Orquesta Titular del Teatro Real, Teodor Currentzis (direction), Peter Sellars (mise en scène), Teatro Real de Madrid, le 14 janvier. Jusqu'au 19 janvier. Tél. : 00-34-91-516-06-60. Diffusion en direct sur France Musique le 24 janvier à 20 heures, dans le cadre d'une journée spéciale à Madrid, et sur Mezzo.

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