Rhabille-toi, Cassandre ! Depuis le temps qu'on nous annonce la mort par K.-O. de la culture face aux nouvelles technologies, l'aube de cette année 2012 est porteuse d'une nouvelle qui donne chaud au coeur : les Français n'ont jamais été aussi friands de sorties, de spectacles et d'activités culturelles.
Ce n'est pas tant le chiffre de fréquentation du cinéma français cette année, qui, dopé par le phénomène Intouchables - près de 17 millions de spectateurs -, a encore augmenté de 4,2 % le record de l'année précédente, que sa lente progression qui est révélateur. Il faut remonter à 1966 pour retrouver une telle année miraculeuse. Ce ne sont pas non plus les hausses formidables du nombre de visiteurs qui se sont pressés au Louvre (8,8 millions), à Versailles (6,5 millions), au Centre Pompidou (3,6 millions) ou au Musée d'Orsay (3,1 millions) qui nous surprennent que le fait qu'ils soulignent une tendance plus profonde visible dans les études statistiques des sociologues.
Le rapport dont nous rendons compte sur l'évolution des comportements culturels des Français entre 1973 et 2008 est ainsi riche d'enseignements. Que dit-il ? Que nous sortons plus, que nous écoutons plus de musique, que nous pratiquons plus aujourd'hui qu'il y a trente-cinq ans. S'il montre un tassement de la lecture - et pas seulement des journaux -, il dessine un Français consommateur d'arts et demandeur de partage. Trois Français sur dix ont une activité artistique aujourd'hui, contre 1,5 dans les années 1970. Ils apprennent un instrument comme jamais (+ 60 %), écrivent, peignent, font du théâtre (+ 100 % pour ces trois activités) ou vont aux cours de danse (+ 300 %).
On nous objectera que l'accès à la culture reste socialement inégalitaire, que ce sont avant tout de grosses machines qui produisent les chiffres cités plus haut. Reste qu'à l'heure d'Internet la tendance est rassurante. On nous promettait l'émiettement : une "home-culture" individualisée, personnalisée, solitaire devant des écrans muraux. On nous alertait sur un avenir promis au despotisme des ordinateurs et au décervelage des jeunes générations. C'est le contraire qui se produit. Dans un formidable mouvement de balancier, notre civilisation, qui produit de plus en plus de solitude, génère dans le même temps son antidote : les Français se révèlent amateurs de grandes messes culturelles, d'événements réunificateurs, de théâtre, de concerts de rock, de salles obscures où la taille de l'écran est sans doute moins importante que la présence du collectif, de l'"ici et maintenant", de l'émotion partagée.
Faut-il relire Walter Benjamin ? Faut-il aller chercher dans L'Œuvre d'art à l'heure de sa reproductibilité technique, ouvrage angulaire publié par le philosophe en 1936, des réponses à ce que l'on observe aujourd'hui ? La dématérialisation du produit, expliquait-il en gros, allait s'accompagner d'une quête de l'unique - du concert, de l'événement -, qui refaçonnerait ainsi en profondeur un paysage que, oui, disons-le, nous sommes aujourd'hui heureux de contempler.
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