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Précaires et mal protégés : les jeunes en première ligne face aux dégâts économiques du Covid-19
Le chômage a augmenté de 34% chez les moins de 25 ans au deuxième trimestre.
Hugo Passarello Luna / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Précaires et mal protégés : les jeunes en première ligne face aux dégâts économiques du Covid-19

Vague de pauvreté

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Les moins de 25 ans sont les plus touchés par les suppressions d'emplois précaires entraînées par la pandémie. Et en même temps les moins protégés faute d'avoir accès au RSA, dont le gouvernement a écarté l'extension malgré les demandes des associations.

Ils sont l'autre visage de la crise. Alors que le Covid-19 touche d'abord les personnes âgées, les plus jeunes sont en première ligne face aux suppressions d'emplois précaires entraînées par les mesures sanitaires. Malgré cette vulnérabilité, ils sont aussi les moins protégés contre une chute de leur revenu, faute d'avoir accès aux minima sociaux. Alertant sur une vague de jeunes demandeurs, les associations de lutte contre la pauvreté réclament l'ouverture du RSA aux 18-25 ans, mais se sont heurtées au refus du gouvernement.

Les jeunes ont été les plus touchés par la hausse du chômage enclenchée par le confinement. Pôle emploi a en effet enregistré 612.600 inscrits de moins de 25 ans en catégorie A au deuxième trimestre, en hausse de 34 % par rapport aux premiers mois de l'année. Un décollage bien plus marqué que celui observé chez les plus de 25 ans, dont le taux de chômage a bondi de 23 % entre avril et juin.

Les plus précaires trinquent

"Étant les plus à risque d’occuper des emplois temporaires, les jeunes récemment entrés sur le marché du travail ont été les premières victimes de la chute brutale de l’activité économique", analyse en ce sens une note de l'Insee publiée le 14 octobre. Selon cette étude, 8,6 % des moins de 25 ans qui avaient un travail l'ont perdu pendant le confinement, contre 4,1 % des 25-29 ans. Tandis que la baisse des embauches, notamment en CDD et en intérim, a rendu plus difficile le retour à l'emploi. "C'était déjà difficile de trouver un poste avant le Covid-19, mais la situation a encore empiré avec une baisse du nombre d'annonces", observe par exemple Fanny, 21 ans, auprès de Marianne. Cette Vauclusienne sans diplôme n'a réussi à cumuler que trois semaines de travail depuis le confinement, à travers deux missions d'intérim.

Habitant encore chez ses parents, Fanny est en partie protégée face à la chute de ses revenus. "Cela me fait économiser la nourriture et le logement, mais pour le reste c'est moi qui paye. J'ai dû utiliser une partie de mes économies, m'imposer beaucoup de restrictions dans mes dépenses au quotidien", explique-t-elle. D'autres jeunes n'ont pas ce soutien, et doivent se tourner vers les associations d'aide aux plus pauvres. "Nous les voyons arriver parmi les nouveaux demandeurs de l'aide alimentaire, décrit Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe 870 associations. Des jeunes ont subi une perte brutale de ressources que rien ne vient compenser, parce qu'ils n'ont pas de soutien financier familial. Ils risquent de basculer dans la grande exclusion, voire la clochardisation : 25 % des places d'hébergement de nos adhérents sont occupées par des 18-25 ans aujourd'hui".

Le RSA jeune actif quasi inexistant

Les jeunes sont d'autant plus vulnérables qu'ils n'ont souvent pas accès aux minima sociaux. Les moins de 25 ans sont en effet exclus du Revenu de solidarité active (RSA), qui garantit 565 euros mensuels pour une personne seule. Sauf ceux ayant un enfant à charge, ce qui leur donne droit au RSA : environ 95 000 ménages de moins de 25 ans le touchaient fin 2018, dont 60 % de parents isolés. Pour les autres, il existe une version spéciale de cette prestation, le "RSA jeune actif". Avec un montant identique, mais des conditions bien plus drastiques : pour y prétendre, il faut avoir travaillé pendant deux ans à temps plein au cours des trois dernières années. Soit une borne plus élevée que celle de l'assurance chômage, qui ne requiert aujourd'hui que quatre mois de travail pour toucher des allocations. Conséquence : avec seulement 800 bénéficiaires fin 2018, le RSA jeune actif est en fait quasi inexistant.

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"Les moins de 25 ans se retrouvent dans une zone grise en dehors de la protection sociale, pointe Florent Guéguen. Dans les faits, ils n'ont droit qu'à l'hébergement d'urgence, à l'aide alimentaire et au remboursement des soins". D'où vient ce statut à part ? "Le système français est marqué par l'idée que c'est d'abord à la famille de s'occuper des jeunes, explique Tom Chevalier, chercheur au CNRS et spécialiste des politiques en direction des jeunes. Ils sont un angle mort de l'État-providence, faute d'être considérés comme des citoyens à part entière".

Pour combler ce trou dans le filet de sécurité, des associations réclament l'ouverture du RSA aux moins de 25 ans, sans condition d'activité passée. "Cela ne peut pas être la seule réponse, mais c'est un préalable minimum : on ne peut pas demander à un jeune de se loger ou de chercher un emploi s'il n'a aucune ressource", fait valoir Florent Guéguen. Avec d'autres responsables associatifs et syndicaux ainsi que deux députés de la majorité, il a signé le 9 mai dernier une tribune demandant cet élargissement, publiée par le Journal du dimanche. "La crise sanitaire est l'occasion de réparer cette discrimination faite aux jeunes depuis 1988 et la création du RMI [Revenu minimum d'insertion, l'ancêtre du RSA, ndlr], souligne le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité. Mais on n'en prend pas le chemin".

Les limites de la garantie jeunes

Car le gouvernement s'est pour l'instant refusé à élargir le RSA. "Ce serait, pour moi, se placer dans un esprit de défaite, pour les jeunes comme pour l'État. Aucun jeune ne grandit avec les minima sociaux comme horizon", opposait dès le 26 mai Gabriel Attal, alors secrétaire d'État chargé de la Jeunesse dans une interview aux Échos. Ce refus a été renouvelé par Jean Castex le 12 octobre : "Nous ne varierons pas sur un point : tout ce qui est RSA, c'est-à-dire qui donne des allocations relatives à un état de pauvreté, n'est pas dans nos priorités", a indiqué le Premier ministre sur franceinfo, renvoyant vers des "dispositifs d'insertion".

L'un d'eux a notamment été mis en avant par Sarah El Haïry, nouvelle secrétaire d'État à la Jeunesse, alors qu'elle était interrogée sur le refus d'ouvrir le RSA aux jeunes. "Je leur réponds [que] j'ai mieux que ça, bon sang ! s'est-elle exclamée sur France Inter le 14 octobre. La garantie jeunes, c'est mieux que le RSA. (...) C'est la même somme en argent mais il y a un vrai plus : l'accompagnement". Créée en 2016, la garantie jeunes combine une allocation mensuelle de 497 euros et une aide à l'insertion professionnelle, accessibles aux jeunes de 16 à 25 ans. Les premières évaluations de ce système montrent un bilan positif : "On voit des effets bénéfiques, note Tom Chevalier. Cela permet aux jeunes de gagner en compétences, de les accompagner vers l'emploi, de leur faire gagner confiance en eux".

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Mais ce dispositif comporte de sérieuses limites. D'abord, il ne s'étend que sur une durée d'un an, ou d'un an et demi en cas de prolongation. Et la garantie jeunes ne profite aujourd'hui qu'à 100.000 personnes, un chiffre que le plan de relance prévoit de porter à 150.000 en 2021. "Alors que l'on estime la population des jeunes sans emploi ni ressources et à faible qualification plutôt entre 400.000 et 500.000", soulève Florent Guéguen. Car à l'inverse du RSA, le nombre de bénéficiaires de ce système est plafonné : "Les missions locales [les organismes qui gèrent la garantie jeunes] recrutent autant que le permet leur budget, qui est fixé par l'État en fonction de l'objectif à atteindre", explique Tom Chevalier. Une rallonge de 211 millions d'euros est ainsi prévue l'an prochain. "Si la garantie jeunes devenait accessible à tous les jeunes, ce serait déjà une grande avancée", plaide Florent Guéguen.

En plus de l'extension de la garantie jeunes, l'exécutif a annoncé en juillet la création de 120.000 contrats aidés, qui doivent inciter les entreprises à recruter des jeunes actifs. Surtout, une aide exceptionnelle de 150 euros sera versée aux moins de 25 ans touchant les allocations logement et aux étudiants boursiers, comme annoncé par Emmanuel Macron le 14 octobre. Ce coup de pouce, qui profitera aussi aux ménages au RSA, est la principale mesure du plan pauvreté prévu par l'exécutif. "C'est une avancée qu'il faut saluer, juge Florent Guéguen. Mais cette aide ponctuelle ne suffira pas pour répondre à la précarisation de toute une partie de la population".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne