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Peter Sellars : "Un merveilleux défi"

A Madrid, l'Américain met en scène "Iolanta", opéra ultime de Tchaïkovski, et "Perséphone" de Stravinsky.

Par Propos recueillis par Renaud Machart

Publié le 21 janvier 2012 à 14h47, modifié le 21 janvier 2012 à 14h47

Temps de Lecture 5 min.

Le metteur en scène américain Peter Sellars.

Le metteur en scène américain Peter Sellars, né en 1957, s'est fait connaître du public parisien par sa célèbre trilogie des opéras de Mozart sur des livrets de Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni et Cosi fan tutte) en 1989. Depuis, il a signé en France, notamment à la MC93 de Bobigny, au Théâtre du Châtelet et à l'Opéra de Paris, des spectacles marquants, comme le Nixon en China de John Adams, en 1991, ou, du même compositeur américain, El Niño, commandé par le Châtelet pour le passage du siècle.

Depuis que Gerard Mortier, l'actuel directeur du Teatro real de Madrid, a quitté l'Opéra de Paris, Peter Sellars n'a plus mis en scène d'opéra en France. Il fallait donc aller à Madrid voir un nouveau spectacle monté par celui qu'on a longtemps surnommé "l'enfant terrible de la mise en scène", coproduit avec le Bolchoï de Moscou, qui associait deux partitions extraordinaires mais rarement jouées, Iolanta (1892) de Tchaïkovsky, le dernier opéra du compositeur russe, et Perséphone (1934), écrit par Stravinsky sur un livret archaïsant d'André Gide dont la récitation a été confiée à la comédienne française Dominique Blanc. Au lendemain de la première, samedi 14 janvier, de ce splendide spectacle, l'un des meilleurs du metteur en scène, et avant la diffusion en direct du spectacle, le 24 janvier, sur les ondes de France Musique et par la chaîne télévisée Mezzo, Peter Sellars a répondu aux questions du Monde.

Pourquoi monter une mise en scène de ces deux oeuvres ?

Ma découverte de Perséphone remonte à très longtemps, lorsque j'avais vu la version qu'en a donnée George Balanchine. Cette partition extraordinaire m'a toujours fasciné et cette collaboration entre un Russe blanc et un communiste pas moins. Lorsque les deux auteurs écrivent l'oeuvre, en 1933, Gide commence à voir les limites du système soviétique et c'est l'année même où tout bascule en Europe.

D'où la dialectique, également présente dans "Iolanta", entre la lumière et les ténèbres ?

Il me semble en effet que cela prend un sens plus fort si on l'observe dans cette perspective. J'ai pour Iolanta, cet opéra injustement mal aimé, une tendresse particulière. Tchaïkovski était désespéré par l'incompréhension du public et de la critique et j'aime me souvenir que Gustav Mahler, qui adorait cette musique et l'avait dirigée, avait persuadé le Russe de ne pas se décourager.

On entend encore parfois dénoncer la faiblesse de son livret...

C'est un simple conte de fées ! Il faut le prendre pour ce qu'il est, et se laisser porter par son extraordinaire musique. Ecoutez ce prélude confié aux vents seuls ! Et, juste après, la première scène accompagnée par un simple quatuor à cordes et la harpe ! C'est une merveille... Mais cette simplicité dramatique est pour moi un merveilleux défi. Comme il s'agit en quelque sorte d'un opéra débarrassé de toutes les conventions inutiles du genre, on peut se concentrer sur la finesse du travail dramatique sur les personnages.

Vous êtes parvenu à un résultat étonnant avec vos interprètes et le chef, Teodor Currentzis...

Quand les chanteurs, pour la plupart russes, m'ont entendu leur demander de revoir totalement leurs acquis, ils ont été décontenancés. Mais ils se sont très vite adaptés. J'ai été très aidé par Teodor. C'est un musicien extraordinaire, totalement disponible et ouvert. Il connaît la musique ancienne sur le bout des doigts et révèle, comme personne d'autre à ma connaissance, les archaïsmes chez Tchaïkovski. Cela transfigure le résultat musical. Il a été mon meilleur allié, se substituant parfois à moi-même, expliquant aux chanteurs, sur la scène, que ce que je voulais était dicté avant tout par la musique. Une collaboration rare et extraordinaire, vraiment.

Pourquoi avoir choisi d'amplifier la voix de Dominique Blanc dans "Perséphone" ?

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Pour des raisons d'acoustique, car le Teatro royal est très grand. Mais il y a une autre raison. Je ne voulais pas que Dominique Blanc force le ton et joue dans un genre déclamé à la Sarah Bernhardt, ce qu'elle n'aurait sûrement pas fait d'ailleurs... Nous avons réglé le son aussi bien que nous le pouvions, notamment pour les places les plus élevées du théâtre.

On retrouve votre goût pour les cultures non occidentales à travers la présence de danseurs cambodgiens dans "Perséphone"...

Je voulais rappeler que Perséphone est une oeuvre chantée, dansée, mimée et récitée. Ce qui la rend d'ailleurs inclassable. La raison pour laquelle je voulais leur présence est que cette tradition dansée cambodgienne a été décimée par les Khmers rouges. La révolution a non seulement tenté de supprimer les traces de culture traditionnelle théâtrale et chorégraphique, en détruisant les théâtres traditionnels, mais a assassiné beaucoup de ses interprètes et enseignants.

D'où viennent alors ces danseurs ?

Ils constituent la première génération à laquelle les quelques rescapés du massacre ont enseigné cet art merveilleux. D'ailleurs, l'une de nos danseuses a eu le bonheur de voir sa grand-mère en réchapper, qui a ainsi pu lui transmettre son art. Je trouvais que, dans le cadre de ce programme, qui a en effet pour ligne de force le passage des ténèbres à la lumière, cette résurrection d'un art presque perdu avait du sens.

Pensez-vous que le public soit conscient de cette allusion ?

Avez-vous trouvé la danse belle et expressive ?

Tout à fait !

Alors, cela devrait suffire comme justification. Mais je voudrais ajouter ceci : j'essaie toujours de dépasser le premier niveau du littéral mais ne suis pas un détourneur de sens. Cependant je ne suis pas contre superposer différentes couches de perception dans mes spectacles.

Ne souffrez-vous pas, comme Patrice Chéreau l'a publiquement dénoncé, de la moins grande ouverture du public lyrique si on la compare à celle du public qui va au théâtre ?

Je ne crois pas qu'il y ait un public monolithique. Chaque soir, pour moi, le public est un corps vivant différent et réagit différemment. Je ne sais pas si ce que décrit Patrice Chéreau est la réalité, mais je ne veux pas me résoudre à cette pensée. Si le public trouve cela beau et expressif, comme je le disais, c'est déjà beaucoup. Ensuite, si le message passe plus subtilement, j'en suis plus heureux encore. Tant que ce message ne crée pas d'opacité, la circulation entre ce que je souhaite faire et ce que le public en perçoit reste possible. Et c'est cela même qui est, je crois, beau et enrichissant.

On vous voit moins sur les scènes lyriques françaises, et singulièrement à Paris...

On doit associer mon travail à Gerard Mortier, ce dont je n'ai pas à rougir, car je suis fier et honoré de son extraordinaire fidélité, au festival de Salzbourg, à la Triennale de la Ruhr, à l'Opéra de Paris et maintenant au Teatro real. Car c'est ici, à Madrid, que Gerard Mortier m'a permis de matérialiser ce rêve.

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