Publicité

Viktoria Mullova, l'art de la fugue

À 52 ans, la violoniste joue aussi bien du classique que du jazz ou des airs tziganes. Le Louvre l'accueille cette semaine..

Ne jamais dire jamais! Il y a quinze ans, alors que sortait son premier album de partitas de Bach enregistré sur violon moderne, une jeune violoniste russe déclarait que les instruments anciens, avec leurs cordes en boyau et leur technique d'archet bizarroïde, ce n'était pas pour elle: «Trop différent.» En 2005, elle produisait avec l'ensemble baroque Il Giardino Armonico de Giovanni Antonini un ébouriffant disque de concertos de Vivaldi… Sur instrument et archet d'époque, et cordes montées en boyaux.

Girouette, Viktoria Mullova? «Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis», rétorque-t-elle amusée. À l'écouter parler, enflammée, des différentes techniques d'ornementation et de positions d'archet du baroque italien ou allemand, on peine à croire qu'elle ait pu laisser de côté cette pratique aussi longtemps. «En réalité, confesse-t-elle, les choses se sont construites peu à peu. Dès mon premier disque Bach, je me suis intéressée aux baroqueux. C'est Giovanni Antonini qui m'a convaincue de sauter le pas en 2001 après m'avoir invitée sur un projet du Giardino Armonico.»

Ce fut le coup de foudre. «Dès que j'ai passé l'archet sur des cordes en boyau, j'ai été transportée dans un autre monde. Il me fallut ensuite de longs mois pour comprendre comment faire sonner correctement l'instrument et faire vivre les notes longues sans redouter d'agresser le public. Mais ça valait le coup.» Au Louvre où elle a Carte blanche, pour cinq concerts, Viktoria Mullova va jouer aussi bien des concertos de Bach, Händel ou Vivaldi que des sonates de Beethoven, un trio de Schubert, et même des mélodies du folklore tzigane revisitées par son mari, le violoncelliste jazz Matthew Barley.

Le goût de la liberté

C'est qu'elle pratique l'art de la fugue depuis l'enfance. Les quatre heures de transport quotidien, pour aller de sa ville natale de Zhukovsky à l'École centrale de musique de Moscou? «Une fuite en avant, l'obsession de la perfection», analyse-t-elle avec le recul. Son passage à l'Ouest et la spectaculaire sortie d'URSS lors d'une tournée en Finlande où elle et son petit ami d'alors coururent jusqu'à la frontière suédoise, abandonnant le Stradivarius qui appartenait à l'État soviétique? «Toujours une fuite en avant, l'obsession de la liberté cette fois.»

Ce goût de la liberté, elle le cultive aujourd'hui en jouant aussi de la pop, du rock ou du jazz auxquels elle rendit hommage en 2000 avec Through the Looking Glass, où elle reprenait Miles Davis, Duke Ellington ou encore les Beatles. «Lorsque j'ai remporté le Concours Sibelius en 1980, se souvient-elle, les membres du jury m'ont demandé ce qui me ferait plaisir. J'ai répondu que je voulais faire des disques de tout ce qui passait à l'époque en radio à l'Ouest et auquel nous n'avions pas accès à l'époque. À 20 ans, j'ai découvert émerveillée aussi bien Stevie Wonder que Barbra Streisand.» Aujourd'hui, la même soif de découverte l'anime. «Je prends autant de plaisir à regarder un violoniste jouer une musique tzigane dans la rue qu'à aller voir mes collègues au concert.»

Des Gitans, elle affirme d'ailleurs avoir beaucoup appris, non seulement pour la musique populaire hongroise mais aussi - «surtout» - pour les grands romantiques. «Chez les violonistes tziganes, tout vient de l'intérieur: leur jeu est souvent virtuose, larmoyant et passionné. Pourtant, ils semblent impassibles. Pour un concertiste, c'est une grande leçon. Cela m'a aidée à comprendre que la musique pouvait emprunter au sport son culte de la discipline mais ne devait jamais copier son culte de la performance.»

Concerts à l'auditorium du Louvre (Paris Ier) Jusqu'au 20 janvier. Tél.: 01 40 20 55 00 ou www.louvre.fr

Sujet

Viktoria Mullova, l'art de la fugue

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
Aucun commentaire

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

À lire aussi