Pourquoi Tristane Banon sort-elle ce livre au Diable Vauvert plutôt qu'ailleurs?

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C'est elle qui a fait ce choix. Elle m'a téléphoné début septembre pour dire qu'elle avait écrit ce texte de façon personnelle, comme on tient un journal pour résister à toute cette pression. Elle souhaitait le publier au Diable et pas ailleurs. Elle était dans la crainte de la mise en cause de sa parole et pensait être mieux défendue dans cette maison. Elle connaît mes engagements féministes. Elle me disait que c'était une façon de marquer qu'elle ne faisait pas cela pour l'argent mais parce que ça avait du sens. Ce sont ses propos.

Est-il vrai qu'un éditeur lui a proposé 120 000 euros d'à valoir?

Beaucoup plus! Elle a eu des propositions bien plus importantes, via son avocat. Mais elle a écrit un livre d'écrivain, pas un document sur un fait d'actualité.

Vous la connaissez depuis longtemps?

Je l'ai rencontrée il y a huit ans quand elle était jeune écrivain. Elle avait publié une nouvelle dans la revue Bordel, dans laquelle des auteurs du Diable ont publié, elle était dans cette mouvance de jeunes auteurs parisiens qui commencent souvent comme journalistes. J'appréciais son travail.

Et que pensez-vous d'elle, en tant que personne?

Elle m'impressionne beaucoup. C'est une petite femme toute menue mais très courageuse. En même temps, elle est dans la sensibilité et l'émotion. Elle a mis longtemps à rentrer dans la bataille juridique, mais elle est animée d'une volonté incroyable. J'ai découvert un écrivain qui sait dans quelle direction elle travaille. Elle n'a pas eu une vie facile, elle s'est construite toute seule. Mais elle a une morale.

Savez-vous si elle a fait lire ce récit à sa mère, Anne Mansouret?

Je suis sûre que non. Elle ne lui avait pas dit qu'elle l'écrivait. Elle n'a parlé de ce texte à personne. Elle ne voulait pas le publier, au départ, elle l'avait écrit pour elle, pour survivre à ça.

Qui a trouvé ce titre, Le bal des hypocrites?

Elle-même. Elle m'a envoyé le manuscrit tel que. Avec une construction très tranchante. C'est un très beau texte.

Les hypocrites, ce sont les journalistes, les politiques, le public?

Je crois que c'est le système dans lequel on vit. Ce livre n'est pas un règlement de compte, c'est pour remettre les pendules à l'heure. C'est d'une grande dignité. C'est un livre sur le temps de sa décision, le pourquoi de sa décision [celle du procès contre DSK, NDLR]. Quand on le termine, on comprend qu'elle ira au bout.

La révélation, c'est peut-être la vérité ou la sincérité. C'est une affaire qui n'appartient plus à Tristane Banon... On a écrit tellement de choses que rien ne peut plus être révélé. Mais ce livre répondra à toutes les questions.

Il n'apporte donc rien de nouveau?

Je ne dirais pas ça. On a beaucoup parlé de Tristane Banon, mais en fait, jusqu'à son interview [dans L'Express], son apparition à Canal + et à TF1, elle n'a jamais vraiment parlé.

Elle donne plus de détails sur la tentative présumée de viol?

Il faudra attendre jeudi pour le savoir [date de la sortie, NDLR]. Il y a très peu de livres de femmes qui racontent une violence sexuelle. C'est pour cela que c'était important que Tristan Banon parle, et à travers elle toutes les femmes victimes d'abus sexuel. Elles ne parlent jamais car finalement leur parole et leur légitimité sont toujours mises en cause. La victime présumée doit toujours, d'abord, s'innocenter. Il y a donc très peu de plaintes et encore moins de textes. Et celui-ci fera date.

Quand Tristane Banon vous parle de DSK, en privé, elle l'appelle comment?

En fait, on en parle très peu. Elle a des adjectifs qui sont de l'ordre du "vilain" ou du "méchant".

Elle évite de prononcer son nom?

Elle ne dit pas son nom volontiers, c'est vrai. Elle a du mal à le prononcer.

Les avocats de Dominique Strauss-Kahn ont-ils tenté d'empêcher la sortie du livre?

Non, nous n'avons pas eu à subir de pressions. Nous avons gardé la date de parution secrète pour éviter tout soucis. Mais je ne vois pas comment il y en aurait. Tristane a choisi, justement, un éditeur et un diffuseur complètement indépendants, sur lesquels on ne peut pas agir.

Son avocat, David Koubbi, a relu le manuscrit?

Bien sûr.

Des phrases ont sauté?

Aucune. On comprendra pourquoi en lisant le texte. Il n'y a ni voyeurisme ni dénonciation. C'est un texte qui n'a rien de diffamant ou d'injurieux.

A combien d'exemplaires avez vous tiré le livre?

40 000, après une réimpression de 10 000 devant la demande. C'est un texte littéraire, il ne restera pas seulement trois semaines en librairie.

Est-il vrai que vous avez salarié Tristane Banon?

Pas du tout. Nous mensualisons parfois des auteurs, sur la base de leurs droits d'auteur à venir. Mais nous n'avons pas versé d'avance pour ce contrat. C'est important à préciser. Quand Tristane m'a dit: "Tout le monde va croire que je fais ce livre pour l'argent", je lui ai proposé de signer sans à valoir. Elle m'a dit que "c'est comme ça qu'(elle) l'entendait." Elle n'a plus aucun revenu depuis six mois. On n'est pas dans une affaire d'argent, mais de survie, il ne faut pas inverser.

Elle a laissé entendre qu'elle aiderait une association féministe avec ses droits d'auteur...

Elle a toujours dit que tous les gains de ses procès iraient à des associations féministes. Quant aux droits d'auteur, chacun les utilise comme il veut. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'est pas animée par le mercantilisme. Et elle a à coeur d'aider les associations qui ont été son soutien unique pendant des mois.

Le livre fait 128 pages, vous ne craignez pas que les lecteurs restent un peu sur leur faim?

Ce sont eux qui le diront. Un texte ne se juge pas à sa longueur. Après l'avoir lu, je suis restée longtemps habitée. C'est un cri. C'est un texte bref et puissant. Posé et pur. Il est écrit comme un journal rétroactif, pas en temps réel mais juste après. Il commence le 13 mai et se termine en juillet. C'est une réorganisation du temps et du réel. Elle m'a remis le manuscrit le 10 septembre. Tout a été très rapide.

La seule phrase du livre sortie dans les médias est celle où Tristane Banon se compare à un lapin face à des chasseurs. Comme se protège-t-elle?

En s'isolant. Elle était toute seule, très renfermée et très triste. J'ai rencontré quelqu'un qui, humainement, avait besoin qu'on lui ai accorde de l'aide. Elle était photographiée quand elle promenait son chien! C'est très difficile de se protéger face aux chasseurs. Elle a écrit pour cela.

Elle n'est pas sortie pendant des semaines?

On a entendu dire qu'elle sortait tout le temps, que c'était une viveuse... Mais elle vit cachée. Elle n'habite plus à Paris. Elle n'a pas de maison de campagne. Elle ne s'est pas non plus réfugiée chez sa mère. C'est une pression très difficile à assumer d'être l'objet d'une notoriété que vous n'avez pas choisie, qu'on vous demande jusqu'à votre emploi du temps.

Elle a commencé un autre livre?

Elle écrit sans cesse. Elle a achevé un autre livre qui devait paraître et qu'elle a dû différer. Sa vie est suspendue. Elle fait désormais partie de nos auteurs. Le Diable n'est pas un éditeur qui fait des coups, des "one shots". On suit nos auteurs. C'est aussi la raison pour laquelle elle m'a appelée. Et j'ai lu le texte avant de lui dire oui.

Elle veut être réconnue comme écrivain?

Tous les écrivains cherchent la reconnaissance! Mais elle en bénéficiait déjà. Elle a des lecteurs qui l'aiment, des libraires qui la suivent et l'invitent. Elle avait publié trois romans et un recueil à trente ans. C'est une jeune auteure reconnue. Elle le sera encore plus avec celui-ci, qui est un vrai livre d'écrivain, et son meilleur.

Vous vous préparez à publier un autre livre sur les violences sexuelles, French Lover...

C'est un recueil que m'ont proposé Virginie Despentes et Beatriz Preciado, une réponse féministe à l'affaire DSK et tout ce qu'elle a suscité. Il sortira en 2012. C'est une réflexion collective sur l'état de la société concernant les violences et les dominations sexuelles. Car tout ce qui a été dit après le 15 mai a donné le vertige à beaucoup de femmes. C'est une régression monumentale. On a assisté à une banalisation et une dépénalisation de la violence sexuelle.

Vous vous définissez comme un éditeur féministe?

Comme éditeur, non. Mais personnellement, oui. Quant à Tristane, elle s'est rapprochée des féministes car elles ont été là pour la soutenir. Et cela devient pour elle une réflexion politique.

Que pensez vous du livre d'Ivan Levaï?

Je ne l'ai pas lu mais j'ai entendu Ivan Levai en parler. On ne pense pas les mêmes choses. Ce qui nous a fait plaisir, à Tristane et à moi, c'est que ce qu'il dit, la banalisation, la négation des faits, ne passe plus aussi facilement dans le public.

Vous ne craignez pas d'être accusée d'exploiter l'affaire DSK?

Je n'exploite rien du tout (rires). L'histoire parle pour moi. Le Diable Vauvert est une maison indépendante, qui n'a jamais cherché à profiter de l'actualité. Nous éditons des auteurs comme Foster Wallace. C'est un autre métier. On ne profite de rien du tout, contrairement à certains éditeurs qui ont aussitôt sorti des documents pour expliquer qui est DSK. Il y a un mois, je ne savais même pas que ce livre de Tristane Banon existait.

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