Crise du 16 mai 1877

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Le maréchal de Mac Mahon s'entretenant avec deux ministres du cabinet du 17 mai, Oscar Bardi de Fourtou et Eugène Caillaux, au cours du voyage présidentiel de septembre 1877.

La crise du est une crise politique et institutionnelle de la Troisième République française qui oppose le président de la République, le maréchal de Mac Mahon, monarchiste, à la Chambre des députés élue en 1876, à la majorité républicaine, menée par l'une de ses grandes figures, Léon Gambetta.

Si cette crise s'est bien ouverte le 16 mai, lorsque le président a nommé un chef de gouvernement conforme à ses vues politiques, qui étaient opposées à celles du parlement, elle s'est, de fait, poursuivie tout au long de l'année 1877 et n'a trouvé son épilogue que le , lorsque Mac Mahon a reconnu sa défaite politique.

La portée de cette crise politique est immense : elle a ancré dans les esprits le régime républicain, alors tout jeune[note 1] en France, ruinant les espoirs des divers courants monarchistes — bonapartistes, orléanistes et légitimistes[1] — de voir une restauration dans un avenir prévisible, et elle a, par-dessus tout, orienté définitivement la pratique politique des institutions, en mettant de côté l'interprétation « orléaniste » des lois constitutionnelles de 1875 — un gouvernement responsable à la fois devant le chef de l'État et le parlement, ce qui revient à reconnaître au président un rôle actif dans la gestion du pays —, au profit d'une interprétation strictement républicaine, révolutionnaire même, où le gouvernement ne dépend que du parlement, qui l'investit et le révoque.

Contexte historique[modifier | modifier le code]

Un régime parlementaire dualiste[modifier | modifier le code]

Entre la monarchie constitutionnelle et la république parlementaire[modifier | modifier le code]

Le , dans les décombres du Second Empire vaincu par la Prusse, la république est proclamée. Jusqu'en 1877, monarchistes et républicains se livrent une lutte politique intense pour le contrôle des institutions et la définition juridique à leur donner.

Après la large victoire des monarchistes le [2] lors des élections législatives, Adolphe Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française », en attendant la signature de la paix et le rétablissement de l'ordre. Cependant, l'intransigeance du comte de Chambord, chef des monarchistes légitimistes qui exige l'adoption du drapeau blanc à la place du drapeau tricolore, brise toute possibilité d'une restauration royaliste à brève échéance, alors qu'il avait obtenu le soutien du parti orléaniste.

Les monarchistes conservent Adolphe Thiers au pouvoir le temps de solder les conséquences de la guerre tout en préparant le retour de leurs prétendants. Thiers, à la tête d'un groupe de conservateurs, considérant qu'une nouvelle monarchie est impossible, prend alors position pour une république conservatrice. Après la mort de Napoléon III en janvier 1873, les bonapartistes s'allient aux royalistes pour préserver les chances du prince impérial. Thiers démissionne en mai. Il est alors remplacé par le maréchal Patrice de Mac Mahon, élu par 390 voix sur 391 exprimées (une voix pour Jules Grévy) et 380 abstentions (la gauche composée alors de républicains).

Sous sa présidence d'obédience orléaniste, Mac Mahon, dont l'ambition politique semble se limiter au retour du roi, laisse la tâche du gouvernement au duc Albert de Broglie, qui entreprend une politique très conservatrice de retour à « l'ordre moral ».

Dans ce contexte, la droite prépare des institutions qui seraient susceptibles de fonctionner et d'être modifiées en monarchie. Le duc de Broglie fait voter le 20 novembre la loi portant le mandat du président à sept ans pour prolonger la présidence de Mac Mahon. Malgré l’effritement de la majorité monarchiste du fait de multiples élections partielles remportées par des républicains, Mac Mahon va faire confiance à des gouvernements de droite jusqu’aux élections de 1876.

La constitution de la Troisième République[modifier | modifier le code]

Le principe républicain du régime semble établi définitivement en droit le par l'adoption, à une voix de majorité en première lecture par 353 voix contre 352, puis à une plus large majorité en deuxième lecture à 413 voix contre 248, de l’amendement Wallon. Celui-ci dispose :

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »

Les lois constitutionnelles de 1875 ont ensuite été votées entre février et juillet 1875. Elles ont donné une constitution à la Troisième République qui fonctionnait depuis 1870 avec des institutions provisoires (la loi Rivet par exemple).

La théorie constitutionnelle fait du président de la République le principal acteur du pouvoir exécutif — il dispose de pouvoirs étendus, il a la possibilité de dissoudre la Chambre des députés, et il est irresponsable — contre un parlement bicaméral (au sein duquel la Chambre des députés a au moins une prééminence politique de fait sur le Sénat puisqu'elle est issue du suffrage universel direct) qui, principalement, vote les lois et contrôle le gouvernement.

Le gouvernement est nommé par le président de la République (« Il nomme à tous les emplois civils et militaires » disent les lois constitutionnelles) mais tire son pouvoir d'une majorité au sein du parlement (sans elle il prend le risque d'être renversé par l'une ou l'autre des chambres à la moindre occasion). Il est donc, en théorie toujours, à la fois soumis au président et aux chambres — c'est ce qu'on appelle un régime parlementaire « dualiste ».

Le gouvernement est ainsi le « véritable centre de l'opposition entre les organes constitués [c'est-à-dire président et parlement] qui s'efforcent de peser sur son orientation »[3].

Les protagonistes[modifier | modifier le code]

Le président de la République[modifier | modifier le code]

Le président de la République, le maréchal de Mac Mahon, monarchiste, a été nommé à ce poste en remplacement d'Adolphe Thiers en , et confirmé à ce poste pour une durée de sept années par la suite (loi du 20 novembre 1873). Il œuvre au retour de la monarchie.

Les chambres[modifier | modifier le code]

Consultez la légende de l'image, dont le texte suit.
Composition de la Chambre des députés au lendemain des législatives de 1876 : la majorité est devenue républicaine (393 sièges sur 533), les monarchistes sont battus.
  • Extrême-gauche: 40 sièges
  • Union républicaine: 67 sièges
  • Gauche républicaine: 149 sièges
  • Centre-gauche: 99 sièges
  • Divers: 4 sièges
  • Constitutionnalistes et orléanistes: 41 sièges
  • Bonapartistes: 88 sièges
  • Légitimistes: 45 sièges

Les élections de 1876 ont donné aux républicains une confortable majorité, à la Chambre des députés, avec 363 sièges sur 533[note 2].

Le Sénat lui, garde une majorité conservatrice (151 sièges contre 149[4]) pour sa première législature. Les sénateurs inamovibles, au nombre de 75, ont été élus par l'Assemblée nationale avant sa séparation en  ; les 225 autres sièges le sont par un collège électoral le .

Le gouvernement[modifier | modifier le code]

Au gouvernement de Jules Dufaure nommé au lendemain des législatives de 1876, mais encore trop marqué à droite pour les républicains[3], a succédé, le , le ministère de Jules Simon. Ministre de l'Intérieur et président du Conseil, Jules Simon est un homme « profondément républicain et résolument conservateur selon ses propres mots[4] », il devait donc être en mesure d'équilibrer les forces contraires. Il forme un gouvernement un peu plus à gauche que le précédent.

Les événements[modifier | modifier le code]

Ouverture de la crise[modifier | modifier le code]

Photographie en noir et blanc de Jules Simon.
Jules Simon, président du Conseil à l'ouverture de la crise du 16 mai.

Genèse de la crise[modifier | modifier le code]

Jules Simon donne des gages à la gauche en épurant la haute administration (préfets et magistrats), ce qui lui vaut l'hostilité de Mac Mahon[5]. Malgré cela, les républicains menés par Léon Gambetta formulent des exigences accrues. Simon ne s'oppose pas à l'abrogation par la Chambre des députés d'une loi « réactionnaire[4] » de 1875 sur les délits de presse. Début , un débat à propos de la restauration du pouvoir temporel du pape entraîne l'adoption d'un ordre du jour condamnant les manifestations ultramontaines sans que le gouvernement s'y oppose. C'est à cette occasion que Léon Gambetta, paraphrasant Alphonse Peyrat, prononce la phrase suivante : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! »[6]

Le 16 mai[modifier | modifier le code]

Albert de Broglie, président du Conseil pour la troisième fois.

Le , le président de la République, Mac Mahon, reproche au président du Conseil, Jules Simon, son manque de fermeté[3] et exige une « explication »[4]. La lettre est publiée aussitôt au Journal officiel. Jules Simon présente logiquement sa démission au président après ce désaveu alors même qu'il n'a été mis en minorité par aucune des deux chambres :

« Monsieur le président de la République,
La lettre que vous voulez bien m'écrire m'impose le devoir de vous donner ma démission des fonctions que vous aviez bien voulu me confier[7]. »

D'après Émile de Marcère, Mac Mahon aurait alors dit : « Monsieur le Ministre, j'accepte votre démission […]. Je suis un homme de Droite, nous ne pouvons plus marcher ensemble. J'aime mieux être renversé que de rester sous les ordres de M. Gambetta »[8].

Le même jour, Mac Mahon nomme Albert de Broglie président du Conseil (troisième gouvernement de Broglie), qui forme un ministère de droite[4], d'ordre moral, dit « ministère du 16 mai », en concordance avec les vues du président de la République.

Les jours qui suivent[modifier | modifier le code]

Ce faisant, Mac Mahon fait une lecture dualiste[4] de la constitution : pour lui le gouvernement est tout autant son émanation que celle de la Chambre des députés. Le lendemain, Gambetta fait voter une motion refusant la confiance[9] au gouvernement d'Albert de Broglie[note 3]. Le , le président de la République donne à lire un message aux chambres dans lequel il explique sa position, et il y joint un décret ajournant les chambres pour un mois[note 4] (conformément à l'article 2 de la loi du ).

Le , des députés des différents groupes républicains de la Chambre, le Centre gauche d'Édouard de Laboulaye, l'Union républicaine de Gambetta, la Gauche républicaine de Jules Ferry et l'Extrême gauche de Louis Blanc, se réunissent en séance plénière à Versailles, et signent le « manifeste des 363 », adressé à la France, dénonçant « la politique de réaction et d'aventure ». Le texte qui a été rédigé par un ami de Gambetta, Eugène Spuller[10], reçoit trois cent soixante-trois signatures.

Dissolution de la Chambre des députés[modifier | modifier le code]

Peinture représentant Léon Gambetta, debout, les mains dans les poches de son pantalon, le corps, visage compris, tourné vers la gauche.
Portrait de Léon Gambetta, « représentant » des républicains en 1875.

Le , la session de la Chambre reprend — un mois après son renvoi. Le jour même, le maréchal de Mac Mahon demande au Sénat son « avis conforme » pour dissoudre la Chambre des députés[4], ainsi que l'article 5 de la loi du 25 février l'y autorise (« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. »).

Le , lors d'un débat à la Chambre, Gambetta prononce un discours véhément contre la politique du gouvernement, dans lequel il dit notamment : « Nous partons trois cent soixante-trois, nous reviendrons quatre cents »[4], allusion à la fois à l'ordre du jour voté par la Chambre, et à « l'adresse des 221 » de 1830.

En effet, l'ordre du jour adopté le , signé par les présidents des groupes de gauche au nom des signataires du manifeste du 18 mai[7] est défiant vis-à-vis de l'exécutif : « La Chambre des députés, considérant que le ministère, formé le 17 mai par le président de la République et dont M. le duc de Broglie est le chef, a été appelé aux affaires contrairement à la loi des majorités, qui est le principe du gouvernement parlementaire […], déclare que le ministère n'a pas la confiance des représentants de la nation »[7]. La défiance est votée par 363 députés contre 158[10].

Le , le Sénat rend son avis en approuvant la demande de dissolution par 149 voix contre 130[7]. Le décret dissolvant la Chambre des députés est publié le 25 juin[3],[7].

La campagne électorale[modifier | modifier le code]

La campagne électorale officielle s'ouvre trois mois après la dissolution, le . Néanmoins, les mois qui la précèdent sont très agités politiquement.

Cette campagne est l'une « des plus véhémentes »[3] de l'histoire de France. Le ministre de l'Intérieur Oscar Bardi de Fourtou déplace nombre de préfets et fonctionnaires, révoque des maires et adjoints, multiplie les appels et manifestes conservateurs[5].

Les candidatures officielles[modifier | modifier le code]

Tel un diable à ressort, Gambetta jaillit d'une boîte à surprise devant Mac Mahon. Caricature de Jean Robert, carte postale d'époque.

Mac Mahon effectue des voyages de propagande dans le pays[4].

Le procédé des « candidatures officielles » semble refaire son apparition quand le maréchal, par un message, fait dire : « Mon gouvernement vous désignera parmi les candidats ceux qui peuvent s'autoriser de mon nom »[4]. Les républicains dénoncent cette méthode issue du Second Empire.

Le le président de la République adresse une proclamation aux soldats de la garnison de Paris où il écrit : « Soldats […] vous comprenez vos devoirs, vous sentez que le pays vous a remis la garde de ses plus chers intérêts […] ! »[11]. La rumeur court alors que le maréchal de Mac Mahon pourrait tenter de résister si les résultats des élections lui étaient défavorables[4].

Le discours de Lille[modifier | modifier le code]

De la même manière, Gambetta parcourt le pays — il est surnommé alors le « commis voyageur de la République ».

En réponse à Mac Mahon, il prononce à Lille le un discours dont la péroraison est restée célèbre. Il est acclamé par l'auditoire[11] et termine en ces termes :

« Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté ; ne croyez pas que lorsque tant de millions de Français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l'échelle politique ou administrative qu'il soit placé, qui puisse résister.

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre[11]. »

Les élections et leurs conséquences[modifier | modifier le code]

Résultats des élections[modifier | modifier le code]

Consultez la légende de l'image dont le texte suit.
Composition de la nouvelle chambre élue en 1877 : la majorité reste à gauche, mais elle a diminué (60 % des sièges contre 73 % en 1876).

Les 14 et , les législatives ont eu lieu dans tout le pays au scrutin uninominal à deux tours par arrondissements, au suffrage universel masculin. Elles se déroulent bloc contre bloc avec une forte participation électorale. Sur cinq cent trente-et-une circonscriptions, seules quinze ne sont pas pourvues au premier tour[10].

La victoire des républicains est incontestable, mais elle n'a pas l'ampleur que Gambetta a prédite au début de la crise : les députés de l'Union républicaine remportent 323[note 5] sièges — avec environ 4 367 000 voix contre 3 578 000 allant aux conservateurs.

Plus remarquable est donc la remontée de la droite conservatrice, qui passe de 140 députés à 208[note 2], avec surtout une remontée des bonapartistes, de 76 députés à 104[note 2], ce qui fait d'eux le premier groupe parlementaire de l'opposition dans la nouvelle chambre. Le nombre de légitimistes passe de 24 à 44. En revanche, les orléanistes, proches du parlementarisme, sont les grands perdants, passant de 40 à 11 : la « droite parlementaire », qui a accepté de transiger en 1875 et d'instaurer la République, est défaite[3].

Dernières tentatives de résistance du président[modifier | modifier le code]

Le cabinet du caricaturé dans le journal satirique Le Grelot, d'après le tableau d'Alphonse de Neuville. Le gouvernement vit ses derniers instants à la suite de la défaite électorale des monarchistes aux élections d'.

Mac Mahon songe à dissoudre une nouvelle fois la Chambre des députés mais le président du Sénat, le duc d'Audiffret-Pasquier, l'en dissuade en refusant le concours de la chambre haute[3].

Le , le ministère de Broglie démissionne. Le président de la République tente alors de constituer un « ministère d'affaires[3] » sous la conduite de Gaëtan de Rochebouët (gouvernement Gaëtan de Rochebouët) hors de la majorité parlementaire, mais, le , une motion, déposée par Émile de Marcère, conduit la Chambre à refuser par 325 voix contre 208[4] de reconnaître ce nouveau gouvernement, qui est pour elle « la négation des droits de la nation et des droits parlementaires »[4].

Pour Jean-Jacques Chevallier, dans ces semaines, « on perçoit dans le gouvernement des oscillations, des angoisses, des velléités, tout cela est extrêmement faiblard. On a l'impression d'un sabre de bois brandi sans conviction, et « d'ombres d'hommes pour une ombre de résistance » (D. Halévy) ».

Le président se soumet[modifier | modifier le code]

Photographie sépia de Jules Dufaure, de face, assis. Son bras est accoudé sur une table, et sa tête repose dans sa main.
Portrait de Jules Dufaure, rappelé à la présidence du Conseil.

Le , le président Mac Mahon se soumet finalement aux résultats électoraux. Il rappelle Jules Dufaure pour former un ministère de centre gauche (cinquième gouvernement Dufaure), et, le 14 décembre, il adresse un message au parlement qui sonne comme une capitulation politique[4]. Il reconnaît que la dissolution ne peut être une façon normale de gouverner un pays, et il conclut en disant : « […] La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L’indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement »[12].

Ce message est donc le désaveu « humiliant[4] » de sa lettre à Jules Simon du 16 mai, et des thèses qu'elle portait.

La Chambre, qui vérifie elle-même ses pouvoirs, invalide 70 élections sous prétexte de pressions cléricales ou politiques. Ces nouvelles partielles portent à près de 400 le nombre des républicains[10].

Événements ultérieurs[modifier | modifier le code]

Caricature parue dans Le Titi du . Jules Grévy y prend le pouls du bonapartisme, alité aux côtés du cléricalisme et de l'orléanisme, tous trois à l'agonie après la crise du 16 mai, symbolisée par le contenu d'un pot de chambre. Léon Gambetta tient un clystère, instrument de purge.

Après le 13 décembre, la Chambre des députés est à majorité républicaine, le gouvernement l'est aussi, mais le président de la République et le Sénat demeurent conservateurs. L'équilibre institutionnel demeure incertain jusqu'en 1879, « année cruciale de l'enracinement du régime républicain »[3].

C'est en effet en 1879 que les républicains obtiennent la majorité au Sénat et que Mac Mahon démissionne, remplacé par Jules Grévy. Jules Grévy renonce à exercer le droit de dissolution, droit dont les lois constitutionnelles de 1875 le dotent pourtant, au motif que l'Assemblée, élue au suffrage universel, possèderait une plus grande légitimité que le président de la République. C'est le désaveu final du « monarque républicain » prévu par les lois constitutionnelles en vue d'une restauration qui n'est jamais venue. Le basculement du Sénat rend totalement impossible la dissolution, et la pratique des institutions de Grévy fait du président une simple figure, influente, mais dépourvue de pouvoirs réels[3].

Répercussions[modifier | modifier le code]

C’est dans le contexte de cette crise que Victor Hugo fait publier son Histoire d'un crime, écrite depuis 1852[13].

Jean-Jacques Chevallier conclut ainsi ses pages sur cette crise :

« Sur cette interprétation de la Constitution de 1875 se clôt l'épisode dit du 16 mai, qui couvre en réalité plusieurs mois. Sur le plan institutionnel, c'est bien l'échec du parlementarisme dualiste d'essence orléaniste : deux pouvoirs égaux s'affrontant, avec une action personnelle du chef de l'État, dirigée éventuellement contre son propre ministère. Non seulement ce dualisme orléaniste de centre droit est battu, mais l'institution elle-même de la dissolution se trouve désormais grevée d'une hypothèque d'antirépublicanisme dont elle ne se relèvera pas au cours du régime (alors que, dans un parlementarisme authentique, cette institution est la contrepartie normale et même nécessaire de la responsabilité ministérielle)[4]. »

La crise du 16 mai donne donc aux lois constitutionnelles de 1875 leur interprétation définitive.

Dans la mythologie républicaine, le 16 mai est à ranger, avec le 18 brumaire ou le 2 décembre 1851, dans la catégorie des dates honnies[3].

Pour autant, le dualisme professé par Mac Mahon — un gouvernement responsable devant le président de la République et le parlement en même temps, doublé d'un pouvoir exécutif fort personnalisé par le chef de l'État — ne saurait être qualifié de coup d'État. La lettre de la constitution conforte le dualisme parlementaire et la puissance du président, hérités de la tradition orléaniste dont les constituants se sont largement inspirés.

Mais la disparition de la dissolution et l'effacement du président, consécutifs à la crise du 16 mai, font dévier la pratique institutionnelle depuis l'orléanisme vers la tradition révolutionnaire, où la chambre est la pièce maîtresse du jeu politique[3], et où les ministères sont soumis à ses mouvements d'humeur, puisque la dissolution ne peut plus les protéger[3]. En ce sens, la crise du marque le début effectif du basculement du régime depuis le parlementarisme rationalisé vers le parlementarisme absolu.

Mention dans la littérature[modifier | modifier le code]

Charles Péguy y fait plusieurs fois référence dans son essai L’Argent (1913), sur les changements de la culture française après la fin de l'Ancien régime, entre autres sur le statut des ouvriers et sur les méthodes d'enseignement scolaire[14].

Marcel Proust en fait mention dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs pour décrire le talent ou l'opportunisme de son personnage, le marquis de Norpois, qui est parvenu à jouer un rôle important avant et après cette date[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Aux élections législatives de 1876, les bonapartistes avaient recueilli 76 sièges, les orléanistes 40 et les légitimistes 24. http://www.philisto.fr/article-70-le-bonapartisme-de-sedan-a-la-mort-du-prince-imperial.html.
  2. « Élections législatives 1871 », sur france-politique.fr (consulté le ).
  3. a b c d e f g h i j k l et m Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), éd. Montchrestien, Paris, 2004, 8e édition.
  4. a b c d e f g h i j k l m n o et p Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, éd. Armand Colin, coll. « Classic », Paris, 2001, 9e édition.
  5. a et b Dominique Lejeune, La France des débuts de la IIIe République (1870-1896), éd. Armand Colin, Paris, 1994.
  6. Jacqueline Lalouette, « L'anticléricalisme », dans L'histoire religieuse en France et en Espagne, Collection de la Casa de Velázquez, no 87, 2004, page 334.
  7. a b c d et e Léon Muel, Gouvernements, ministères et constitutions de la France de 1789 à 1895, éd. Guillaumin et Cie, Paris, 1893.
  8. Émile de Marcère, Le seize mai et la fin du septennat, p. 46-47.
  9. Extrait de l'intervention de Gambetta.
  10. a b c et d Mayeur 1984.
  11. a b et c Page sur le discours de Lille, site internet de l'Assemblée nationale.
  12. Message du président aux chambres.
  13. Éric Anceau, « Le coup d'État du 2 décembre 1851 ou la chronique de deux morts annoncées et l'avènement d'un grand principe », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2009/2 (n° 12), p. 24-42.
  14. « Éditions des Équateurs / Catalogue / Parallèles / L’Argent », sur editionsdesequateurs.fr (consulté le ).
  15. Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Paris, Éditions Gallimard, , 568 p. (ISBN 2-07-038051-3), note 1 de la page 6 par Pierre-Louis Rey

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Proclamée le , la république a été définitivement installée en droit en seulement.
  2. a b et c Article Élections législatives sous la Troisième République.
  3. Cela signifie que le parlement refuse d'investir le gouvernement.
  4. Ce qui a pour effet de mettre fin à la session parlementaire en cours, et d'empêcher les chambres de se réunir.
  5. Les sources divergent : M. Morabito et J.-J. Chevallier parlent de 323, le Quid 2006 de 313, différents sites internet donnent le même chiffre, l'Assemblée nationale donnent un total de 534 députés (contre 521 ou 531 suivant que l'on utilise le premier ou le second résultat)… L'ordre de grandeur reste de toute façon le même.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Histoire de la Troisième République[modifier | modifier le code]

  • Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, éd. Armand Colin, Paris, 2001, 9e édition (ISBN 2247045286). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Dominique Lejeune, La France des débuts de la IIIe République, 1870-1896, éd. Armand Colin, Paris, 2007, 4e édition.
  • Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no 73), , 445 p. (ISBN 2-02-006777-3, présentation en ligne). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), éd. Montchrestien, Paris, 2004, 8e édition (ISBN 2707613894) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Léon Muel, Gouvernements, ministères et constitutions de la France de 1789 à 1895, éd. Guillaumin et Cie, Paris, 1893 [lire sur Gallica]. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Michel Winock, La Fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Histoire », , 428 p. (ISBN 2-7021-1426-1, présentation en ligne).
    Nouvelle édition revue et augmentée : Michel Winock, La Fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no H97), , 475 p. (ISBN 978-2-7578-1538-0).

Ouvrages consacrés au Seize Mai[modifier | modifier le code]

  • Jean-Marc Guslin (dir.), Le Seize-mai revisité, Lille, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, coll. « Histoire et littérature du Septentrion (IRHiS) » (no 42), , 155 p. (ISBN 978-2-90563-758-1, lire en ligne).
  • Jean-Marc Guislin, Un ministre artésien dans la crise du 16 mai : La correspondance entre Auguste et Lucie Paris (16 mai - 23 novembre 1877), Villeneuve d'Ascq, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, coll. « Histoire et littérature du Septentrion (IRHiS) », , 301 p. (lire en ligne).
  • Émile de Marcère, Le seize mai et la fin du septennat, Plon, 1900.
  • Fresnette Pisani-Ferry, Le coup d'état manqué du 16 mai 1877, Préface d'Edgar Faure. Editions Robert Laffont (1965).
  • Jean-Marc Guislin, « Les multiples sorties de la crise du 16 mai 1877 », dans Sortir de crise : les mécanismes de résolution de crises politiques (XVIe – XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (lire en ligne), p. 163–177.
  • Susanna Barrows, Pierre Karila-Cohen et Patrick Fridenson, « Autour du 16 mai 1877 », Le Mouvement social, no 256,‎ juin - septembre 2016, p. 3-79 (lire en ligne).
  • Daniel Halévy, La Fin des notables : La République des ducs, Paris, Hachette, , 384 p.
  • Jacques Gadille, La pensée et l'action politiques des évêques français au début de la IIIe République (1870-1883), Hachette, .
  • Frédéric Stévenot, « La politique au village. La crise du 16 mai 1877 dans l’arrondissement de Vervins », Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire de l’Aisne, tome XLII, 1997, p. 237-274 (lire en ligne).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]