Éloge de la plante

La très sensitive Mimosa pudica ©Maxppp - J. Hauke
La très sensitive Mimosa pudica ©Maxppp - J. Hauke
La très sensitive Mimosa pudica ©Maxppp - J. Hauke
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C’est le printemps, la nature reprend son souffle, et ce sont les plantes qui l’animent et le nourrissent.

Présentes dans le décor, elles nous sont le plus souvent indifférentes, si ce n’est dans le regard des peintres. Et pourtant, soulignait Emanuele Coccia dans un beau livre sur La vie des plantes, « aucun autre vivant n’adhère plus qu’elles au monde qui les entoure ». Pour le philosophe, partager leur point de vue – celui des feuilles, des racines et des fleurs – c’est faire l’expérience d’une cosmogonie en acte, modeste et lumineuse, et comprendre l’origine du monde : « sous le soleil ou les nuages, en se mêlant à l’eau et au vent, leur vie est une interminable contemplation cosmique ». 

Les racines et les feuilles

Car c’est par la photosynthèse et la production massive d’oxygène que notre atmosphère s’est constituée, et que s’est progressivement formée la figure de notre planète bleue. Les plantes sont donc la seule et la vraie cause de ce que les Anciens appelaient le pneuma, le souffle qui anime la vie. Pour cela, il aura fallu qu’elles colonisent la terre ferme depuis leur milieu d’origine : l’océan. Et ce au moyen de deux simples mais merveilleux organes : les racines et les feuilles. Pour Stefano Mancuso, le fondateur de la neurobiologie végétale, les racines sont de formidables outils de détection du matériau nutritif. « Elles sentent la gravité, la lumière, le pH, l’oxygène, les métaux pesants, la résistance du terrain, les éléments pathogènes – explique-t-il dans L’Express. Chacune des extrémités radiculaires est capable de percevoir au moins 20 paramètres physiques ou chimiques différents. 

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Un épi de blé a 600 millions d’extrémités radiculaires, un arbre en a des centaines de milliards.

Les cinq sens

Rivées au sol par leur racines et ne pouvant pas fuir le danger, les plantes ont développé une grande sensibilité à leur environnement et à « tout ce qui change autour d’elles ». À commencer par l’ouïe : certaines fréquences, notamment les basses, favorisent leur croissance, elles y sont sensibles « parce que ce sont celles de l’eau qui coule ». La vue est chez elles l’organe vital de la photosynthèse, il suffit d’observer comment elles se tournent vers la lumière. Le toucher active une réaction de défense, « la plante ressent le contact tactile comme un risque de prédation ». L’odorat : « Si on stresse un groupe de plantes, par exemple en taillant les feuilles, elles produisent des substances volatiles qui sont reconnues par les plantes voisines. » Outre la forme mimétique de la femelle de l’insecte qu’elles veulent attirer pour polliniser et se reproduire, les orchidées produisent un parfum chargé des phéromones que la femelle dégage lorsqu’elle est prête à l’accouplement. Enfin, le goût nous ramène aux racines, qui « fouillent le sol à la recherche d’aliments appétissants : nitrate, phosphate ou potassium. Outre les cinq sens, les plantes peuvent sentir davantage de sollicitations que les hommes : les champs électriques, les champs magnétiques, les gradients chimiques. » 

Le règne végétal, témoin de la biodiversité

Stefano Mancuso insiste sur l’importance des plantes pour la biodiversité et les écosystèmes. « L’an dernier, on a découvert 2 500 nouvelles espèces. Mais on ignore combien d’espèces inconnues disparaissent. Peut-être entre 10 et 100 par jour. Or notre nourriture et 9 médicaments sur 10 proviennent du petit nombre d’espèces que nous connaissons. On devrait réfléchir aux trésors d’informations contenues dans les milliers d’espèces que nous ne connaîtrons jamais parce qu’elles disparaîtront avant que nous les ayons découvertes. » C’est d’autant plus important que pour l’historien des sciences naturelles Jean-Marc Drouin, les plantes illustrent une forme de victoire discrète dans la sélection naturelle : « l’animal est obligé de se déplacer pour trouver un partenaire, attraper une proie ou échapper à un prédateur, tandis que le végétal se fait servir par le vent, les insectes, les oiseaux et les mammifères, qui transportent leurs graines. » Le philosophe herborisant, qui a constitué un herbier sur les plantes sauvages des rues de Paris – une cinquantaine d’espèces « qui poussent sans rien demander à personne, à la jonction du trottoir et du bas des immeubles » ou dans les terrains vagues – souligne dans la dernière livraison de la revue Critique, consacrée à la Révolution végétale, l’importance du modèle scientifique de la classification des espèces, issue de la botanique, au siècle des Lumières. 

Une science nouvelle

Rousseau est le plus connu des philosophes à avoir à la fois herborisé et réfléchi la question dans ses Lettres sur la botanique. À l’époque celle-ci se posait chez quantité d’auteurs à la jonction des préoccupations scientifiques et des pratiques agricoles, comme l’a résumé François Dagognet dans Le Catalogue de la vie

Pourquoi cette importance des jardins, des flores et des herbiers ? Tout simplement parce que la civilisation ou la société du XVIIIe repose, pour ainsi dire, sur des bases végétales et naturelles, la culture des plantes et leur utilisation. 

Jean-Marc Drouin évoque aussi « l’existence d’une sensibilité sans système nerveux et de communication sans organe dédié ». Là c’est la feuille, ductile et orientable, ouverte sur le ciel, qui assure le rôle principal, comme l’avait observé Goethe dans son Essai sur la métamorphose des plantes. « Ce sont les feuilles qui forment la fleur, les sépales, les étamines, les pistils » et c’est aussi aux feuilles qu’il incombe de former le fruit, sous l’effet d’une ultime explosion et dilatation du calice. 

Par Jacques Munier

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