L'état du capitalisme. Chapitre 1. La financiarisation.

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Une vaste Histoire du capitalisme retient l'attention. Elle a pour auteur une universitaire américaine, Joyce Appleby.

Huit ans après l’affaire des subprimes et la crise financière qui a failli emporter le système bancaire américain tout entier, où en est le capitalisme ? Que sait-on de nouveau sur ce mode de production ? Est-il parvenu à se redéployer comme il l’avait fait après chaque crise ? De quelle manière ? Cette dernière métamorphose porte-t-elle en germes une prochaine crise et celle-ci peut-elle lui être fatale ? C’est à cet ensemble de question que je vous invite cette semaine, à l’aide lectures de la presse, d’internet et de quelques ouvrages récents.

Premier constat : l’adhésion au capitalisme est en chute libre dans le pays qui s’est identifié aux yeux du monde comme le cœur même du système. Parmi les jeunes Américains de 18 à 29 ans, 42 % seulement déclarent aujourd’hui « soutenir le capitalisme ». Alors que 70 % des Chinois se disent partisans de l’économie de marché. Comme l’écrit la rédactrice en chef économique du newsmagazine Time, Rana Foroohar, il y a, aux Etats-Unis, une « crise de foi », un manque de confiance. Les Américains sont de plus en plus nombreux à se demander : au profit de qui et au détriment de qui le système fonctionne-t-il ? C’est que le marché, aux Etats-Unis, apparaît comme déréglé. On ne compte plus le nombre d’articles et d’essais proposant des remèdes pour « réparer le capitalisme ». Il y a même des sites expressément consacrés à cette affaire. How to fix capitalism.

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Dans son livre, Makers and Takers, Rana Foroohar développe la thèse selon laquelle, le responsable de ce dérèglement, c’est la financiarisation. La finance, « les takers », pèsent d’un poids démesuré sur l’économie américaine. Avec à peine 4 % des emplois, cette activité s’attribue 25 % des profits. Comme elle l’écrit, « quand la finance devient trop grosse, elle absorbe tout l’air de la pièce. » Le business (les makers) étouffent. Plus grave, les banques ne jouent plus le rôle qui devrait être le leur ; au lieu de drainer l’épargne des particuliers vers les entreprises, elles ne consacrent plus que 15 % de leurs capitaux aux prêts aux entreprises. Du coup, la finance s’est autonomisée ; elle a créé une économie parallèle, déconnectée de l’activité productrice, une réalité virtuelle ; des bulles spéculatives dont l’éclatement inévitable menace le système d’explosions de plus en plus fréquentes.

D’après Rana Foroohar, cette évolution dommageable aurait deux sources. Primo un mouvement de dérégulation, dont les démocrates oublient de dire qu’ils y ont largement participé, puisqu’il a commencé sous Jimy Carter – et non, comme on le dit souvent, à l’époque de Reagan, et qu’il a été parachevé par Bill Clinton. Deuxio, la politique d’argent facile, initiée par le sorcier de la FED, Alan Greenspan et amplifié par ses successeurs. Après la crise de 2008, la FED a injecté 4 500 milliards de $ dans les circuits économiques. Résultat : un boom boursier artificiel, qui n’enrichit que les riches.

La thèse de la financiarisation n’est pas une nouveauté intellectuelle. Le socialiste allemand Rudolf Hilferding, qui fut ministre de l’économie à l’époque de la République de Weimar, l’avait exposée dès 1910 dans son livre, Le capital financier. Elle retrouve une certaine actualité et se trouve au cœur de Post-capitalism. A guide to our future, un ouvrage publié, l’an dernier, par Paul Mason, un journaliste anglais très écouté sur la BBC. Pour lui, le capitalisme a épuisé ses capacités d’adaptation. Il ne résistera ni aux 50 années de stagnation qu’on nous promet, ni aux catastrophes écologiques qu’il a provoquées.

La capacité d’adaptation, c’est au contraire ce sur quoi mise une grande universitaire américaine, Joyce Appleby, dans un livre qui vient d’être traduit par les éditions Piranha, Capitalisme. Histoire d’une révolution permanente.

Joyce Appleby une femme qui après avoir repris ses études sur le coup de la trentaine, est devenue professeur à l’Université de Los Angeles, spécialiste de l’histoire des idées et de l’économie. Elle a été élue en 1993 présidente de l’Organisation des historiens américains. Donc un poids lourd de l’intelligentsia américaine. Aujourd’hui, à 87 ans, cette femme élégante et affable, continue à donner des interviews. On peut en regarder sur internet. Et son histoire du capitalisme, remarquable par la quantité d’informations sur laquelle elle s’appuie, se situe dans le sillage de Max Weber et de Joseph Schumpeter. Comme Weber, elle voit d’abord dans le capitalisme « un système culturel », un état d’esprit tourné vers la recherche et la valorisation de l’innovation. Comme Schumpeter, elle pense que le capitalisme procède par des déséquilibres en série.

Système culturel, le capitalisme n’est pas une espèce d’ordre naturel spontané qui n’aurait attendu que la levée des obstacles mis sur sa route par les seigneurs et les rois pour s’épanouir enfin. Non, le capitalisme est une construction sociale ; mais c’est aussi un système dans lequel personne ne peut prétendre assumer la responsabilité finale.

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