OPERA. Un "Orphée" de Gluck onirique et harmonieux

OPERA. Un "Orphée" de Gluck onirique et harmonieux
Beaucoup de danse dans cet "Orphée". (PINO PIPITONE/BALLET DE MARSEILLE)

Présentée lundi à Saint-Etienne, la très belle réalisation du directeur du Ballet de Marseille sera le 24 juin à Versailles. A ne pas manquer.

Par Raphaël de Gubernatis
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Lundi 18 juin à l’Opéra-théâtre de Saint-Etienne, demain à l’Opéra royal de Versailles, et en 2013 à l’Opéra de Marseille, une très belle réalisation "[d’]Orphée" de Gluck, dans une mise en scène du directeur du Ballet de Marseille, sous la direction de Giuseppe Grazioli.

Un univers dont on a volontairement banni toute couleur, un univers uniformément gris. Gris comme la cendre des enfers, gris comme le mortel ennui de la quiétude forcée qu’on y goûte. Tout ce gris est d’une force dramatique prodigieuse et n’est trahi que par le bleu turquoise drapant Eurydice.

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Pas de décor à proprement parler pour cette scénographie "[d’]Orphée", mais d’élégants panneaux mobiles, dont le plus grand constitue le vaste écran sur lequel apparaissent les constructions, les paysages voulus par le plasticien flamand Hans Op De Beek.

Un champ de foire comme entrée des enfers

Des paysages oniriques : une mégapole façon Manhattan, entièrement constituée de morceaux de sucre blanc et qui s’édifie sous vos yeux comme dans un rêve fou ; un paysage désolé d’arbres morts pleurant la mort d’Eurydice ; des rivières mornes et sinueuses qu’on pense être dues à ces pleurs ; une fête foraine déserte, désolée, paraissant balayée par un vent humide et glacial, évoquée avec quelques éléments ingénieux pour symboliser, avec une éloquence inattendue, l’entrée désolée des Enfers ; un lac placide au centre duquel une passerelle légère et sinueuse conduit à un îlot arboré, archétype du paysage à la chinoise tel qu’il existe sur le lac de l’Ouest et qui représente ici la quiétude heureuse des Champs Elysées. Toutes ces images, "des clichés", dit Hans Op De Beek, sont composées sous nos yeux, et leur beauté éloquente et muette accompagne l’opéra de Gluck.

Générosité débordante

Servi par une scénographie avec laquelle il s’est trouvé 1.000 affinités, Frédéric Flamand, directeur du Ballet national de Marseille et metteur en scène ici du chef d’oeuvre de Gluck, repris dans la version de Berlioz, Frédéric Flamand a réglé des déplacements sobres, dépouillés pour les trois chanteurs solistes, interprétant Orphée (Varduhi Abrahamyan), l’Amour (Maylis de Villoutrys) et Eurydice (Ingrid Perruche). Comme dans "[l’]Orphée" (version italienne) créée par Pina Bausch pour l’Opéra et le Tanztheater de Wuppertal, les choristes sont relégués dans la fosse d’orchestre. Et les chanteurs solistes sont tous trois "doublés". Un danseur pour Orphée, une danseuse pour Eurydice, une autre pour l’Amour. Mais à l’encontre des chanteurs, les danseurs occupent la scène avec une générosité débordante.

Beaucoup de danse en effet dans cet "Orphée". Un peu trop même, là où on aurait pu être plus économe en mouvements. Une danse dont le vocabulaire limité se répète. Une danse souvent véhémente qui gagnerait ici et là à plus de sérénité. Mais une danse très esthétique aussi, qui réserve de beaux moments, de très belles images. Dans une mise en scène chorégraphique qui se déroule devant, derrière les écrans, conférant ainsi aux interprètes une poésie qui les fait apparaître comme des ombres, comme des spectres.

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Triple entente

S’il s’est magnifiquement entendu avec son scénographe, le metteur en scène a eu aussi la chance de trouver dans le chef d’orchestre, l’Italien Giuseppe Grazioli, une complicité intelligente et talentueuse. De cette triple entente est né un spectacle harmonieux, esthétiquement irréprochable, porté par une musique très bien exécutée par l’Orchestre Symphonique de Saint-Etienne et de la Loire.

Giuseppe Grazioli a bénéficié, avec ses membres réunis pour l’occasion et qui ne constituent pas une formation établie, d’interprètes souples et attentifs avec lesquels il a pu travailler avec délicatesse. L’exécution de la descente aux enfers sonne comme un épisode d’effroi extraordinaire et c’est une âme ardente ou tendre qui porte de bout en bout la musique. Les voix de solistes sont belles, celle de l’Arménienne Varduhi Abrahamyan particulièrement, encore qu’elle ait tendance, par un excès d’ampleur, à oublier le XVIIIe siècle au profit du XIXe.

Engagés pour la première fois dans un ouvrage lyrique, tout comme leur directeur, les excellents danseurs du Ballet national de Marseille sont remarquables une fois encore.  Et déploient une énergie, une élégance remarquables. L’un d’entre eux, virtuose revêtu de noir, tout particulièrement : il semble à lui seul incarner tout l’effroi des enfers.

"Orphée" de Gluck

Direction : Giuseppe Grazioli,

Mise en scène : Frédéric Flamand

Avec le Ballet national de Marseille

Le 24 juin à 16h, le 25 à 20h.

Opéra royal de Versailles ; 01 30 83 78 81.

Raphaël de Gubernatis
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