De face et de profil

Une exposition revient sur la manière dont les criminels, puis l'ensemble de la population ont été progressivement fichés. Interview.

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Fiche d'une trafiquante de drogue accusée d'avoir vendu de l'opium dans les tranchées en 1915.
Fiche d'une trafiquante de drogue accusée d'avoir vendu de l'opium dans les tranchées en 1915. © Archives nationales

Temps de lecture : 3 min

Des visages photographiés de profil et de face. Des individus au regard inquiet ou surpris. L'exposition "Fichés ?" dévoile comment s'est mis en place le fichage des criminels d'abord, puis de l'ensemble de la population, du Second Empire aux années soixante. Pierre Fournié, commissaire de l'exposition, nous raconte cette traque de l'identité.

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Comment est née l'identité judiciaire pour les criminels ?

C'est au milieu des années 1850 que la préfecture de police à Paris commence à utiliser le portrait photographique pour identifier les criminels en faisant appel aux professionnels pour le réaliser. Mais magistrats et policiers considèrent alors l'image comme un moyen d'identification moins fiable que le signalement écrit. Puis, dans les années 1880, Alphonse Bertillon, employé de la préfecture de police, met au point un système reposant sur le signalement descriptif, la photo et l'anthropométrie, avec la conviction qu'il s'agit du seul moyen de confondre les récidivistes. Avec le "système Bertillon", le policier devient photographe.

Comment s'opère le glissement de la surveillance photographique des criminels à l'ensemble de la société ?

L'évolution est assez lente, au fur et à mesure des évolutions technologiques, comme l'invention du Photomaton à la fin des années 1920. Et surtout, au gré des décisions politiques ou législatives. À partir de 1909, le ministère de l'Intérieur exige des brigades mobiles qu'elles photographient les nomades pour les surveiller. En 1917, la carte d'identité devient obligatoire pour les étrangers. Puis le passeport pour se rendre à l'étranger. Après la Première Guerre mondiale, se faire photographier pour les besoins de l'administration devient une habitude pour la plupart des Français (carte d'étudiant, carte de pensionné de guerre, permis de conduire...).

Y a-t-il eu des résistances de la part de la population ?

De la part d'une partie seulement. En 1921 par exemple, le préfet de police entend imposer une carte d'identité aux habitants de Paris et de l'Ile-de-France, mais les élites bourgeoises et des intellectuels s'y opposent, ils n'entendent pas être assimilés à des criminels. Ce qui n'était, bien entendu, pas le cas ! Le projet est abandonné. À l'inverse, pour d'autres couches de la population, cette carte représentait une forme de liberté, les femmes pouvaient ainsi avoir un document à leur nom.

Y a-t-il eu des dérives de ce fichage ?

Oui, la guerre d'Algérie en est un exemple. En 1959-1960, les autorités françaises décident de recenser toute la population pour identifier et traquer d'éventuels combattants du FLN. On oblige les femmes à se dévoiler pour la photographie, on enregistre les empreintes digitales, et non uniquement les noms, prénoms et lieu de résidence.

Le gouvernement envisage de mettre en place une carte d'identité biométrique. Certains craignent des dérives et la remise en cause des libertés. Au regard de l'histoire, le débat n'a pas changé...

En effet, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Dès la fin du XIXe siècle, les parlementaires étaient contre l'idée d'exiger des citoyens une carte d'identité, au nom des mêmes arguments. Puis Vichy a rendu la carte obligatoire en 1940 avec la mise en place d'un fichier centralisé. Cet épisode a laissé des traces et quand, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français a voulu la rétablir, les parlementaires s'y sont opposés. Aujourd'hui, les nouvelles technologies, avec la possibilité de croiser les données de différents fichiers, suscitent une inquiétude et une vigilance accrue.

Jusqu'au 26 décembre. Archives nationales, Paris (3e). 01 40 27 60 96. Ouvert tous les jours sauf mardi et jours fériés, de 10 heures à 12 h 30 et de 14 heures à 17 h 30. Le samedi et dimanche de 14 heures à 17 h 30.

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