Le capitaine du chalutier qui a fait naufrage en Méditerranée dans la nuit de samedi à dimanche, ainsi que son second, ont été arrêtés. Plus de 800 migrants, candidats à l'émigration vers l'Europe, sont morts dans cette traversée, portant à 1750 le bilan des décès pour le premier trimestre 2015. Les deux hommes, un Tunisien et un Syrien, seront entendus vendredi par le parquet italien de Catane qui décidera ou non de les mettre en examen pour homicides involontaires et trafic d'êtres humains.

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La plupart des ces convois funestes partent de Libye. La forte instabilité de la région est favorable au développement des réseaux de trafiquants. La Libye est devenue une plaque tournante depuis la chute du régime Kadhafi en 2011. La guerre civile, les 5000 km de frontières très poreuses, la grande étendue désertique et les côtes à seulement 300 km de l'île italienne de Lampedusa font du pays un territoire de choix.

La Libye, voie privilégiée par les migrants

Pour les migrants, rejoindre la côte libyenne est donc le premier objectif. En Afrique du Nord, deux routes principales ont été identifiées: à l'est, celle qui mène de la Somalie, l'Ethiopie, l'Erythrée et du Soudan vers le désert de Libye orientale et, à l'ouest, celle qui va du Mali, du Nigeria et du Niger jusqu'à Tripoli. Sur ces routes, les réseaux de trafiquants sont organisés de façon à travailler côte à côte: les migrants passent de main en main jusqu'à être embarqués sur un bateau.

Certains réseaux organisent des centaines de traversées chaque année quand d'autres, plus artisanaux, font passer une dizaine de bateaux. Mais, face à l'afflux de demandes, l'activité a eu tendance à se professionnaliser, indique l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex, dans une note consacrée à ces "nouveaux marchands d'esclaves". Aujourd'hui, des migrants venus y trouver du travail avant 2011 sont même devenus un maillon de la chaîne: ils jouent les intermédiaires entre les candidats au départ et les gangs de passeurs.

Pour les plus pauvres, le voyage pour parvenir à Tripoli peut durer jusqu'à deux ans. Certains font une partie du chemin à pied dans le désert. Mais chaque étape, gérée par différents trafiquants, est payante: franchir les frontières ou traverser certaines zones contrôlées par des milices peut leur demander de rester bloqués plusieurs mois, le temps de gagner de quoi passer.

Les migrants déboursent plusieurs milliers d'euros

Une fois près de la côte, l'éprouvant voyage jusqu'à l'eldorado européen est loin d'être terminé. La plupart des candidats doivent réunir l'argent de la traversée en effectuant des travaux mal rémunérés. Là encore, cette étape peut durer plusieurs années car la traversée coûte cher: en moyenne, chaque passager débourse entre 1000 et 2000 euros, selon un rapport de l'ONU. Une fois à bord, tout se monnaie. Sur certaines embarcations, les gilets de sauvetage sont accessibles moyennant 200 dollars, un coup de fil en coûte 300, une bouteille d'eau une centaine, rapportait le Daily Beast l'an dernier.

Le tarif peut varier en fonction du porte-monnaie du migrant. La discipline à bord est drastique. "Pour maintenir l'ordre sur des vaisseaux instables, les passagers se déplaçant sans permission peuvent être battus, voire, lors d'un cas en juillet, poignardé à mort", note Frontex. Le traitement à bord se fait, littéralement, à la tête du client: "Les migrants venant d'Afrique sub-saharienne sont les moins bien traités. Ils sont systématiquement enfermés sur les ponts inférieurs et des cas d'asphyxie par les gaz d'échappement ont été enregistrés", détaille encore Frontex. Les pratiques négrières du XIXe siècle à quelques kilomètres des côtes européennes.

Un business juteux

C'est peu de dire que ce trafic est lucratif pour les réseaux, qui n'hésitent pas à embarquer plus de passagers que les bateaux -souvent hors d'état de naviguer- ne peuvent en transporter. "Sur un bateau de pêche prévu pour 10 personnes, les trafiquants en entassent 400 à 500", explique le porte-parole des gardes-côtes de Catane.

En prenant la fouchette basse du prix de la traversée, 1000 euros, l'embarquement des 800 migrants morts ce week-end a rapporté 800 000 euros. Qu'ils arrivent à bon port ou périssent en chemin importe peu: "Les immigrés deviennent une marchandise, ils sont pris en otage dans cette guerre de milices et paient le prix lourd du vacuum sécuritaire", déplore le géopolitologue Karim Bitar.

Le ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Dayri, a reconnu que les migrants partent "de territoires contrôlés par des milices qui échappent à l'autorité légitime des institutions étatiques". Selon lui, le retour de la stabilité politique permettrait de mettre un terme à ces pratiques. L'Union européenne, de son côté, réfléchit à une action avec les voisins de la Libye pour bloquer les routes empruntées par les migrants.


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