Ma rue est ridicule. Un chantier continuel. Chaque maison refait son revêtement extérieur au complet constamment. Une a récemment doublé en volume. Cet été, une autre s'est fait construire un balcon pendant sept ans. Mais Remèdes pour la faim est le genre de livre qui défie les lois de la lecture et qui transcende le bruit ambiant pour se rendre à votre cerveau en passant par-dessus toute distraction auditive tellement le récit est poignant. J'ai lu l'ouvrage dans des conditions sonores impliquant scie ronde, marteau piqueur, grue, et le fameux ouvrier qui ne travaille jamais et fait juste crier: Hé! Ho! Wo! Hé! Wo! Gérald! Back up!

Et jamais je ne fus déconcentré. Peut-être un peu au «Gérald!».

Denis Y. Béchard relate la vie de son père, élevé en Gaspésie mais quittant le Québec tôt dans sa vie pour assouvir une soif de vivre, un besoin de mouvement, de danger et d'action. André Béchard braquera une cinquantaine de banques aux États-Unis.

J'avais lu la biographie de Nanette Workman et je trouvais que Nanette se donnait pas mal dans le bardassage de toutes sortes, dans le parcours inusité, le voyage et le risque mais... eh... non.

Je n'ai pas encore, dans cette chronique, traité de lectures d'été. N'y ai jamais trop cru, en fait. Je vois mal le lien entre littérature et température. Mais cette fois-ci, j'avoue, j'ai commencé le livre en fin d'été et clairement, août n'avait pas les nerfs pour encaisser André Béchard. Il fut déstabilisé. N'était pas prêt. On n'a pas affaire à un livre qu'on lit par petites doses comme ça, lors d'une pause de casse-tête ou pendant une molle séance d'outdooring. En passant, c'était quoi, ça, l'outdooring? Les pavillons d'outdooring? Ç'a été cool un été. C'était quoi, d'être dehors mais dans une grosse tente inutile? C'était de prendre du soleil mais en anglais? Rien compris là-dedans.

Puis ma lecture s'est étirée sur septembre, qui semblait plus apte à gérer histoires de crimes, multiples fausses identités, bagarres, faillite, prison, en fait, il y a plus d'anecdotes à la page 498 que dans toute ma vie à date. Donc davantage taillé pour septembre, même, idéalement, un livre de novembre.

C'est le genre de lecture qu'on finit en se disant, OK, mon existence est une comptine. Je me targue moi-même parfois d'avoir eu des années 90 prolifiques, ayant, à l'intérieur de la même décennie, passé de la fin de mon école primaire (1990) aux galas Juste pour rire (1999). Eh bien, je dois me rhabiller piteusement en constatant qu'en 10 ans, j'ai vécu l'équivalent d'une pause cigarette d'André Béchard.

Signes qu'on aime un livre:

1 - Il m'est arrivé de penser au livre pendant mes propres spectacles. Bon, je ne me suis pas arrêté en plein milieu d'une joke pour regarder au plafond, mais souvent des images, des situations du récit traversaient mon esprit en plein show. C'est rare. Et non réversible. C'est-à-dire qu'il est absolument impossible de m'imaginer en train de turlupiner pendant la lecture de l'épisode du cassage de jambe sur le barreau de la cellule de prison. (On appelle ça du «En'dans-ring»...)

2 - J'aurais voulu transférer le texte dans un iPhone juste pour pouvoir le lire au volant. Oui, personne ne lirait du papier en conduisant, mais des écrans, j'en vois encore 15 par jour. C'est rendu que je les klaxonne, j'ai l'air débile, je m'en fous. Il faut recommencer à diffuser des messages télé où des jeunes se défoncent le crâne dans des parebrises en textant au volant parce que, sérieusement, je n'ai jamais vu une loi aussi peu respectée depuis «attendre 30 minutes après avoir mangé avant de se baigner» ou «venez à ma fête mais n'apportez pas de cadeaux».

3 - J'ai surtout réussi à oublier le bruit de ma rue pendant la lecture, même en plein outdooring...

En passant, des gens se ramassent dans des parebrises dans Remèdes pour la faim, mais c'était avant les textos, à l'époque où ça valait la peine et on pouvait même en retirer une anecdote décente, non pas juste un «je voulais faire un bonhomme sourire».