Les 360 employés de l'Opéra national de Bordeaux en sont encore abasourdis : mercredi 18 avril, leur régisseuse comptable de l'Opéra, Corinne Auguin, 51 ans, a été mise en examen pour "détournement de fonds publics par un comptable public ou son subordonné". L'employée a avoué avoir indûment encaissé près d'un million d'euros.
Dans la semaine du 9 avril, des employés de la direction financière de l'institution culturelle ont été intrigués par deux chèques de 27 000 et 35 000 euros au nom de la régisseuse. Ils n'étaient adossés à aucune facture ni prestation. En approfondissant les recherches, les services financiers établissent alors que, depuis janvier, 137 594 euros en espèces et chèques ont été détournés. Les soupçons se portent sur Mme Auguin. L'Opéra a immédiatement suspendu la quinquagénaire et porté plainte.
Les investigations de la police judiciaire de Bordeaux ont révélé un préjudice de 900 000 euros depuis 2009. Il pourrait être plus important car Mme Auguin, salariée de l'Opéra de Bordeaux depuis 1997, a admis avoir commencé ses agissements frauduleux en 2006, quand son mari a contracté un cancer.
A SON DOMICILE, UNE VASTE PISCINE, UN SPA, DEUX PUISSANTES VOITURES DE MARQUE ALLEMANDE
Des abus traçables : dans la régie des avances, Mme Auguin a simplement ajouté de fausses lignes comptables parmi les centaines existantes, avec des intitulés crédibles et des bénéficiaires théoriques bien réels. Ensuite, elle signait et encaissait les chèques du Trésor public à son nom puis falsifiait les rapprochements bancaires. A son domicile de Bonnetan (Gironde), un village à 15 kilomètres à l'est de Bordeaux, les policiers ont découvert une vaste piscine, un spa, du mobilier haut de gamme, des bijoux de créateurs, des vêtements de marque et deux puissantes voitures de marque allemande.
Selon le parquet de Bordeaux, son mari, chauffeur routier de 51 ans, assure n'avoir rien soupçonné. Il a été mis en examen pour "recel habituel de détournement de fonds publics". Placé sous contrôle judiciaire, le couple encourt dix ans de prison. Pour la direction de l'Opéra, c'est "un coup de massue", de l'aveu de Dominique Ducassou, l'adjoint au maire chargé des affaires culturelles et président du conseil d'administration de la régie. La direction avait toute confiance en la régisseuse, promue à ce poste en 2002, quand l'Opéra est passé de régie municipale à régie personnalisée. Mme Auguin avait la réputation d'une comptable irréprochable, tatillonne, voire abusive.
Ce nouveau statut juridique a permis une autonomie financière, administrative et une plus grande professionnalisation.
Corinne Auguin a finement usé des failles du système : dans ce type d'institution, comme dans d'autres régies publiques, les règles de comptabilité publique stipulent que l'ordonnateur qui engage les dépenses, la régie personnalisée dans ce cas, ne doit pas être le comptable payeur, à savoir le Trésor public. Celui-ci règle 87 % des dépenses de l'Opéra. Mais pour le reste - défraiements, avances diverses, paiement d'intermittents, etc. - il existe en interne une régie comptable chargée d'assurer le paiement direct pour éviter des délais de paiement trop longs. L'ordonnateur devient donc payeur. Un pouvoir considérable et non contrôlé dans les détails. A Bordeaux, le fonds de roulement s'élevait à 750 000 euros par an.
"Ce système de régie comptable est utile et fonctionne bien pour les Opéras comme pour les collectivités et les établissements publics, mais on n'est jamais à l'abri d'une personne mal intentionnée, dit Laurent Spielmann, directeur de l'Opéra de Nancy, lui aussi en régie personnalisée. Désormais, les Opéras vont regarder d'un peu plus près que tout soit bien verrouillé." A commencer par celui de Bordeaux.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu