Hadopi adoptée

par Astrid GIRARDEAU
publié le 3 avril 2009 à 9h43
(mis à jour le 6 avril 2009 à 16h07)

Sans surprise, hier soir vers 23 heures, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi Création et Internet . La France devient donc le premier pays au monde à instaurer légalement la riposte graduée, et permettre à une autorité indépendante de sanctionner les citoyens en coupant leur accès Internet.

Après cinq jours de débats, séparés en deux par une pause de dix-huit jours, seuls

16 députés étaient présents hier pour voter le texte. Le vote s'est fait à main levée. Les députés UMP ont voté pour, à l'exception de Lionel Tardy. Le seul député Nouveau Centre présent, Jean Dionis du Séjour, s'est abstenu à titre personnel (alors que le président, François Sauvaget, était favorable). Les députés de l'opposition (Patrick Bloche, Christian Paul, Martine Billard, etc.) ont votés contre, et rappelé qu'ils feraient appel au juge constitutionnel.

Tout au long de ces quelque 40 heures de débats, les opposants à la loi l'ont attaqué sur de nombreux points. Selon eux, ce texte est techniquement inapplicable et risque de générer de nombreuses erreurs, il va coûter cher à l'Etat (gestion et infrastructure) et à l'internaute (logiciel), il va à l'encontre du Parlement Européen, il est facilement contournable, il est obsolète, et surtout il ne va rapporter un euro de revenu supplémentaire aux artistes et à la création culturelle. Et donc, il est «absurde» , comme l'a dit et répété le député Patrick Bloche (PS).

Inlassablement, ces députés ont posé et reposé des questions très précises et techniques, par exemple sur le logiciel de sécurisation, l'adresse IP, mais aussi sur le fonctionnement même de l'Hadopi, la haute autorité indépendante, censée envoyer 10000 mails, 3000 lettres recommandées et 1000 suspensions par jour . Le rapporteur Franck Riester et la ministre de la Culture Christine Albanel (assistée de son conseiller Olivier Henrard), se sont contentés de rester dans le flou. Rappelant sans cesse que l'objectif de ce texte était avant tout «pédagogique» , et que tout serait détaillé ensuite par décret.

«Quand une loi paraît aussi hasardeuse dans son application, aussi imprévisible et aléatoire d'un point de vue technique, ce n'est pas une bonne loi et celle-ci emprunte un peu à Courteline, un peu à Kafka et beaucoup à Alfred Jarry» , a résumé de son côté Christian Paul.

Ce texte est issu des accords Olivennes de novembre 2007 signés par une quarantaine de membres dont des ayants droit de la musique et du cinéma et des fournisseurs d'accès Internet (FAI). Pour la plupart, les FAI ont depuis dénoncé le contenu de ces accords, et notamment à la suspension. «Cette loi est une bêtise (...) qui risque de couper d'Internet des personnes qui ne sont pas de grands délinquants » , déclarait récemment Xavier Niel , le président d'Illiad (Free, Alice). Surtout la question du financement des quelque 70 millions qui vont être nécessaires à la mise en place du système n'a toujours pas été réglée.

Pour en revenir à la loi, le délit mis en place n'est pas d'avoir téléchargé illégalement Winnie l'Ourson ou Bienvenue chez les Ch'tis , mais de n'avoir pas veillé à ce que sa connexion Internet, identifiée par son adresse IP, «ne puisse pas faire l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'œuvres protégés» . En cas de constat de ce manquement, il sera envoyé à l'abonné de cette connexion un premier mail d'avertissement. En cas de récidive, il recevra éventuellement un second mail et une lettre recommandée. La troisième fois, ce sera la coupure de son abonnement pour une période de 2 mois (un mois en cas de transaction) à un an. La substitution de la coupure par l'amende, comme le souhaitaient notamment Lionel Tardy (UMP) et Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre), n'a pas été retenue . «Ce serait un véritable droit à pirater ! » a estimé la ministre.

La Commission des droits pourra également demander à l'internaute d'installer un logiciel «pare-feu» dont on ne sait pas grand chose. Sauf qu'il sera payant, non interopérable, et qu'il a tous les airs d'un logiciel mouchard ( «mouchard espion» , selon Martin Brillard) communiquant avec un serveur centralisé.

L'internaute suspecté aura alors trente jours pour faire recours.

La procédure se fait sans passer par l'autorité judiciaire, ce qui a été l'un des débats fondamentaux de ces séances. Les ayants droit (ou sociétés privées mandatées) signaleront à la Hadopi les infractions. Et celle-ci décidera des sanctions à appliquer selon chaque cas .

Le juge fait seulement son apparition à l'article 5 . Mais les pouvoirs qui lui sont donnés ont suscité de très longs débats. Ils lui permettent d'obliger un FAI à mettre en place une mesure de filtrage. « Vous êtes en train de faire quelque chose de très grave ! » , a presque supplié Jean Dionis du Séjour s'adressant à Christine Albanel, ministre de la Culture.

Par ailleurs, la possibilité de labelliser les offres légales de musique et de les surréférencer dans les moteurs de recherche a aussi été adoptée. Même si le rapporteur et la ministre sont restés dans le vague sur la définition d'une offre légale, les critères de labellisation (et de dé-labellisation), etc. «Avant que vous ne rentriez dans les algorithmes de Google, je vous souhaite bonne chance» , a lancé Jean Dionis du Séjour. De son côté, Google France nous a indiqué : ce serait aller loin que de demander aux moteurs de recherche de sur-référencer certains sites labellisés, cela constituerait une forme de censure» . De plus, selon Lionel Tardy, il y a « un risque de distorsion de la concurrence, et de porte-à-faux avec la législation européenne sur la libre-concurrence » .

Aussi, malgré les nombreux amendements déposés dans ce sens, la CNIL et l'ARCEP, le régulateur des télécoms, les députés n'ont pas souhaité les associer au système. La CNIL, pour la surveillance, par exemple, des bases de données sur les internautes (notamment la fameuse liste noire de ceux dont l'accès aura été coupé). Et l'ARCEP pour encadrer les « expérimentations » qui vont être réalisées « dans le domaine de la reconnaissance des contenus et du filtrage » .

Prochaine étape, le 9 avril. Comme c'est le cas pour tous les textes adoptés en urgence , une Commission Mixte Paritaire (CMP) va être chargée de trouver un compris entre les versions qui ont été votées à l'Assemblée et au Sénat.

«Il n'y aura pas, contrairement à ce qui se fait d'habitude, de vote solennel, comme cela se fait sur chaque texte, le mardi après les questions au gouvernement» , regrette Lionel Tardy . Ce vote permet a tout député, même s'il n'a pas suivi les débats, de donner sa position par un vote nominatif. «Certains de mes collègues non présents souhaitaient s'abstenir lors de ce vote solennel» , indique le député UMP.

Pour rappel, au Sénat, le texte a été voté à la majorité. Mais surtout, la CMP, dont on connaît aujourd'hui la composition précise est entièrement verrouillée par le gouvernement. «On va avoir une texte proche de celui du Sénat. Voire pire, car on va garder le pire des deux textes» nous indiquait en début de semaine un collaborateur à l'Assemblée Nationale.

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