Juliette Gréco : "Je suis toute seule avec mes choix et mes refus"

Juliette Gréco sur la scène du Théâtre du Châtelet pour ses 80 ans, le 13 Février 2007. ©AFP - Mehdi Fedouach
Juliette Gréco sur la scène du Théâtre du Châtelet pour ses 80 ans, le 13 Février 2007. ©AFP - Mehdi Fedouach
Juliette Gréco sur la scène du Théâtre du Châtelet pour ses 80 ans, le 13 Février 2007. ©AFP - Mehdi Fedouach
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Frédéric Taddeï s'entretient avec la chanteuse Juliette Gréco à l'occasion de la sortie de ses mémoires "Je suis faite comme ça", et de son nouvel album "Ça se traverse et c'est beau". Elle se confie sur sa jeunesse, sa famille, ses nuits à Saint-Germain-des-Prés, toujours combattante et libre.

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A elle seule, elle a incarné la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse de l’après-guerre.

Scandaleuse, insolente, provocante, c’était une star avant même de chanter pour la première fois, au cabaret le "Bœuf sur le toit" en 1949 devant une assemblée impressionnante : Sartre, Mauriac, Merleau-Ponty, Cocteau…

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Soixante ans plus tard, toujours star, elle sort en janvier ses mémoires qu’elle place sous le signe de Prévert : Je suis faite comme ça chez Flammarion ainsi qu’un nouvel album consacré aux ponts de Paris au titre en forme de devinette : Ça se traverse et c’est beau .

L'entretien commence par le rapport affectif qu'elle entretient avec son prénom : "Juliette, c'est le prénom de ma mère. J'aime. C'est un joli prénom qui était un peu désuet et maintenant il y a pas mal de jolies et jeunes Juliette!" L'occasion aussi d'évoquer Jean-Paul Sartre, dont elle dit qu'"il était très attentif, très généreux, très drôle, très farceur." Juliette Gréco affirme ne pas se rendre compte si elle plaît. D'ailleurs, avec son nez qu'elle a fini par faire refaire, "c'est une histoire d'amour assez douloureuse".

Je n'imaginais pas pouvoir plaire.

Au sujet de sa voix si reconnaissable, la chanteuse ne l'apprécie guère. Sur sa silhouette, elle aussi iconique, à l'approche de ses 85 ans, elle réalise que cela fait "plus de soixante-ans" qu'elle s'habille en noir, "je trouvais ça beau et élégant".

J'ai horreur de m'entendre. Je ne me trouve pas simple alors que je pense simple, ça ne sort pas simple ! J'ai une manière de parler qui m'énerve.

De sa première entrée sur scène en 1949 au "Bœuf sur le toit", elle se souvient :

On voit les mains, le visage, blanc, et on ne voit même pas les pieds. Je pense que les gens devaient s'imaginer que je n'avais pas de jambes, pas de pieds. J'étais juste trois points blancs sur fond noir. Les mains, c'est comme la voix, c'est comme les mots, on souligne. [...] Ce sont des accompagnatrices formidables, elles m'aident, elles me sont terriblement utiles.

Sur ses origines familiales de la bourgeoisie bordelaise, l'interprète qui a servi la cause communiste, a un avis tranché.

La bourgeoisie, ce n'est pas ma famille. Ça s'est senti dès l'âge de trois ou quatre ans, déjà. J'ai des souvenirs très précis de révolte, de dégoût et de refus. [...] Je ne me sens surtout pas de père. Je suis sans père.

Je ne suis pas devenue une autre, j'ai changé de famille. Ce n'est pas moi qui ai changé, c'est ma famille. Ma famille est devenue celle des écrivains, des philosophes, des artistes, des peintres...

Dans cet entretien, Juliette Gréco évoque également la liberté de la jeunesse d'après-guerre à Saint-Germain-des-Prés, cette époque dont elle fut un symbole  :

C'est un ensemble de choses... C'était une cocotte-minute pendant l'Occupation, et tout à coup le couvercle a sauté. Et puis ce désir de liberté, de s'approprier la rue, de s'approprier des lieux comme les caves, d'avoir une vie à nous, pour nous, de partager nos envies, nos pensées, parfois des corps, des amours. On vivait entre nous avec le regard bienveillant des adultes. Ça je l'ai connu et je pense malheureusement que ça n'est pas près de renaître.

Elle voit sa vie comme une vie avec "une part d'enfance extraordinaire, d'inconscience", "c'est une vie poétique, c'est une vie de jeu".

Il n'est pas important d'être aimé, il est essentiel d'aimer.

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