culture | critique De flamboyants regards sur Olivier Messiaen

Georges MASSON. - 16 mai 2012 à 05:00 - Temps de lecture :
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Lors de son précédent récital de 2010 à L’Arsenal de Metz dans le cadre du Festival Jeunes Talents, la pianiste coréenne Yejin Gil avait fasciné son public dans le 6 e numéro, Par Lui tout a été fait, extrait des « Vingt Regards sur l’Enfant Jésus d’Olivier Messiaen. Elle en a consacré neuf, cette fois, dans sa nouvelle prestation à St-Maximin dans le cadre des Chemins d’art et de foi. Voilà qui permet d’affiner une analyse nécessairement partielle et de l’étendre à ce parcours global couvert en une bonne heure d’horloge, axant les stations sur le thème de Dieu, plus généralement sur le thème de l’Amour mystique, le thème en accords apparaissant sous divers éclairages au fil des neuf séquences.

D’une manière générale, les fondamentaux de l’interprétation appartiennent à Yvonne Loriod qui incarnait cette musique et qui l’intégra, étant Messiaen tout entière, dans ce concept de diamant acéré et d’économie de la résonance. Et ce sont deux autres familiers de la contemporaine qui furent les plus proches de cet univers messiaenesque : Michel Béroff qui en avait sensiblement la même lecture assez arc-boutée, ainsi que Pierre-Laurent Aimard, sur le plan de la clarté, de la rigueur technique et de la spiritualité. Or, si on a en tête toutes ces conceptions objectives tout en étant orantes, on s’aperçoit que la superbe vision de Roger Muraro y ajoute une touche humaniste et que d’autres pianistes récents ont une approche différemment évolutive de cette somme.

Un rapport au ciel

Ainsi, Yejin Gil, qui saisit par son investissement corps et âme, adopte une ligne d’approche qui tend à s’éloigner de la « stricte observance » des techniques typiques et atypiques, d’un Messiaen très à cheval sur les rythmes non rétrogradables et les tempos rigoureux. Elle s’ouvre à un autre horizon, mais antérieur à cette modernité, qui la plonge dans l’élan romantique et la ligne expressive des phrasés pianistiques qui seraient comme une prolongation ou un rapprochement du Franz Liszt des Années de pèlerinage. On y trouve toute la force du piano orchestral avec un sens assumé de la grande forme construite.

Parallèlement, elle a tout de la sérénité du Regard du Père, de l’immaculée dilection du Regard de la Vierge, et son Par lui tout a été fait, adoptant une frappe bartokienne, délivre de lumineuses fulgurations. Idem dans ce Regard de l’Esprit de joie où les sautillements d’accords, l’exubérante scansion façon ragtime et la scintillation fulgurante, comme les éclats coruscants, semblaient décuplés en raison de l’acoustique accueillante d’un édifice aux voûtes basses. Mieux encore, l’artiste libère les harmoniques de ses grappes d’accords, dont l’effet vibratoire est amplifié par l’espace volumétrique du lieu et par la pédale généreusement employée. Comme un rapport au ciel !

Mais, au-delà de l’aspect d’une virtuosité rutilante, on sent, en alternance, naître la concentration profonde croissant tout au long du chemin sacré, puis cette contention d’esprit sur une partition redoutable et livrée de mémoire. A l’ultime Regard de l’Eglise d’amour et comme un récapitulé de tous les états d’être de l’interprète, on sent une joie douloureuse sous des larmes de bonheur. Une Messiaen étonnant.