Amileigh Jones, 10 ans, joue du violoncelle dans l’ensemble Big Noise.
A l’instar des autres membres de cet orchestre d’enfants, elle vit à
Raploch, une banlieue depuis longtemps sinistrée de Stirling, en Ecosse. Mais fin février, lors d’un concert télévisé – en préambule aux Jeux olympiques de Londres –, Amileigh et ses camarades du Big
Noise ont joué du Beethoven aux côtés de la célèbre violoniste Nicola Benedetti
et de l’Orchestre symphonique écossais de la BBC.

Rien d’inhabituel à cela, direz-vous. Un peu partout dans
le monde, des enfants font la démonstration de leur talent musical et se
produisent en public. La différence, dans le cas d’Amileigh, c’est qu’elle n’a jamais eu à payer pour des
cours de musique ou à passer une audition pour une place dans le Big Noise Orchestra.

Amileigh est un produit de Sistema Scotland, fondé sur le
modèle du programme d’enseignement musical El Sistema (“le système”) au
Venezuela. Imaginé dans les années 1970 par un économiste et musicien
visionnaire, José Antonio Abreu, El Sistema a trouvé sa meilleure expression
dans l’Orchestre national des jeunes Simón Bolívar, qui a remporté un triomphe dans de
nombreuses capitales.

Vers le
milieu des années 1970, il n’était guère possible pour les jeunes Vénézuéliens
de se former dans un orchestre. Abreu voulait remédier à cette situation. El Sistema est à l’opposé du modèle musical en vigueur dans
les pays occidentaux où les enfants acquièrent
seuls, chacun à son rythme, une expertise dans un instrument, avant de se
joindre à d’autres musiciens. Avec El Sistema, c’est l’inverse : ils apprennent d’emblée à jouer
ensemble. Le credo implicite d’Abreu était qu’un enfant
défavorisé socialement ne devrait pas l’être également sur le plan
spirituel. La discipline et la confiance en soi acquises grâce à la musique feraient
d’eux de meilleurs citoyens.

En 1977, le gouvernement du Venezuela s’est intéressé à ce programme d’enseignement musical et a décidé de lui apporter un
soutien financier. Depuis trente-cinq ans, plus d’un million
d’enfants en ont bénéficié.

Au Royaume-Uni, depuis les années 1980, les coupes budgétaires décidées par le
Premier ministre de l’époque, Margaret Thatcher, ont provoqué le
démantèlement du système d’éducation musicale. Divers programmes financés par le privé ont tenté de prendre le relais, mais aucun n’était fondé sur
un modèle aussi réussi que celui d’El Sistema, surnommé “le gentil virus” par
l’un de ses plus fervents partisans, Simon Rattle.

Installé dans un nouveau centre réunissant sous un même toit une
crèche, une école primaire et une école religieuse, Sistema
Scotland a démarré, avec Baby Noise, un programme qui propose des séances de chant pour les mamans et les tout-petits. Ensuite, un peu plus âgés, les enfants reçoivent des violons en carton et en papier pour se familiariser avec la sensation que donne un vrai instrument de
musique. Big Noise prend à sa charge, jusqu’à l’âge de 12 ans, les frais de cette activité extrascolaire,
qui a lieu trois jours par semaine. Les jeunes sont encadrés par 16 enseignants, dont certains sont des professionnels. Le taux d’abandon est faible et on espère que, lorsqu’Amileigh
et ses pairs auront entre 12 et 18 ans, ils prendront sous leur aile la
promotion suivante.

La plus grande partie du budget des 3,8 millions de livres [4,5 millions d’euros] de
Sistema Scotland est financée par des sources privées et caritatives. Mais un
rapport indépendant publié en 2011 atteste que Big Noise a renforcé l’estime de soi chez les enfants de Raploch, et
permis à la communauté de considérer l’avenir avec plus d’optimisme. Les
auteurs relèvent “de meilleures capacités
en matière d’intégration sociale, de travail en équipe et d’élargissement des
réseaux sociaux”. Les autorités de Stirling ont
alors accepté de financer une partie du budget de fonctionnement,
qui s’élève à quelque 700 000 euros par an. Désormais, des responsables associatifs de plusieurs villes réclament, eux aussi, l’instauration d’un tel programme.

Amileigh et les autres
membres de Big Noise
“adorent jouer
et impressionner le public”, assure George Anderson, de Sistema Scotland. Ils
n’ont peut-être pas encore la virtuosité de leurs homologues vénézuéliens du Simón-Bolívar,
mais, si les fonds nécessaires pour reproduire le
projet pilote de Raploch sont débloqués, le “gentil virus” d’El Sistema se propagera
rapidement dans le pays.