Interview

Nicolas Repac, rhapsodie in blues

Avec «Black Box», le musicien-arrangeur français de «Swing Swing» remonte la piste archéologique noire, sur les traces du pionnier collecteur américain Alan Lomax.
par BAYON
publié le 10 juin 2012 à 19h16
(mis à jour le 11 juin 2012 à 12h58)

Black Box de Repac, titre impec, réconcilierait avec le gangsta-rap FM, via proto-slam d'entrée. Soit un pèlerinage aux sources du blues. Spatiotemporelle, la chose en plissement sonore limoneux croise art nègre et lounge. Au plus primitiviste et quantique ensemble. Ages abolis, on flotte en rétrofuturisme années 30. On perçoit la rumeur du «pot au noir», comme on appelait le Bénin ou la Gold Coast hantés aux temps de la «traite».

Exils. C'est du spiritual global, entre bwiti et work songs, pow wow et spleen cymbal ; mélopée morna ragtime sur la piste hobo stomp du rail maudit de Frontière, «Mo jo working» et Voodoo Blues au train. Bo Diddley, au jungle beat carré, n'a qu'à se rhabiller - ce que fait pour lui Nicolas Repac, retournant les morts comme à Madagascar. Ethno-techno electro en abyme, en descendance de collectages Lomax (lire page ci-contre), entre Paul Bowles glanant au Maroc, Jaz Coleman ouvrant la piste blues nilote et Paul Simon darwinisant du Cap à Bahia, a mbient Eno oblige, la célébration roots easy-listening transmigre incessamment. Ce que Viollet-le-Duc, flécheur gothique, fit aux tympans d'églises, ou Xavier Rudd aux esprits aborigènes, Nicolas Repac, en MC curateur d'une installation spirite pour temps de grand recyclage équitable, le refait pour la pulsation noire. A l'écoute des voix antérieures, il fait tourner les tables de mixage à polyrythmies.

Camaïeu. Gémissements d'exils esclaves, croisant d'Angola en vieille Europe via Port-au-Prince, le baquet synthétique Black Box relie brousse et ville, époques fossiles et modernisme. Passé l'amorce en estuaire (Chain Gang Blues, Bo's A Lumber Jack), la nef - fantôme telle l'Afrique de Michel Leiris en 1933 - s'ébranle à All Ready ? sur trépidation d'harmonica, connectant Bosnie et Pérou, Haïti Bottleneck et Delta Lullaby. Repac, au nom quasi inca, en tout cela opère en voyant voyageur. Pour définir sa «composition» d'emprunts-empreintes, le chanteur recyclé dit «collage». Sur sa toile patchwork du jour, il magnétise les «stars» Bonga, Blind Willie Johnson, Cheikh Lô du Sénégal ou John Lee Hooker ; mais la bouche d'ombre qui psalmodie leur grégorien gospel shuffle est celle des sans-nom ni sol : James «Iron Head» Baker «et un groupe de prisonniers» de  1933, Georgia Turner, 1937, CB Cook «et 10 forçats» (1948), John Davies & The Georgia Sea Island Singers ou Sidney Lee Carter en 1959. Sans oublier Willie Saint-Louis Jean, Stena Selinovic ou Brad Scott en live l'an passé. Là une Fuerza del sentimiento sans mémoire, ici un lambeau rom d'Adje Mori Medzibe… A tout prendre, c'est une autre Anthologie de la poésie nègre et malgache, de Senghor, Sartre, Jackie d'H.4 and Co.

L'arrangeur avait déjà à son actif Swing Swing 2004, né d'un gimmick de trompette bouchée électrifiée de Miles Davis relooké Saint-Germain, et d'un remix big band maison d'Arthur H. (Inséparables). Black Box creuse le filon musical en polyphonie. La collection de sortie emboîtée marne blues. De cet entrelacs en camaïeu de quinze noirs profonds, plus ou moins bleus comme la note, rouge sang, vert gombo, gris cendre, marron évasion ou spoliation… ressort une note d'ensemble lumineuse. Comme on dit lumière noire.

Nicolas Repac, 47 ans patinés comme un reliquaire, yeux de zek, plus à la conversation (sur sa découverte du sampler, ou de l'Afrique avec Arthur H) qu'à ses penne, transi par un cliché de pénitents chantants, se voudrait folk, au sens US de simple et populaire, plutôt qu'arty, mot typant le packaging de Black Box. Mystique de la transcendance musicale, il parle de Legba, esprit haïtien, comme il parlait Internet la veille, et repart à vélo.

Vous êtes ému par les Noirs…

Depuis toujours, ému par leurs musiques. Le roman Racines, lu à 12 ans, m'a profondément marqué : naissance de mon humanisme, apprentissage de la compassion.

Vous vous voyez arrangeur, mixeur ?

Passeur. Emetteur-récepteur.

Votre prière d’insérer dit «médium»…

Médium au sens de la télépathie. Les choses que j’invente ne sont que des mails que je reçois, comme si un mode musical préexistait et les œuvres avec. Le processus créatif m’échappe, la partie rationnelle de mon cerveau compte moins que sa partie intuitive. Il faut surtout avoir une adresse (mail).

Définition de Black Box ?

Point de départ, le blues ; point d'arrivée, le voyage. Le blues comme expression musicale d'un sentiment universel. Le hasard a décidé et dessiné les contours vocaux de Black Box, au fil du temps. Voix découvertes par des amis, des rencontres, ou par moi-même…

Dans votre nuancier de la négritude, les dominantes ?

Joie, vitalité, tristesse, oppression, résistance, insoumission.

Swing Swing, brouillon de Black Box ?

Black Box est le frère musical de Swing Swing, mais j'espère que ce dernier n'était pas un brouillon, plutôt la première pierre posée sur une route (trajectoire) rétrofuturiste. Dans les deux cas, j'essaie d'être à l'opposé du passéisme, prenant le passé comme source que je fais rejaillir dans notre temps.

La ligne de force du disque ?

Black Box, c'est l'abolition. Des frontières géographiques et temporelles. Ici où là-bas, les morts et les vivants… Intemporalité des âmes.

Combien d’heures d’écoute musicale par jour ? Sur iPhone ?

J’écoute peu de musique parce que j’en fais beaucoup. Je vénère le silence. Ma journée de travail achevée, mon cerveau se vide de son son. Je déteste la musique en fond sonore. Ecouter est une activité a part entière. J’écoute en CD et vinyle. A la radio aussi.

Vous échantillonnez à mesure ?

Non, j’ai des sessions échantillonnage intenses, où je collecte un tas de choses dont je me servirai un jour - ou jamais.

Entre vous et un ethnomusicologue ?

Autodidacte, je ne suis pas habilité à manipuler les matières que j’approche - pourtant je ne me gêne pas. J’ai la naïveté, l’obstination et les méthodes d’un facteur Cheval.

Vos notes de pochettes parlent «gin», «esprits», «mélancolie d’autres temps», «voix d’outre-tombe»…

Je suis un maniaque heureux fétichiste du son, Robin des bois du sampling (voler les riches, donner aux pauvres), gentil pilleur de tombes amoral pour la juste cause du Beau.

Le blues, machine à remonter le temps ?

Le temps est une boucle, un loop, mystère quantique à venir.

Belafonte chantant Merci Bon Dieu en 1956 n’accomplit-il pas votre programme ?

J'ai beaucoup écouté Harry Belafonte sings the blues, mais je ne connaissais pas Merci Bon Dieu. La musique noire est une invention artistique majeure du XXe siècle issue de la déportation raciste de masse, et à ce titre je n'ai pu m'empêcher de penser, le jour de l'élection de Barack Obama, que le glas de son apogée venait de sonner.

A quand une White Box ?

J’aimerais mener un jour avec la musique classique et contemporaine ce que j’ai fait avec le jazz ou le blues. J’ai fait des tentatives, pour l’instant insatisfaisantes.

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