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Médaille Fields: Artur Avila «surpris, content et surtout... soulagé !»

Artur Avila, mathématicien franco-brésilien de 35 ans, a reçu la récompense suprême du monde mathématique. © CNRS Photothèque - RUAT Sébastien

INTERVIEW - Avec son physique de jeune premier et sa fascination pour la beauté des systèmes dynamiques, le jeune mathématicien franco-brésilien\* a reçu la médaille Fields, « l'équivalent Nobel » des mathématiques.

LE FIGARO - Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous aviez gagné?

Artur AVILA - Surpris, content et surtout… soulagé! Je ne m'y attendais pas, je pensais que ce serait plutôt pour 2018. Mais c'est un soulagement car mon nom circulait depuis 2010, et ce n'est pas très sain de travailler avec cette pression. J'ai réussi à tenir tout cela à l'écart, mais je suis ravi que ça ne dure pas quatre ans de plus!

Comme c'est l'habitude, on vous a informé plusieurs mois à l'avance, mais vous deviez ne pas l'ébruiter. Cela n'a pas été trop dur de garder un tel secret?

Ce n'est pas difficile… tant que l'on ne vous pose pas la question! Lorsqu'on m'interrogeait, je m'efforçais de trouver une réponse qui n'était pas vraiment un mensonge, mais pas la vérité non plus… Au bout d'un moment, j'ai été obligé de l'annoncer à mon travail, pour que l'on puisse préparer la communication à la presse. En revanche, je ne l'ai pas dit à mes amis: je trouvais cela plus intéressant de leur faire la surprise. J'aurais voulu organiser quelque chose pour qu'ils assistent ensemble à la diffusion de l'événement, mais la nouvelle a fuité quelques heures avant.

Qu'allez-vous faire de la dotation de 10.000 € associée à la médaille?

J'ai déjà presque tout dépensé! Notamment pour m'acheter, avant le Congrès international des mathématiciens (ICM) où sont remises les médailles, des costumes plus chics que les vêtements que je porte habituellement. La présidente de Corée est présente, et il y a un certain protocole à respecter…

Qu'est-ce que cette médaille change pour votre carrière?

Essentiellement, cela m'apporte des obligations en termes de communication. Les mathématiciens aiment les problèmes et travailler dessus, mais désormais je vais devoir communiquer avec un public plus large que celui des seuls spécialistes. Cette médaille est une occasion pour que les gens s'intéressent à notre science. Je tiens particulièrement à le faire au Brésil: il y a une vraie école de mathématiques là-bas, mais elle n'est pas non plus du niveau de Paris… Le Brésil doit attirer les talents, et les jeunes doivent savoir que l'on peut faire des carrières très intéressantes dans les mathématiques.

Qu'aimez-vous dans les mathématiques?

C'est une chose qui a beaucoup évolué avec le temps. Au départ, quand on est gamin, on est attiré par un tout petit côté, qui en réalité ne sont pas des vraies maths. Puis à mesure qu'on avance dans son travail, on découvre des choses beaucoup plus créatives. En ce moment, j'aime la liberté qu'on a à faire des mathématiques: je peux choisir les problèmes qui me touchent, qui me sont chers.

Combien de gens au monde comprennent véritablement vos travaux?

Très peu. Plus exactement, très peu comprennent l'ensemble et dans les détails. Mais je pense que beaucoup de mathématiciens pourraient comprendre s'ils en faisaient l'effort. Je travaille essentiellement sur les systèmes dynamiques: j'étudie ce qui va se passer dans le moment suivant, l'imprévisibilité liée au chaos. Des lois très simples régissent la probabilité qu'un système évolue de telle ou telle façon, mais à long terme elles ne fonctionnent plus et les prédictions deviennent très difficiles.

Vous dites ne pas vous intéresser véritablement aux applications pratiques de vos travaux...

J'ai beaucoup de reconnaissance envers les gens qui travaillent sur les applications pratiques: ils participent aux progrès de la discipline. Mais à titre personnel, je m'intéresse davantage aux mathématiques pures. Il existe une véritable beauté des maths, et j'aime ça.

Vous aimez travailler à la plage, arborez un physique de jeune premier... Vous ne correspondez pas tout à fait à l'image, souvent austère, que l'on se fait d'un mathématicien.

Je n'ai que 35 ans alors j'ai encore une mine jeune… Quant à mon physique, il me vient de l'ICM 2010. Je devais y faire une présentation et j'étais tellement stressé, que je me suis mis à faire de la gymnastique de façon intensive pour retrouver le sommeil!

Vous êtes né au Brésil, mais avez aussi la nationalité française et travaillez dans les deux pays. Vous sentez-vous plutôt Brésilien ou plutôt Français?

Les deux! J'ai fait mes études jusqu'au doctorat au Brésil. Mais après un doctorat, on est encore un débutant. Lors des années passées ensuite en France, j'ai été exposé à beaucoup de mathématiques que je n'avais pas encore rencontrées. En tant que mathématicien, je me sens donc vraiment franco-brésilien, car j'ai été formé des deux côtés de l'Océan.

* Artur Avila est directeur de recherche CNRS à l'Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche (CNRS/Université Paris Diderot/UPMC), et travaille aussi à l'Institut de mathématiques pures et appliquées de Rio de Janeiro (Brésil).

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